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Des professionnels de la télévision issus de l’IDHEC

LA TROISIEME CHAINE

2.2. Des magazines qui obéissent à une logique éditoriale

2.2.2. Des professionnels de la télévision issus de l’IDHEC

a) Des présentateurs en majorité issus du cinéma

« Nombreux sont, parmi les jeunes gens entrés à la télévision dans les débuts, les « déçus » du cinéma. Après la guerre, ils se sont heurtés au manque d’ouverture d’un milieu ayant ses traditions, ses clans, ses familles. Certains ont acquis une expérience d’assistant, ou ont exercé des petits métiers sur les tournages de films, mais ils ont estimé à un moment donné que mieux valait encore tenter l’aventure de la télévision » écrit Isabelle Veyrat Masson (2000 : 59). D’abord, ce sont des cinéastes qui conçoivent et présentent les premières émissions sur le cinéma. Par exemple, Marcel L’herbier (ci–dessous) homme raffiné, intelligent, cultivé, épris d’art et de recherche, lance Cinéma en liberté (1956).

Portrait de Marcel Herbier. On notera l’aspect professoral, le costume sombre, la chemise et la cravate qui donne un air très cérémonieux, absolument pas décontracté comme dans les émissions de variétés ; ceci est du au contrat de communication de ce magazine qui répond à un pacte pédagogique et une logique éditoriale qui a pour but d’informer le téléspectateur.

Ce maître de l’impressionnisme français a ainsi résumé sa carrière :

« Dix années 1918-1928 où je fais comme je l’entends les films que je souhaite. Dix

années ensuite de contrainte et de malchance où je n’ai plus vu m’échoir que des jeux sans honneur ».

Mais il devait ensuite fonder l’IDHEC en 1943, cet Institut des hautes études cinématographiques dont le prestige international est devenu considérable. Il en sera le

président. Frédéric Rossif, auteur réalisateur qui présente Pour le cinéma en 1968 sur TF 1a

suivi un parcours similaire.

Vers 1952-1953, cette première génération est rejointe par les garçons issus des premières promotions de l’IDHEC qui eux non plus n’ont pas réussi à pénétrer le milieu du cinéma. Ce sont des personnes comme Jacques Nahum (Démons et merveilles 1964), assistant réalisateur au cinéma et à la télévision de nombreux feuilletons et séries. Il a réalisé des courts métrages de cinéma et travaillé comme chef opérateur. Il collaborera à l’émission

Cinéma Cinémas sur une vingtaine de sujets entre 1982 et 1988. Nous pouvons citer aussi

Pierre Tchernia (La séquence du spectateur 1953), et Claude Jean Philippe qui a présenté le

Ciné club en 1971. Pour la plupart, la télévision ne devait constituer qu’un tremplin qui leur

permettrait de rejoindre un jour le saint des saints. Ils s’impliquent tout de même avec passion dans ce nouvel instrument, ils s’y investissent, y créent une famille, des clans, des traditions,

et rares sont finalement les passages de la télévision vers le cinéma. Pourtant, tous ont eu le cinéma comme point de référence et comme but ultime ; leur « vœu le plus cher était de fabriquer un film50

».

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les réalisateurs aient revendiqué un droit de parenté morale avec les professionnels du cinéma bien que les deux métiers n’aient jamais été aussi distincts qu’à cette époque. L’originalité et la force de la télévision ne pouvaient donc pas résider dans cette mise en scène très théâtrale qui sent le studio. Pourtant, à la suite de Jacques Armand et de Claude Barma qui en sont les « ténors », elle s ‘engage dans la voie du direct, de ce théâtre filmé. Celle-ci n’est en fait qu’une impasse. Si , de 1959 à 1963, alors que naît une télévision qui tourne ses regards vers le cinéma, les jeunes réalisateurs de la Nouvelle Vague s’inspirent de ce qu’ils ont vu à la télévision , ce n’est pas de ce qui s’y fait en fiction . Dans cette télévision balbutiante ils s’intéressent aux reportages, à la présence de visages filmés au quotidien dans les actualités ou dans les magazines. Ils aiment la légèreté de la caméra lorsqu’elle sort dans la rue pour le besoin des journaux télévisés, des grands reportages ou des premiers documentaires de type sociologique.

Les pionniers de la télévision reconnaissent assez tôt leur erreur : « La grande erreur qu’un certain nombre d’entre nous avons commise à une certaine époque, c’est d’avoir songé au cinéma alors que nous n’en faisions pas51

».Mais le plus grand, sans doute, de leurs échecs ou de leurs regrets, c’est d’abord de ne pas avoir senti, aveuglés qu’ils étaient par le modèle du cinéma traditionnel, les possibilités de leur instrument. « La Nouvelle Vague, à son arrivée, a continué au cinéma ce que nous faisions déjà à la télévision », constate Claude Barma52

. Le paradoxe le plus cruel pour ces réalisateurs, c’est que non seulement ils sont restés sur le bord de la route et ont dû regarder se faire à l’extérieur ce qu’ils n’avaient pas su faire à l’intérieur, mais qu’ils ont dû de surcroît accueillir dans leur sein ceux qui n’avaient pas su s’adapter au nouveau cinéma, les plus conformistes, qui venaient au fond faire, à la télévision, ce que le cinéma venait d’abandonner.

b) L’apparition de présentateurs issus de la critique littéraire

Cependant, tous les présentateurs de ces émissions ne sont pas issus de l’IDHEC, mais trouvent leur origine dans la critique cinématographique et en particulier dans Les cahiers du

cinéma créés en 1952.Par exemple,le présentateur de Cinéastes de notre temps est André S.

