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Capital d'installation et fonds de roulement

Chapitre I. Conditions générales de la production agricole

A. Capital d'installation et fonds de roulement

L'installation demeure un moment délicat qui concerne les jeunes fermiers. Pour pouvoir commencer à cultiver la terre louée, des outils et des bestiaux sont forcément nécessaires. Tout un capital que la plupart des fermiers ont patiemment accumulé avant de songer à s'installer. Ceux qui ne l'ont pas doivent s'arranger avec leur propriétaire ou bien empruntent. Le montant du capital d'installation varie largement en fonction des cantons ou bien des situations. Un fils héritant l'exploitation paternelle n'aura pas besoin d'un capital aussi élevé qu'un jeune fermier déshérité. Les déposants à l'enquête calculent ce montant de trois façons : à l'hectare, par rapport au prix du fermage, pour une exploitation complète. Il ressort de toutes ces dépositions que le montant du capital d'installation s'avère proportionnellement plus élevé pour les petites que pour les grandes parcelles. Ainsi le morcellement des propriétés, en « encourageant » le développement de la petite culture, élève le montant moyen du capital d'installation.

Ce montant moyen peut être évalué à 200 à 300 F par hectare ; cependant il y a des disparités locales : dans le Morbihan, dans le canton de La Roche-Bernard, le montant à l'hectare s'élève parfois à 600 F, alors qu'à Auray il culmine à 150 F. Les écarts infra-départementaux sont indéniables lorsqu'il s'agit de comparer le capital d'installation nécessaire pour une exploitation de 15 hectares ; prenons par exemple le cadre des Côtes-du-Nord : dans le canton de Lannion le montant grimpe à 12 000 F (soit 800 F par hectare !) ; à Dinan il frôle les 10 000 F ; à Lézardrieux il plafonne à 7500 F ; près de Gouarec, le capital d'installation n'atteint même pas les 4000 F (260 F par hectare). Toutefois il faut se méfier du jugement de certains déposants qui ne se basent en réalité sur aucun document comptable, voire sur aucune expérience d'installation. Nous peinons donc à croire sérieusement le comice agricole de Lannion quand, parallèlement, certains cahiers osent détailler les comptes ; à Gouarec le déposant Trolong du Rumain prétend que le capital d'installation se divise de la manière suivante : bétail, 2780 F, outillage, 580 F, mobilier, 400 F. Trop vague diront quelque-uns, mais certainement plus vraisemblable que d'autres montants. Heureusement, en Loire- Inférieure cette fois-ci, le comice agricole de Blain a littéralement épluché le capital d'installation d'une ferme de 20 hectares. L'enquête ne laisse rien de plus précis à ce sujet :

Tableau 5 – Capital d'installation d'une ferme de 20 hectares d'après le comice agricole de Blain (Source : Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale. 7e circonscription, p. 770-771)

Désignation Détail(s) Valeur (fr)

Bestiaux 2 bœufs 650 4 vaches 700 4 élèves de l'année 120 4 élèves de la 2e année 480 Instruments aratoires TOTAL bestiaux 1950 1 charrette 200 1 tombereau 120 1 charrue d'ensemencement à sillons 24 1 charrue pour 1er labour 30

1 charrue de défrichement 40 2 avant-trains 15 1 herse 36 1 rouleau 40 1 houe à cheval 40 1 butteur 36 1 coupe-racines 45 1 tarare 50

1 traîne et menus outils à main 150

TOTAL des instruments 826

Argent Fonds de roulement (au plus) 200

TOTAL 2976

Un capital d'installation à 12 000 voire à 10 000 F est donc forcément exagéré. Même le président Lavenay n'y croit pas vraiment : « La plupart des personnes qui donnent ces chiffres les déclarent insuffisants pour une bonne culture ; nous croyons cependant qu'ils expriment plutôt ce qui devrait être que ce qui existe réellement47 ». Avec un tel montant, peu de fermiers bretons

auraient les capitaux nécessaires pour lancer leur exploitation ; « nous avons plus de foi dans le chiffre général de 200 à 250 [par hectare] que dans tout autre48 », conclut Lavenay. Difficile dans

ces conditions de faire pleinement confiance aux dires des notables : les indications réelles se mêlent insidieusement aux souhaits et aux spéculations théoriques. Il en va d'ailleurs de même concernant le montant du fond de roulement.

Ce fonds de roulement n'est ni plus ni moins que la trésorerie annuelle de l'exploitation. Ce sont les économies mises de côté pour les coups durs, l'achat d'une terre ou, plus rarement, l'amélioration d'une parcelle. C'est l'excédent des ventes des produits de la ferme, une fois les impôts, les baux et les crédits payés. Dans son tableau ci-dessus, le comice agricole de Blain le fixe

47 Enquête agricole. IIe série, Enquête départementale, 3e circonscription..., op. cit., p. 117.

à 200 F maximum. Mais certains déposants donnent derechef des montants complètement fantaisistes : voyez les cahiers des comices de Plouigneau et de Landerneau ou ceux de quelques notables, à l'instar du comte de Guerdavid et du vicomte de Kersauson, l'un membre de la chambre d'agriculture de Plouigneau, l'autre conseiller général du Finistère, qui estiment le fonds de roulement des exploitations à en moyenne 2750 F (ils n'hésitent pas à le plafonner à 4000 F). En Ille-et-Vilaine, les comices agricoles de Saint-Servan et du nord-est de Rennes indiquent des sommes semblables : 6000 F annuels pour une exploitation de 25 hectares, soit 240 F l'hectare. Seuls de très gros fermiers bénéficient de tels fonds, d'autant qu'une exploitation de 25 hectares n'est pas capable de dégager des revenus aussi conséquents. Lavenay ne veut pas non plus y croire : « Quant au fonds de roulement, quelques-uns le portent de 500 F à 3000 F ; on est peut-être plus près de la vérité quand on dit qu'il n'existe guère49 ». De fait, nombreux sont les déposants

considérant que ce fonds de roulement n'existe pas dans beaucoup d'exploitations : sept cahiers dans le Morbihan (39% des réponses à la question) ; 16 en Finistère (27% des réponses) ; 15 en Ille-et- Vilaine (48% des réponses) etc... Quand ces fermiers nécessiteux ont besoin de numéraire, ils vendent une partie de leurs grains ou quelquefois du bétail. Or en se séparant d'une partie de leur capital d'exploitation, ils s'affaiblissent davantage. De toute façon, une écrasante majorité de déposants déclarent que ces montants sont insuffisants parce qu'il leur faut débourser de plus en plus d'argent.