2. Matériel et méthodes 3.4. Données thérapeutiques et parcours de soins 3.4.2. Description des patients récurrents, analyse par patient La majorité des usagers fréquents ne sont pas récurrents sur les 12 mois précédant la période de l’étude (68,70% ; N=79 ; versus 94,58%, N=192 chez les témoins). 83,48% d’entre eux (N=96) déclare un médecin traitant à leur admission aux urgences (84,24%, N=171 pour les témoins). Près de 90% de ces usagers fréquents (89,57% ; N=103) bénéficient d’un suivi psychiatrique ambulatoire pendant la période d’étude (versus 48,77%, N=99 parmi les témoins), majoritairement mis en place avant l’inclusion (60,87% ; N=70), avec prescription d’un traitement psychotrope (93,91%, N=108, versus 56,65%, N=115). Ce suivi est quasi également réparti entre les différents secteurs de soins ambulatoires au long cours : CMP (38,83% ; N=40), libéral (30,09% ; N=31) et mixte (27,18% ; N=28). Il est à noter que pour la moitié des patients inclus, la période de l’étude correspond à une période de transition de suivi, c’est à dire une mise en place ou un relai en cours (50,88% ; N=58, versus 15,27%, N=31 chez les témoins). Pendant cette période d’étude, 90,44% des récurrents (N=104) seront hospitalisés dans au moins un établissement psychiatrique hors urgences, versus 47,78% (N=97) chez les témoins. Tableau 16: Description des données thérapeutiques : analyse par patient Total Témoins Patients récurrents N % col N % col N % col Récurrent sur les 12 mois précédents l’étude Oui 47 14.78 11 5.42 36 31.30 Non 271 85.22 192 94.58 79 68.70 Médecin traitant déclaré Oui 267 83.96 171 84.24 96 83.48 Non 51 16.04 32 15.76 19 16.52 Traitement psychotrope en cours Oui 223 70.13 115 56.65 108 93.91 Non 95 29.87 88 43.35 7 6.09 Suivi psychiatrique ambulatoire Oui, mis en place pendant la période d’étude 49 15.41 16 7.88 33 28.70 Oui, mis en place avant la période d’étude 153 48.11 83 40.89 70 60.87 Non 116 36.48 104 51.23 12 10.43 Période de transition de suivi Non disponible 1 0.31 0 0 1 0.87 Oui 89 27.99 31 15.27 58 50.43 Non 130 40.88 80 39.41 50 43.48 Non applicable 98 30.82 92 45.32 6 5.22 Nombre d’hospitalisations hors SAU connues pendant la période d’étude 0 117 36.79 106 52.22 11 9.57 1 121 38.05 90 44.33 31 26.96 2 47 14.78 6 2.96 41 35.65 3 19 5.97 1 0.49 18 15.65 4 9 2.83 0 0 9 7.83 5 4 1.26 0 0 4 3.48 6 1 0.31 0 0 1 0.87 Nombre d’établissements d’hospitalisation hors SAU connus pendant la période d’étude 0 117 36.79 106 52.22 11 9.57 1 155 48.74 93 45.81 62 53.91 2 32 10.06 4 1.97 28 24.35 3 12 3.77 0 0 12 10.43 Tableau 16: Description des données thérapeutiques : analyse par patient (suite) Total Témoins Patients récurrents N % col N % col N % col Total 202 100.00 99 100.00 103 100.00 Type de suivi psychiatrique CMP et/ou HDJ de secteur 87 43.07 47 47.47 40 38.83 Libéral 73 36.14 43 43.43 30 29.13 Mixte 33 16.34 5 5.05 28 27.18 Suivi intersectoriel réactif 4 1.98 0 0 4 3.88 Autres suivis 5 2.47 3 4.05 2 1.94 3.4.3. Résultats de l’analyse univariée L’analyse univariée comparant les patients récurrents et la population témoin retrouve plusieurs associations statistiquement significatives du phénomène de récurrence avec les variables thérapeutiques suivantes : - Antécédent de récurrence : 0R= 7.954, CI 95% = [3.855-16.410], p<0.0001 ; - Notion d’un traitement psychotrope en cours : OR= 11.806, CI 95% = [5.235-26.524], p<0.0001 ; - Existence d’un suivi ambulatoire (p<0.0001) : mis en place avant la période de l’étude (OR= 7.309, CI 95% = [3.714-14.383]), ou pendant (OR=17.875, CI 95% = [7.680-41.601]) par rapport au patient n’ayant pas de suivi ; - Quelque soit le type de suivi (p<0.0001) : Soin de secteur (OR=8.191, CI 95% = [3.967-16.915]), libéral (OR=6.105, CI 95% = [2.862-13.023]) ou mixte (OR=31.719, CI 95% = [11.850-84.899]) par rapport aux patients n’ayant pas de suivi; - L’existence sur la période de l’étude d’au moins une hospitalisation en psychiatrie hors urgences (p<0.0001) : qu’il s’agisse d’une hospitalisation (OR=3.319, CI 95% = [1.579-6.978]), sur un seul établissement (OR=6.424, CI 95% = [3.193-12.925]), ou plus de deux séjours (OR= 100.493, CI 95% = [37.214-271.373] dans deux établissements ou plus (OR= 101.181, CI 95% = [30.510-335.552]. Tableau 17 : Analyse univariée des associations entre données thérapeutiques et phénomène de récurrence Variable OR CI 95% p Récurrence dans les 12 mois précédents 7.954 3.855 16.410 <0.0001 Déclaration d’un médecin traitant 0.945 0.508 1.758 