50 Marcel Bluwal op. cit. 128. 51

Marcel Bluwal , op cit P.128 52

Labarthe, critique, cinéaste, téléaste et styliste. Il est né en 1931.Après des études classiques, il obtient une licence en philosophie. Critique de cinéma, il appartient à l’équipe de rédaction des Cahiers du cinéma dirigée par André Bazin, Jacques Doniol-Valcroze et Eric Rohmer.

Labarthe et Bunuel 53

Contrairement à Marcel l’Herbier, précédemment cité, les deux protagonistes de cet échange arborent une tenue décontractée, chemise avec les manches retroussées, pas de port de cravate, l’émission a toujours pour but d’informer, mais la façon d’aborder le cinéma se fait sous un angle plus convivial par le décor naturel et la présence du vin.

François Chalais qui présente Cinépanorama (1956) est aussi critique de cinéma, mais en plus il est journaliste, grand reporter, scénariste et écrivain. La télévision fait aussi appel à des historiens du cinéma comme Roger Boussinot qui présente Démons et Merveilles avec Jacques Nahum. Ainsi, la télévision a recruté ses professionnels dans le milieu dont elle se sentait le plus proche : le cinéma.

c)Une exception : une présentatrice sans formation. 53

Si la majorité des présentateurs de magazines de cinéma à la télévision sont des hommes, il existe quelques exceptions à cette règle. Des femmes comme Catherine Langeais inaugure cette nouvelle fonction de présentatrices à la télévision. De son vrai nom Marie-Louise Terrasse, Catherine Langeais est née le 9 août 1923 à Valence. Le 6 janvier 1951, elle entre à la RTF ou elle présente les programmes. Le 6 décembre 1954, elle anime avec Raymond Oliver Art et magie de la cuisine, une émission culinaire. Le 10 décembre, elle épouse Pierre Sabbagh (créateur du journal télévisé). Le 15 septembre 1953, elle présente l'émission La séquence du spectateur. Elle commentera aussi l’émission A vous de juger après François Chalais.

2.2.3. Le théâtre et le cinéma comme modèle

Maintenant que nous connaissons l’identité des partenaires de l’échange, il s’agit de définir « De quoi est-il question dans l’échange qui est mis en scène dans les magazines de cinéma ? »

a) Des thèmes empruntés au cinéma et au théâtre

Si le cinéma a pu se développer, c’est en prenant aussi ses références au théâtre qui l’a précédé. Or en médiologie, un média n’en efface pas un autre, mais il persiste des traces de l’un dans l’autre. C’est ce qui se passe dans notre cas .Avant de prendre comme modèle le cinéma, la télévision emprunte ce que le cinéma avait fait aussi dans le théâtre. Par conséquent, les premières émissions de cinéma sur la première chaîne ont pour thème le cinéma et le théâtre .Par exemple, A vous de juger du 17 novembre 1967 aborde ces sujets. Les thèmes principaux touchent le film de Jean Renoir La Marseillaise, ses conditions de production, et le cinéma novo brésilien. Les thèmes secondaires sont l’engagement de l’auteur dans ces œuvres, le cinéma comme moyen d’action politique, les conditions de travail au Brésil, le choix des acteurs pour un réalisateur, et la différence entre le théâtre et le cinéma. Par contre, l’émission d’A vous de juger du 5 décembre 1967 ne parle que de cinéma. Elle présente le film qui a obtenu le prix de la mise en scène à Cannes, raconte le film, la vie de l’auteur, puis aborde le film Le viol de Jacques Deniol, et Le pré de béguine, un film en images fixes d’après l’œuvre détruite de Serge Eisenstein. Les thèmes peuvent aussi concerner la peinture. Cinéma en liberté du 20 décembre 1956 analyse un thème de

prédilection du cinéma : la rue, qui a également été mis en scène à travers les tableaux de Maurice Utrillo par exemple.

b) Des thèmes empruntés au cinéma exclusivement

La séquence du spectateur (1953) utilise ce que produit le cinéma, c'est-à-dire les

films exclusivement, dont elle diffuse des extraits qu’elle commente.

Cinépanorama paru le 20 décembre 1962 qui dura de février 1956 à juillet 1965 se

targue de présenter le monde du cinéma sous un jour inhabituel. Il traite du coté mythique du cinéma. Le macro thème est la ville d’Hollywood et les autres thèmes la disparition des stars, le cinéma et l’argent, la mort du cinéma. Cinépanorama du 13 juillet 1963 a pour ambition de faire redécouvrir Fédérico Fellini au téléspectateur, le cinéaste maudit après la Dolce Vita. Les autres thèmes concernent le festival de Berlin, la réunification des deux Allemagnes et le mur de Berlin, les débuts de la Nouvelle Vague avec Jean Pierre Melville, réalisateur et grand ami de François Chalais.

1964 voit la création de la deuxième chaîne et de Cinéastes de notre temps qui durera jusqu’en 1972. Cette émission est consacrée exclusivement au cinéma .Le 21 avril 1964, il s’agit de découvrir l’œuvre et le personnage de Bunuel. Les réalisateurs de l’émission se sont attardés un peu plus sur le personnage de Bunuel. On aborde aussi le cinéma en général, la Nouvelle Vague, la guerre d’Espagne, et le financement des films.

Démons et merveilles du 19 septembre 1964 sur la 2 éme

chaîne s’attache à la mémoire du cinéma parle de la vie, la passion pour le cinéma d’Henri Langlois, directeur de la cinémathèque et aussi de la conservation des films, du musée du cinéma, et des objets ayant servis dans des films cultes.

En conclusion, la télévision des débuts, de 1952 à 1975 se caractérise par une thématique chère au cinéma : les grands cinéastes comme Bunuel, Fellini et les mouvements au cinéma comme La nouvelle Vague. Les magazines restent très inspirés du cinéma et font référence encore au théâtre, qui l’a précédé.