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Des enveloppes dans les secteurs en croissance

III. LA BOÎTE À OUTILS DE L’ÉGALITÉ

3. L’égalité par et pour les mieux dotés ?

3.1. Des enveloppes dans les secteurs en croissance

Plus encore que dans les autres domaines, le souci qu’ont les entreprises de contenir les dépenses afférentes à l’égalité entre en contradiction avec la nécessité de supprimer les inégalités dans le domaine de la rémunération. En effet, il est difficile de réduire les écarts de salaires sans y allouer un budget spécifique. Les entreprises étant légalement obligées de définir des mesures portant sur la rémunération, équipées d’objectifs et d’indicateurs, font preuve d'une certaine inventivité et proposent des types de mesures variés n’impliquant pas une ligne budgétaire dédiée : réaliser un diagnostic (54 textes), sensibiliser les managers (23), élaborer des outils d'aide à l'attribution des rémunérations (16) ou fixer la rémunération avant l'embauche (14) (figure 24). Les entreprises du secteur financier (banques, assurances, mutuelles) font preuve d’inventivité pour réguler les rémunérations individualisées.

Figure 24 - Mesures n’impliquant pas de ligne budgétaire spécifique dans le domaine de la rémunération Nom Nombre de documents proposant cette mesure Exemple de mesure Réalisation en interne d'un diagnostic ou suivi

54 « Réaliser un bilan annuel portant sur les embauches pour vérifier que, sur un même poste, à diplôme et expérience professionnelle équivalents, la rémunération proposée à l'embauche a été analogue. Mener chaque année une étude périodique des éventuels écarts de rémunération liés au genre, par CSP. » [Commerce, Petite entreprise, Plan n° 135]

Information des RH et des managers

23 « Sensibiliser le management aux outils de rémunérations existant : Les responsables de centres (optique, Ehpad, ...) seront sensibilisés lors des réunions trimestrielles. » [Finance - Mutuelle, Petite entreprise, Plan n° 169]

Mise en place d’outils d’aide à la décision pour l’attribution des rémunérations

16 « La direction s'engage à mettre à disposition des managers une matrice d'aide à la décision pour l'attribution des mesures salariales (à compter de la campagne 2016). La matrice précisera pour chaque collaborateur un indice de priorité relatif. Cette matrice sera composée selon des critères objectifs : emploi/métier, classification, ancienneté dans la classification, rémunération, comparatif avec la rémunération des collaborateurs exerçant le même emploi avec la même ancienneté et classification, compétences. » [Finance, Grande

entreprise, Accord n° 157] Fixer la rémunération à

l’embauche avant la diffusion de l’offre d’emploi

14 « Lors du recrutement d'un salarié à un poste donné, le niveau de la rémunération afférente à ce poste est déterminé avant la diffusion de l'offre d'emploi, sans discrimination de sexe. »

[Finance, Petite entreprise, Plan n° 163]

Toutes ces mesures n’impliquent pas de coûts si ce n’est le temps consacré par les managers. De manière générale, sur la rémunération, on trouve principalement des déclarations d’intention annonçant la volonté de l’entreprise de supprimer les écarts dans le cas où ces derniers seraient constatés.

« En cas d'identification d'écarts entre les femmes et les hommes ne pouvant être expliqués par un écart de performance ou d’ancienneté, la direction mettra en place des mesures pour les réduire au moment de la révision annuelle des salaires.

Actions à mettre en place : compte tenu de la situation, les signataires s'accordent pour contribuer à réduire les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes. »

Document d’études – Dares – 2019 – « L’égalité professionnelle est-elle négociable ? » - Volume 1 85 La prudence contenue dans ces formules peut s’expliquer par la crainte des entreprises de s’exposer à des pénalités ou des contentieux si elles reconnaissaient des écarts de rémunérations, et de devoir dès lors négocier des enveloppes de rattrapage pour les compenser (surtout si elles l'ont déjà fait par le passé). L’absence d’engagement concret montre également leur réticence à s’engager sur la mise en place d’enveloppes de rattrapage. Ainsi, la mesure la plus citée dans le domaine de la Rémunération consiste en l’application (de manière plus ou moins étendue) de l’obligation légale de neutraliser les effets des congés maternité, paternité et parentaux sur les rémunérations des salarié·e·s concerné·e·s (mesure présente dans 61 documents). Cette action n’est cependant, à une exception près, jamais associée à des montants chiffrés. Par ailleurs, dans notre échantillon, seuls 25 textes mentionnent une enveloppe de rattrapage salarial, laquelle n’est chiffrée que dans six cas, avec des montants allant de 500 euros par an à 1,5 million d’euros sur trois ans (figure 25).

