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Des effets secondaires de court terme et des préoccupations pour le long terme qui relativisent la notion de sûreté

2.2.3.3 Des risques de long terme insuffisamment connus

[212] Au total, la persistance de complications infectieuses pour les tatouages et d’une centaine d’effets graves annuels pour les cosmétiques, la fréquence des complications allergiques ou dermatologiques pour les produits cosmétiques et de tatouage, l’impossibilité d’estimer de manière satisfaisante la fréquence et l’évolution de l’ensemble des effets indésirables et leur coût, l’ignorance des effets d’une exposition croissante de la population, interrogent sur la qualité de la maîtrise des risques actuelle. Et ce en regard des risques connus. Reste par ailleurs largement inexplorée la question de certains effets éventuels de long terme et des effets cumulés de ces produits avec d’autres produits chimiques.

2.2.3.3 Des risques de long terme insuffisamment connus

[213] La population générale et la population tatouée s’exposent à un nombre de substances important, dont certaines font craindre des conséquences de long terme, comme les substances CMR, les perturbateurs endocriniens ou les substances nanoformées.

[214] L’émergence de nanomatériaux aux propriétés et comportements différents de tous ceux déjà connus a conduit à soulever la question de leur responsabilité dans la survenue de très nombreuses pathologies humaines. Leur diffusion peut se produire dans tous les tissus humains et au-delà, au sein même des composants cellulaires les plus petits. Les pathologies qui pourraient en découler, compte tenu de leurs propriétés spécifiques, peuvent concerner tous les organes, comme le cerveau, les poumons, le système circulatoire, le système lymphatique ou la peau.

[215] Les CMR sont interdits de principe dans les cosmétiques et en France dans les tatouages mais le règlement prévoit des possibilités de dérogations après examen circonstancié par le CSSC (cf.

supra). Le règlement prévoyait en outre une réévaluation au moins quinquennale des substances CMR autorisées, qui ne parait pas avoir été mise en œuvre de façon systématique.

94 ANSES, Avis relatif à l’analyse des options de gestions règlementaires pour les persulfates (saisine n° 2019-SA-0011)

Définition des substances CMR

Cancérogène : Agent chimique dangereux à l’état pur (amiante, poussières de bois, benzène…) ou en mélange ou procédé pouvant provoquer l’apparition d’un cancer ou en augmenter la fréquence. Toutes les localisations de cancer sont potentiellement concernées.

Mutagène ou génotoxique : produit chimique qui induit des altérations de la structure ou du nombre de chromosomes des cellules. Les chromosomes sont les éléments du noyau de la cellule qui portent l’ADN.

L’effet mutagène (ou atteinte génotoxique) est une étape initiale du développement du cancer.

Toxique pour la reproduction ou reprotoxique : produit chimique pouvant altérer la fertilité de l’homme ou de la femme, ou interrompre (avortements) ou altérer le développement de l’enfant à naître malformations, hypotrophies, troubles neurocomportementaux, cancers95 , atteintes de la fertilité de la descendance du fait d’une exposition in utero. Des discussions existent sur le fait que l’exposition à des substances chimiques pendant la grossesse puisse être à l’origine d’une atteinte du système immunitaire chez l’enfant ou puisse perturber son système endocrinien. La transmission de mutations génétiques par les parents exposés est également débattue.

Source : INERIS, 2018

[216] L’hypothèse de cancers induits par l’usage de cosmétiques a été très régulièrement soulevée dans la littérature. Il n’a pas été retrouvé de revue générale récente faisant l’état des connaissances sur la relations entre les cancers, toutes localisations confondues et l’usage des cosmétiques. Il existe en revanche de très nombreuses publications sur certaines localisations anatomiques et certains types de cosmétiques. Deux localisations ont occupé les débats ces 20 dernières années : les cancers hématopoïétiques et les cancers de la vessie chez les utilisateurs de teintures capillaires. Ce dernier risque a été démontré chez les utilisateurs professionnels pour les teintures commercialisées avant 1960. Il n’existe cependant in fine aucune démonstration d’un sur-risque pour les consommateurs.

[217] De même, de nombreuses études ont relié cancer cutané et tatouage, sans néanmoins être considérées comme probantes dans deux revues de littérature récentes. Il n’a pas été retrouvé de travaux interrogeant les autres risques de long terme, carcinologiques, sur d’autres organes cible que la peau. Par ailleurs, on ne dispose pas d’études sur les effets indésirables sur la fertilité et les jeunes enfants alors même qu’un tiers de la population des jeunes femmes en âge de procréer est aujourd’hui tatouée.

[218] Si les données reliant cancers et produits, quoique parcellaires, sont relativement documentées, celles sur les autres effets potentiels de long terme manquent.

[219] De telles études ne sont pas aisées et leur difficulté est majorée si le suivi sur longue période doit s’intéresser non seulement aux cancers, mais aussi à d’autres effets potentiels comme les troubles du développement chez les enfants exposés in utero ou les troubles de la fertilité. Chez les utilisatrices professionnelles de teintures, une méta-analyse réalisée par l’INRS en 2014 a retrouvé un sur-risque faible sur la reproduction et le déroulement de la grossesse ; les études étaient toutefois anciennes et conduites dans des environnements réglementaires différents de ceux observés en Europe depuis l’harmonisation des réglementations.

