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La description des populations de précurseurs : état de l'art

5.2 Les données de précurseurs

5.2.2 La description des populations de précurseurs : état de l'art

270 précurseurs identiés, chacun caractérisé par une constante de décroissance, une probabilité d'émission neutronique et un rendement de ssion cumulé. Certaines de ces caractéristiques dé- pendent naturellement de la nature du noyau ssile qui leur a donné naissance et de l'énergie du neutron incident.

Ajustement de la décroissance des précurseurs au sein d'un échantillon irradié L'importance qu'occupe ces données dans l'analyse des transitoires en physique des réacteurs a conduit très tôt à la nécessité de disposer de paramètres capables de reproduire l'évolution globale de l'ensemble de ces précurseurs. La nature et les caractéristiques de ces noyaux n'étaient pas bien connues dans les années 1950. Il s'est donc avéré nécessaire de condenser cette population en un

ensemble restreint de groupes, chacun d'eux étant caractérisé par une abondance relative ai et

une constante de décroissance λi. L'abondance relative ai du groupe i est dénie comme étant la

proportion de neutrons retardés émise par les précurseurs du groupe i : ai =

βi

β0 (5.1)

la constante de décroissance λi est la constante de désintégration radioactive des précurseurs du

groupe i.

Ainsi, lorsqu'un échantillon de matériau ssile est irradié pendant un temps inniment long par un ux neutronique constant, chaque groupe de précurseur est présent dans l'échantillon en quantité proportionnelle à son abondance relative. En pratique, il sut d'irradier un temps susamment long pour que chaque groupe de précurseur ait atteint sa concentration d'équilibre. Si l'on stoppait brutalement le ux neutronique irradiant, on observerait alors une décroissance de la population globale des précurseurs ayant la forme suivante :

Y∞(t) = Y∞(0) Ng X

i=1

aie−λit (5.2)

Ng représente le nombre de groupes de précurseurs adopté dans la description.

L'écriture de cette formule suppose qu'il ne peut y avoir deux précurseurs dans une même chaîne de décroissance radioactive. Cette approximation est raisonnable compte tenu de la faible proportion de noyaux précurseurs parmi les produits de ssions (inférieure à 1 %) et de leur inventaire particulièrement varié. Les concentrations de chaque groupe de précurseurs varient ainsi indépendamment les unes des autres.

Par ailleurs, il est également nécessaire de supposer l'absence de multiplication neutronique au sein de cet échantillon. Cette condition est notamment respectée lorsque la taille de l'échantillon en question est faible.

C'est sur ce principe que repose la méthode de référence pour la détermination des Ngcouples

de valeurs (ai, λi)i=1···Ng associés à un matériau ssile pour un spectre neutronique incident donné. Cette méthode a été appliquée par Keepin [29] auprès de Lady Godiva [52] pour la détermina- tion de jeux de paramètres de précurseurs pour la ssion rapide et thermique de divers isotopes, dont l'235U et l'238U. Aujourd'hui, ces données font toujours oce de référence. Suite à une ir- radiation d'une durée appropriée, l'échantillon de matériau étudié était extrait du voisinage du

coeur par un dispositif pneumatique vers une cellule munie d'un dispositif de comptage neutro- nique à haute ecacité. L'évolution du comptage était alors ajustée par une fonction ayant la forme de l'expression donnée dans l'équation 5.2. An de garantir un ajustement optimal, la mé- thode des moindres carrés a été appliquée avec un jeu de paramètres à ajuster (ai, λi)i=1···Ng sans contraintes. La recherche du meilleur ajustement, en terme d'incertitudes, a conduit Keepin à adopter 6 groupes de précurseurs soit 12 paramètres à ajuster sans contraintes.

Loaiza [31] a réitéré cette expérience quarante ans plus tard auprès du réacteur Godiva IV [55] avec un dispositif similaire. Le découpage en 6 groupes de précurseurs a été conservé, les résultats obtenus lors de ces deux expériences sont compilés dans le tableau 5.2 avec leurs incertitudes pour la ssion de l'235U dans un spectre de neutrons rapides (ssion "rapide"). La nature similaire de ces deux réacteurs permet de supposer que les spectres neutroniques irradiants sont très voisins, ce qui autorise une comparaison directe entre les données.