Figure 25 - Entreprises définissant dans leur texte une enveloppe chiffrée de rattrapage salarial Entreprise Définition de l’enveloppe de rattrapage salarial

Info-com, Petite entreprise, Accord n°69 - CONSEIL TECH

« Budget et échéancier de ces mesures de rattrapage salarial. Le budget est de 1,5 millions d'euros sur l'exercice triennal 2015-2017. Chaque année, un budget complémentaire sera alloué dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire, compte tenu des préconisations de la commission de suivi de l'accord et de l'expertise annuelle d'estimation des écarts, de manière à atteindre un objectif de suppression des écarts salariaux dans les six années à venir. »

Finance, Grande entreprise, Accord n°151 - MUTUELIA

« À compter de l'année 2016, et chaque année durant la durée de l'accord, l'entreprise consacrera une enveloppe de 0,1 % de la masse salariale brute à la réduction de ces inégalités. Cette enveloppe sera utilisée sur proposition de la DRH aux responsables. »

Info-com, Grande entreprise, Accord n°77 - cas INFO.Inc

« Soucieuse de se doter de moyens financiers dédiés au traitement des éventuels écarts salariaux constatés, les parties conviennent de définir une réserve budgétaire spécifique. Une réserve budgétaire de 0,3 % de la masse salariale du périmètre de population retenu pour la méthodologie, est prévue pour les années fiscales 2015 et 2016. Pour l’année fiscale 2017, une réserve budgétaire de 0,1 % de la masse salariale des salaires retenus pour la méthodologie des entités concernées, est prévue. À titre d’information, la valorisation monétaire de cette réserve totale de 0,4 % de la masse salariale au 31 octobre 2014 sur la période de trois ans (2015-2017) et à effectif constant, représente un montant théorique avoisinant 1,2 millions d’euros. »

Finance, Moyenne entreprise, Accord n°168

« Si à compétence, expérience et ancienneté égales, et pour des salariés effectuant expressément les mêmes tâches tout en ayant le même périmètre de responsabilité, des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes sont objectivement constatés, l'entreprise s'attachera à les réduire le cas échéant. Une enveloppe annuelle de 25 000 euros bruts sera allouée pour l'année 2015 afin de corriger les éventuels écarts. »

Info-com, Petite entreprise, Plan n°82

« Pour le réajustement des rémunérations suite à la nouvelle classification qui interviendra en novembre ou décembre 2015, il est convenu la mise en place d'une enveloppe spécifique dédiée à cet unique objet (donc totalement indépendante de l’enveloppe des augmentations collective et individuelle 2015) d'un montant global de 5 000 euros net de charges patronales pour 2015. »

Agroalimentaire, Petite entreprise, Plan n°109

« Si des différences de salaires non justifiées par des critères objectifs (liés à l'âge, l'ancienneté, la qualification, la fonction) entre les hommes et les femmes dans chacune des catégories socioprofessionnelles, un budget spécifique de 500 euros distinct de celui prévu pour les mesures individuelles sera dédié pour cette année 2015 aux mesures de résorption des écarts. »

Le caractère exceptionnel de ces six cas retient l’attention. L’analyse contextuelle montre qu’il s’agit dans cinq cas d’entreprises présentes sur des marchés dynamiques (finance, informatique et télécommunications) avec un profil de main-d’œuvre majoritairement qualifiée. Cette double caractéristique peut expliquer l’investissement financier consenti non seulement du fait des marges financières disponibles mais également en raison du retour potentiel en termes d’image et d’attraction de « talents », dans un secteur en tension sur les recrutements. Le dernier cas (Plan n° 109) est plus atypique puisqu’il s’agit d’une usine productrice de fromages, en milieu rural, avec une majorité d'ouvrières ; il faut néanmoins préciser que le montant de l’enveloppe allouée au rattrapage salarial est en comparaison faible (1 500 euros sur trois ans). Enfin, dans trois cas sur cinq, il s’agit de PME (de 50 à 299

Document d’études – Dares – 2019 – « L’égalité professionnelle est-elle négociable ? » - Volume 1 86 salariées) filiales de grands groupes. Même si le faible nombre d’entreprises concernées ne permet pas de monter en généralité, l’appartenance à un secteur dynamique et à un groupe semblent favoriser la prise d’engagements financiers en faveur de l’égalité professionnelle65. On notera pour finir que, dans le cas des enveloppes de rattrapage, contrairement à la plupart des mesures déjà analysées, la nature du texte apparaît avoir une incidence. En effet, parmi les six textes mentionnant des enveloppes chiffrées, seuls deux sont le fruit de plans d’action et quatre sont issus d’un accord négocié. Pour les enveloppes non chiffrées, 13 sont contenues dans des accords et 6 dans des plans d’action. En somme, 17 accords contre 8 plans proposent des rattrapages salariaux. La présence de syndicats dans l’entreprise paraît favoriser la mise en œuvre de mesures de rattrapage salarial. Le fait que les montants ne soient pas toujours définis peut d’ailleurs s’expliquer par le renvoi de cette négociation à la NAO.

L’égalité professionnelle, à travers la question centrale des rémunérations, semble être ainsi davantage accompagnée de moyens financiers dans les entreprises relevant de secteurs dynamiques, appartenant à un groupe et où le dialogue social fonctionne.