[220] La liste des effets sanitaires avérés ou suspectés des perturbateurs endocriniens augmente avec l’avancée des recherches : les effets sont avérés sur les pathologies de l’appareil reproducteur (infertilité, cancers, malformations) tandis que des éléments de preuves croissant attestent d’effets

95 Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a conclu en 2009 à de possibles leucémies chez les enfants dont les mères ont été exposées professionnellement à la peinture avant et pendant leur grossesse.

sur la fonction thyroïdienne, sur les fonctions cérébrales, et de l’impact sur le métabolisme, notamment du glucose, et sur le risque d’obésité. L’impact économique des effets sanitaires globaux des perturbateurs a été chiffré en 2016 entre 46 et 288 milliards d’euros selon les estimations. La démonstration d’effets délétères avérés ou suspectés a contribué à la prise de conscience des consommateurs et accru la pression pour qu’une réponse adaptée à ces enjeux soit édictée et mise en œuvre par les pouvoirs publics. La nouvelle stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens priorise la production de connaissances dans le champ des cosmétiques et prône comme l’a fait le Parlement européen, une adaptation du cadre réglementaire européen. C’est d’ailleurs ce que prévoyait le règlement lui-même qui demandait une révision à ce titre au plus tard le 11 janvier 2015.

[221] Les approches par types de produits méconnaissent généralement les effets potentiels liés aux expositions aux autres sources ; à l’exception de l’évaluation des CMR, le CSSC n’a pas à intégrer dans ses analyses l’exposition à d’autres sources que les produits cosmétiques. Certaines substances sont pourtant présentes dans une grande variété de produits autres, dont l’alimentation ou les produits ménagers.

[222] L’absence de relation entre cancer de la vessie et cosmétiques ne veut pas dire que l’imprégnation à une substance donnée, présente dans les cosmétiques comme dans d’autres sources, n’a pas contribué à l’effet de long terme, qui faute d’étude appropriée, n’est finalement relié à aucune source particulière. Ces questions ont amené des équipes universitaires et des agences de régulation nationales ou européenne à développer de nouvelles approches visant à apprécier l’impact de long terme des multi-expositions aux substances : les études de biomonitoring et les études sur l’exposome.

[223] Les études de biomonitoring tant françaises qu’européennes témoignent d’une imprégnation massive de la population générale par des substances présentes dans diverses sources, dont des cosmétiques. La mesure des biomarqueurs d’imprégnation de la population générale des 6-74 ans vivant en France et l’étude de ses déterminants constituent l’un des quatre objectifs de l’étude ESTEBAN conduite par l’agence Santé Publique France96. Les résultats témoignent du caractère généralisé de l’exposition systémique aux produits chimiques, les polluants étant retrouvés dans une majorité de la population étudiée, tous âges confondus. Les niveaux d’imprégnation à trois des six familles de polluants étudiées, les éthers de glycols, les parabènes et les phtalates apparaissent liés, entre autres, à la fréquence d’utilisation des cosmétiques. S’agissant des parabènes, la source en serait majoritairement les cosmétiques.

[224] Mettre en évidence les conséquences d’un niveau d’imprégnation à une substance connue pour présenter des dangers particuliers (CMR, perturbateur endocrinien, nanomatériaux…) nécessite de conduire des études la reliant à d’éventuels effets sanitaires. Ces études sur l’exposome sont rares, mais en développement en France et en Europe.

Plus de 2 000 femmes enceintes participant à la cohorte mère-enfant EDEN97 ont été recrutées entre 2003 et 2006 par deux centres hospitaliers et universitaires français, avant la mise en place de la réglementation sur le bisphénol A et les interdictions de certains parabènes ou les restrictions sur le triclosan. De 70 à 100 % des femmes de la cohorte EDEN étaient alors imprégnées par ces substances. Ces travaux suggèrent que l’exposition pendant la grossesse à certains phénols, notamment les parabènes et le triclosan, pourrait perturber la croissance des garçons durant la vie fœtale et les premières années de vie. Mais la mesure de l’exposition ne reposait que sur un seul dosage urinaire et une nouvelle étude de cohorte, SEPAGES, est en

96 Santé publique France, 11/2019

97 EDEN : étude des déterminants pré et postnatals du développement de la santé de l'enfant

cours pour répéter les mesures d’imprégnation sur plusieurs échantillons, et étendre les recherches aux petites filles ;

Le programme HELIX a réuni des équipes françaises et espagnoles qui ont recueilli les expositions prénatales et postnatales liées à l’environnement extérieur (pollution de l’air par les particules fines, bruit…), aux contaminants chimiques (perturbateurs endocriniens, métaux, polluants organiques persistants …) et au style de vie (alimentation…) de 1 033 couples femmes enceintes / enfant né entre 2003 et 2009, dans six pays européens. La cohorte EDEN a servi de support pour la participation française. Les deux tiers des biomarqueurs étaient détectés chez 9 femmes et enfants sur 10. Cette étude relie la présence de trois biomarqueurs, dont l’éthylparabène utilisé comme conservateur dans les cosmétiques, à une fonction respiratoire dégradée mesurée chez les enfants entre 6 et 12 ans. Une fonction respiratoire diminuée précocement peut retentir sur l’ensemble de la croissance98.

[225] Il existe un besoin majeur de développement d’études sur les effets indésirables des produits cosmétiques et de tatouage, notamment sur les effets de long terme. Leur absence contribue aux incertitudes qui alimentent les débats publics de manière récurrente et poussent les consommateurs vers une maîtrise des risques par le bannissement des produits qui est seule à leur portée, en dernier ressort.

Des défis méthodologiques qui fragilisent la démarche d’évaluation préalable

2.2.4.1 Les méthodes alternatives devant suppléer au bannissement des tests sur les animaux