0.8588 Traitement psychotrope en cours 11.806 5.235 26.624 <0.0001 Suivi ambulatoire <0.0001 Absence de suivi ambulatoire 1 Oui, mis en place avant la période d’étude 7.309 3.714 14.383 Oui, mis en place pendant la période d’étude 17.875 7.680 41.601 Type de suivi <0.0001 Absence de suivi 1 CMP et/ou HDJ de secteur 8.191 3.967 16.915 Libéral 6.105 2.862 13.023 Mixte ou autres suivis 31.719 11.850 84.899 Hospitalisations hors SAU pendant la période d’étude <0.0001 Aucune 1 1 3.319 1.579 6.978 2 ou plus 100.493 37.214 271.373 Nombre d’établissements d’hospitalisation hors SAU <0.0001 Aucun 1 1 6.424 3.193 12.925 2 ou plus 101.181 30.510 335.552 Période de transition de suivi 2.9935 1.7078 5.2473 <0.0001 4. Discussion 4.1.Prévalence Notre étude valide l’existence du phénomène de récurrence aux urgences psychiatriques du CHU de Toulouse-Purpan, en retrouvant une prévalence dans des proportions comparables à celles de la littérature internationale (11, 13, 16). Une faible proportion de patient effectue bien un nombre conséquent de passages, ce qui soutient la pertinence d’un travail de recherche autour de ces usagers fréquents et des modalités de prévention des passages multiples. 4.2.Profil sociodémographique Ce travail retrouve un profil sociodémographique concordant avec la littérature internationale (4, 11, 18, 20, 26, 29). L’analyse univariée met en évidence de façon significative chez les patients récurrents une précarité sociale (absence de logement autonome), économique (perception de minima sociaux ou médico-sociaux, absence d’activité professionnelle), et affective (célibataires sans enfant, absence d’entourage personnel comme professionnel) par rapport aux témoins. L’intérêt de cette description sociodémographique isolée reste toutefois assez restreint, sans oublier que de nombreuses variables sociodémographiques semblent liées entre elles. De plus, les patients atteints de troubles psychiques souffrent davantage d’une précarité socio-économique et affective du fait de difficultés d’insertion en lien avec la psychopathologie de leur trouble. La pauvreté du support social doit donc être considérée comme un facteur de vulnérabilité au sein d’une dynamique complexe mais ne peut constituer le seul axe de prévention. Notre étude met également en évidence une population d’usagers fréquents significativement plus jeunes que les témoins, sans différence toutefois pour le genre. Ceci appuie la nécessité de prendre en compte la trajectoire du patient au sein de son évolution clinique, afin de cerner les besoins des usagers fréquents et d’ajuster les réponses thérapeutiques préventives au phénomène de récurrence, au delà d’une appréciation syndromique figée. 4.3.Profil clinique Sur le plan clinique, il apparaît primordial de souligner la diversité des diagnostics psychiatriques principaux retrouvés chez les patients récurrents, avec un trépied principal constitué par les troubles psychotiques, les troubles de l’humeur et les troubles de la personnalité cluster B du DSM V. Ces trois entités diagnostiques sont d’ailleurs significativement associées au phénomène de récurrence. Plusieurs études plutôt récentes (8, 29, 21) ont également souligné cette diversité diagnostique et permettent de récuser l’hypothèse d’un profil clinique unique rattaché au phénomène de récurrence, a contrario des premiers travaux parus, qui faisaient état d’une large prédominance du diagnostic de schizophrénie (34-41). Ici encore, une prévention centrée exclusivement sur la psychopathologie ne semble pas pertinente. La variabilité des profils syndromiques des usagers fréquents ne permet pas d’adopter une telle stratégie préventive. Le phénomène de récurrence n’apparaît pas comme étant lié à une pathologie psychiatrique en particulier, mais plutôt à un ensemble de pathologies dont les manifestations cliniques lors des épisodes de décompensation peuvent nécessiter l’intervention des urgences. Qu’il s’agisse de manifestations délirantes, d’une idéation auto-agressive, de troubles du comportement, tous se rejoignent de par leur traduction d’une période de crise. Se décaler d’une dichotomie nosographique pure permettrait de proposer une approche plus dynamique de ces retours fréquents aux urgences, en considérant, comme nous le signifions plus haut, la trajectoire thérapeutique et personnelle du patient, au delà d’un cadre syndromique souvent trop immuable. Notre travail retrouve parmi les comorbidités psychiatriques les plus fréquentes