Groupe Keepin [29] Loaiza [31]

ai λi (s−1) ai λi (s−1) 1 0,038 ± 0,003 0,0127 ± 0,0002 0,0395 ± 0,001 0,0127 ± 0,0001 2 0,213 ± 0,005 0,0317 ± 0,0008 0,235 ± 0,005 0,0315 ± 0,0004 3 0,188 ± 0,016 0,1150 ± 0,0030 0,207 ± 0,008 0,117 ± 0,0064 4 0,407 ± 0,007 0,3110 ± 0,0080 0,381 ± 0,011 0,314 ± 0,0107 5 0,128 ± 0,008 1,40 ± 0,081 0,114 ± 0,005 1,37 ± 0,0514 6 0,026 ± 0,003 3,87 ± 0,369 0,0235 ± 0,001 3,83 ± 0,1138

Table 5.2  Découpage en six groupes de précurseurs pour la ssion "rapide" de l'235U

Ce type d'expériences a fait l'objet d'une abondante littérature, puisque l'on peut aujourd'hui en recenser un peu plus de 240 publiées, tous isotopes et tous spectres confondus. Une synthèse bibliographique et comparative de ces mesures est fournie dans la référence [33].

Par construction, les 12 paramètres ainsi déterminés sont ajustés sans contraintes et indépen- damment les uns des autres. En réalité, il existe bel et bien une correlation entre ces derniers, puisque la valeur prise par l'un d'eux dépendra de la valeur prise par tous les autres. La connais- sance de ces coecients de corrélation est nécessaire à la bonne propagation des incertitudes sur le résultat d'un calcul mettant en jeu ces paramètres. On y est par exemple confronté lors de l'estimation de la réactivité à partir d'une mesure de période asymptotique via l'équation de Nordheim (équation 3.16). Les informations sur ces corrélations ne sont malheureusement que très rarement publiées. Loaiza a proposé une matrice de corrélation [30] déduite de l'analyse des dé-

croissances consécutives à 11 irradiations d'un échantillon d'235Uauprès de Godiva IV. En voici

5.2. LES DONNÉES DE PRÉCURSEURS une retranscription :                               a1 λ1 a2 λ2 a3 λ3 a4 λ4 a5 λ5 a6 λ6 a1 1 λ1 +0, 53 1 a2 +0, 13 +0, 18 1 λ2 +0, 09 −0, 16 +0, 67 1 a3 +0, 50 −0, 04 +0, 23 +0, 36 1 λ3 +0, 33 +0, 05 +0, 72 +0, 88 +0, 63 1 a4 −0, 33 −0, 11 −0, 66 −0, 80 −0, 68 −0, 98 1 λ4 +0, 49 −0, 02 +0, 34 +0, 57 +0, 93 +0, 82 −0, 85 1 a5 −0, 05 +0, 30 −0, 36 −0, 35 −0, 63 −0, 45 +0, 49 +0, 51 1 λ5 +0, 40 +0, 05 +0, 17 +0, 05 +0, 76 +0, 36 −0, 39 +0, 64 −0, 52 1 a6 −0, 19 −0, 40 −0, 26 −0, 22 −0, 17 −0, 44 +0, 51 −0, 29 +0, 28 −0, 39 1 λ6 +0, 03 +0, 13 −0, 08 +0, 13 +0, 45 +0, 28 −0, 31 +0, 47 +0, 09 +0, 49 −0, 28 1                              

On remarque qu'un certain nombre de coecients sont très proches de 1 en valeur absolue, ces corrélations apparaissent naturellement pour des couples de valeurs associés à des groupes adjacents : (a4, λ3) et (λ4, a3) pour ne citer que les plus signicatifs. Ainsi, ne pas prendre en compte ces corrélations conduit fatalement à une erreur importante sur l'incertitude propagée.

Lorsque ces informations sont manquantes, on considère par défaut que l'ensemble de ces va- leurs sont décorrélées. Cette solution induit une surestimation signicative de l'incertitude propa- gée. A titre d'exemple, il est reporté sur le tableau 5.3 les estimations de l'incertitude de plusieurs réactivités déduites de périodes asymptotiques à partir du jeu de données de Loaiza avec et sans prise en compte de ces corrélations.

Période Réactivité σρ (¢) σρ (¢)

asymptotique (s) en cents sans corrélations avec corrélations

151,19 7,38 0,13 0,08

91,07 11,07 0,19 0,12

61,80 14,71 0,26 0,16

44,64 18,35 0,32 0,19

33,52 21,97 0,39 0,23

Table 5.3  Incertitudes propagées sur les réactivités en cents déduites de périodes asymptotiques avec et sans prise en compte des corrélations

En complément de la détermination des abondances relatives, l'observation de la décroissance des populations de précurseurs après une irradiation intense pulsée d'un échantillon ssile permet de déduire le nombre moyen de neutrons retardés émis par ssion de l'isotope étudié. La grandeur ainsi mesurée s'exprime par le produit entre le nombre total de neutrons émis par ssion et la proportion de ces neutrons qui sont retardés. Ce type de mesure a été réalisé par Keepin conjointement à la détermination des abondances relatives auprès de Lady Godiva [29]. On présente sur le tableau 5.4 les résultats extraits de cette étude pour la ssion rapide de l'235Uet de l'238U.

Les expériences eectuées plus récemment par Loaiza sur l'235U sont en parfait accord avec

235U 0,0165

238U 0,0412

Table 5.4  Nombres de neutrons retardés émis par ssion rapide de l'235Uet de l'238U

[29]

Ajustement à partir de constantes de décroissance xées

Une analyse des constantes de décroissance obtenues par le biais de cette méthode pour dié- rents isotopes montre que celles-ci sont relativement proches à une énergie incidente des neutrons xée, et ce quel que soit l'isotope [30]. Cette constatation traduit le fait que l'émission des neutrons retardés provient majoritairement d'un petit nombre de précurseurs, qualiés de "dominants". Les progrès eectués en physique nucléaire ont depuis lors permis d'identier ces précurseurs dont la contribution est prédominante. Le tableau 5.5 présente une liste de ces 17 précurseurs avec leur demi-vie.

Précurseur Demi-vie Abondance no groupe dans Demi-vie moyenne

(s) relative la condensation du groupe (s)

87 Br 55,6 0,033 1 55,6 137I 24,5 0,178 2 24,5 88Br 16,3 0,111 3 16,3 138 I 6,46 0,046 4 5,21 93 Rb 5,93 0,024 89Br 4,38 0,101 94 Rb 2,76 0,162 5 2,37 139 I 2,30 0,046 85As 2,08 0,107 98mY 2,00 0,088 93Kr 1,29 0,0048 6 1,04 144Cs 1,00 0,0070 140 I 0,86 0,0052 91Br 0,542 0,017 7 0,424 95Rb 0,384 0,049 96Rb 0,203 0,017 8 0,195 97Rb 0,170 0,0052

Table 5.5  Liste des 17 précurseurs dominants avec leur demi-vie et la condensation en 8 groupes élaborée par Piksaikin [32]

Il est important de préciser que cette liste est valable quels que soient l'isotope ssile étudié et le spectre des neutrons incidents. Il est donc apparu judicieux de construire des jeux de données précurseurs à la construction calquée sur ces quelques isotopes [34]. Pour ce faire, Piksaikin a condensé ces 17 précurseurs dominants en un ensemble de 8 groupes rassemblant chacun des précurseurs aux demi-vies voisines [32]. La demi-vie d'un groupe condensé est obtenu en moyennant les demi-vies des précurseurs inclus dans ce groupe, pondérées par leur abondance respectives. Cette condensation est reportée sur le tableau 5.5, on observe que les trois premiers groupes ne sont constitués que d'un seul isotope.

Partant de cette description en 8 groupes, l'ajustement de la décroissance des populations

de précurseurs peut être eectué en xant les constantes de décroissances (λi)i=1···8 associées à

chacun des groupes. De cette manière, l'ajustement ne se fait plus que sur 8 paramètres, à savoir les abondances relatives de chaque groupe.