chez les patients récurrents les troubles liés à la consommation de toxiques, ce qui a pu être mis en évidence par la littérature internationale. Il est également à noter que le plus fréquemment, il n’est pas possible de spécifier une comorbidité psychiatrique chez ces usagers fréquents. Ce constat rejoint les travaux de Boyer et al mettant en évidence la difficulté -pouvant sembler paradoxale- à établir un diagnostic psychiatrique franc chez ses patients récurrents (9). Si les équipes soignantes peuvent avoir la sensation de bien connaître ces patients, il s’avère que la pluralité des regards cliniques posés par les différents praticiens au fil de leurs venues révèle un tableau psychopathologique parfois moins évident que ce qu’il n’y paraît. Ces patients récurrents ne sont pas primo-requérants auprès des soins psychiatriques, l’analyse univariée retrouvant chez eux la présence statistiquement significative d’antécédents d’hospitalisation en psychiatrie, de suivi ambulatoire et de traitement psychotrope par rapport aux témoins. La trajectoire clinique globale de ces patients ne semble donc pas se limiter à l’évolution naturelle de leur psychopathologie mais s’inscrire dans un cadre thérapeutique dont nous pensons qu’il présente une influence non négligeable sur le phénomène de récurrence aux urgences psychiatriques. 4.4.Profil thérapeutique Une minorité de patients récurrents se présente aux urgences psychiatriques sur adressage direct d’un médecin. La plupart d’entre eux arrivent spontanément, avec leur propre moyen de locomotion, mais également au décours d’un appel à la régulation du SAMU 31, avec le déclenchement d’un transport sanitaire non médicalisé. Ici apparaît un premier levier de prévention non négligeable mais plus complexe qu’il n’y paraît. On pourrait penser, à juste titre, qu’une régulation plus « stricte » ou du moins plus ciblée via le SAMU 31 permettrait d’éviter un certain nombre de passages au SAU. Or, sur la ville de Toulouse, aucun psychiatre ne participe en présentiel à la régulation des appels au SAMU. Dans un premier temps, une augmentation de la sollicitation téléphonique du psychiatre de régulation pourrait apporter une première amélioration, le tout s’inscrivant dans une amélioration globale et bilatérale de la communication et de la collaboration entre les urgences psychiatriques et le SAMU 31. Qu’en est il alors du phénomène de sécurisation de la demande par les patients déjà évoquée dans la littérature (notamment par Arfken (7) et Aagaard (8)) ? N’entrave-t-il par le travail de régulation ? Quelle est la latitude médico-légale et éthique du refus via la régulation d’une admission à l’hôpital d’un patient alléguant par exemple une idéation auto-agressive ? S’il semble impossible de s’en départir, force est de constater dans notre étude que les idées suicidaires ne sont que le troisième motif d’admission aux urgences psychiatriques, derrière l’agitation et la symptomatologie anxieuse. Il reste donc apparemment une marge de manœuvre quand à la régulation de l’admission de ces usagers fréquents aux urgences, si toutefois une proposition de solution alternative existe et est formulée en réponse à la demande du patient. Le déclenchement d’un transport sanitaire entraîne un coût non négligeable, d’autant plus que deux tiers des usagers fréquents bénéficient uniquement d’une consultation sur les urgences, qui débouchera sur un retour au domicile. Bien souvent, la question du retour devient rapidement épineuse, avec un tiraillement des équipes soignantes entre des considérations administratives et empathiques. Lorsque l’aller et le retour des patients se voient effectués en ambulance, le coût d’une consultation psychiatrique aux urgences peut alors atteindre des sommets. Les trois principaux motifs d’admission aux urgences des patients récurrents sont l’agitation ou les troubles du comportement, la symptomatologie anxieuse, et l’idéation auto-agressive. Si les deux derniers peuvent traduire une demande spontanée du patient, il semble rare qu’un patient se présente de lui même en alléguant une agitation ou un quelconque trouble du comportement. Le phénomène de récurrence dépend donc également de l’appréciation par un environnement humain externe, qu’il soit connu ou inconnu du patient, de la nécessité d’une admission aux urgences psychiatriques. Cet environnement est donc à considérer pour la mise en place de stratégies préventives, et se doit d’être l’un des destinataires