5.2. LES DONNÉES DE PRÉCURSEURS Bien que l'ajustement eectué dans ces conditions soit "mathématiquement" de moins bonne qualité en vertu de la diminution du nombre de paramètres libres dans le modèle, il n'en demeure pas moins beaucoup plus proche de la réalité physique des phénomènes mis en jeu. Les eets de corrélations ou les incertitudes expérimentales qui étaient susceptibles de conduire à une mauvaise cohérence des constantes de décroissance ajustées entre les isotopes n'ont en eet plus lieu d'être avec cette technique.

Les jeux de données de précurseurs obtenus par le biais de cette méthodologie présentent un fort intérêt dès lors qu'il s'agit d'étudier la cinétique de milieux composés de plusieurs isotopes ssiles. En eet, pour chaque groupe de précurseur, il sut de moyenner les abondances relatives de chaque isotope au prorata du nombre eectif de neutrons retardés engendrés par chacun d'eux pour avoir un jeu de données caractéristique du combustible nucléaire étudié. Cette technique est naturellement impossible à appliquer sans approximations lorsque les jeux de données précurseurs présentent des constantes de décroissance diérentes pour chacun des isotopes.

Cette méthode d'ajustement a été appliquée par Spriggs en vue de fournir des jeux de données précurseurs cohérents pour un panel d'isotopes ssiles [34]. Etant donné que la grande majorité des données initiales issues des expériences d'irradiations sont aujourd'hui disparues, Spriggs a développé une technique pour permettre la conversion d'un jeu de données précurseurs initial en un jeu équivalent basé sur les 8 groupes précédemment dénis. Cette technique est basée sur l'ajustement en 8 groupes de précurseurs (à constantes de décroissance xées) de transitoires simulés à partir des données originales. Spriggs a choisi de conserver le découpage en 8 groupes élaboré par Piksaikin (voir tableau 5.5).

La sélection des jeux de données "originaux" sur la base desquels ont été déduits les nouveaux jeux de données en 8 groupes a été basée sur des critères expérimentaux subjectifs. Le temps de transfert de l'échantillon depuis son emplacement d'irradiation jusqu'à la chambre de comptages est à ce titre l'un des critères les plus importants dans la mesure où la qualité de la restitution de la décroissance des précurseurs les plus rapides y est intimement liée. On reporte sur le tableau 5.6 les données extraites de la référence [34] qui concernent la ssion rapide de l'235Uet de l'238U.

Les données originelles sont issues des travaux de Piksaikin pour l'235U [32] et de Keepin pour

l'238U[29].

Groupe Demi-vie (s) décroissance (sConstante de−1) Abondances relatives235U 238U

1 55,6 0,012467 0,034 ± 2 % 0,008 ± 16 % 2 24,5 0,028292 0,150 ± 2 % 0,104 ± 2 % 3 16,3 0,042524 0,099 ± 3 % 0,038 ± 2 % 4 5,21 0,133042 0,200 ± 2 % 0,137 ± 15 % 5 2,37 0,292467 0,312 ± 2 % 0,294 ± 4 % 6 1,04 0,666488 0,093 ± 4 % 0,198 ± 1 % 7 0,424 1,634781 0,087 ± 5 % 0,128 ± 10 % 8 0,195 3,554601 0,025 ± 4 % 0,093 ± 4 %

Table 5.6  Données précurseurs en 8 groupes pour la ssion rapide de l'235U et de

l'238U [34]

Des corrélations entre les abondances relatives de chacun des groupes sont toujours suceptibles d'apparaître. En l'absence de matrice de corrélation associée, le calcul des incertitudes propagées sur la réactivité en dollars déduite d'une mesure de la période asymptotique sera alors réalisé en supposant que ces paramètres ne sont pas corrélés. L'erreur induite par cette approximation sur le calcul des incertitudes est toutefois moins préjudiciable qu'avec un jeu de données à six groupes et 12 paramètres ajustés dans la mesure où le nombre de paramètres est dans ce cas plus réduit (ils ne sont plus que 8).