des solutions alternatives à la venue aux urgences. Nous pouvons également constater que notre travail rejoint les résultats présentés par Sirotich (25) en mettant en évidence des demandes majoritairement cliniques et non psychosociales chez ces usagers fréquents, avec toutefois un décalage entre la demande et la conclusion médicale apportée : si 1% des patients allèguent des demandes non cliniques, par exemple sociales, à l’admission, dans 8% des cas il ne peut être identifiée de décompensation psychiatrique ou somatique. Les quatre diagnostics psychiatriques les plus posés sont les troubles psychotiques, les troubles de l’humeur, les troubles de la personnalité cluster B du DSM V et les troubles anxieux, névrotiques ou de l’adaptation. Il est à noter que les trois motifs d’admission les plus fréquents exposés plus haut peuvent s’appliquer à chacune des pathologies objectivement diagnostiquées. Ceci renforce notre conviction qu’une prévention exclusivement ciblée sur une psychopathologie ne peut être que moins efficace qu’une prévention prenant en compte une dynamique de décompensation, acceptant l’idée qu’un patient souffrant d’un trouble psychique sévère et chronique tel que la schizophrénie peut également décompenser à la faveur de périodes de crise. Cette hypothèse est corroborée par le fait que près de 70% de notre population de récurrents ne l’est pas sur les douze mois précédant la période d’étude. Comme nous le constations plus haut, ces usagers fréquents des urgences ne sont pas des primo-requérants des soins psychiatriques. En effet, 90% d’entre eux bénéficient d’ores et déjà d’un suivi psychiatrique ambulatoire, également réparti entre les différentes possibilités de suivis pérennes (de secteur, libéral ou mixte). Cependant, il est important de noter que si dans près de deux tiers des cas il s’agit d’un suivi mis en place avant la période d’étude, celle-ci représente une période de transition de suivi pour la moitié des usagers fréquents. On peut donc supposer qu’il s’agit d’une période de vulnérabilité, au cours de laquelle l’alliance thérapeutique ambulatoire fragilisée peut nécessiter un appui sur un tiers, que peuvent représenter les urgences pour les patients récurrents comme pour leurs soignants ambulatoires. Les passages aux urgences des usagers fréquents ont d’ailleurs le plus souvent lieu en journée de semaine, soit en horaires ouvrables. Que représentent les urgences psychiatriques pour ces patients ? Sont elles considérées comme un substitut équivalent aux structures ambulatoires ou les usagers perçoivent ils une gradation dans leur recours aux urgences ? Y formulent ils les mêmes attentes ? Apporter des réponses à ces questions nécessite un travail conjoint avec les structures de soins ambulatoires, avec lesquelles la communication semble toutefois assez pauvre à ce jour. En effet, seuls 10% des passages bénéficient d’un courrier de sortie, et même si le lien téléphonique avec l’entourage soignant ou familial du patient est lui fait dans près de 40% des cas, cela reste une proportion insuffisante alors que plus de la moitié des patients sont réorientés vers ce soin ambulatoire après une consultation aux urgences. L’orientation vers une hospitalisation ne semble pas mieux soutenir la continuité des soins lorsque l’on constate le nombre de lieux d’hospitalisation différents chez les patients récurrents : plus d’un tiers d’entre eux seront hospitalisés dans au moins deux établissements différents hors SAU au cours de la période d’étude. Il est toutefois à noter un point plutôt positif compte tenu des résultats de la littérature (en particulier les études de Ledoux (13) et Hansen (21)): le faible taux de sorties dites « sèches », à savoir sans orientation aucune (2,5%). Enfin, signalons que la durée moyenne de séjour des patients récurrents comme des témoins ne nous semble pas refléter l’exacte réalité. En effet, les relevés de données nous proposent des durées totales de séjour très disparates, avec un panel allant d’une à deux heures en cas de passage unique par la consultation, jusqu’à parfois presque plus d’une semaine lors d’épisodes d’hospitalisations sur une des UHCD. Nous ne retrouvons d’ailleurs pas de franche différence quand à la DMS entre les usagers fréquents et les témoins. Dans le document UNIVERSITE TOULOUSE III-PAUL SABATIER FACULTES DE MEDECINE ANNEE 2017 2017 TOU3 1584 THESE POUR LE DIPLÔME D’ETAT DE DOCTEUR EN MEDECINE MEDECINE SPECIALISEE CLINI (Page 86-95)