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Un choix indépendant de la structure des inégalités ?

II. QUELLE APPRÉHENSION DES INÉGALITÉS ?

3. L’influence de l’approche par domaines

3.1. Un choix indépendant de la structure des inégalités ?

La démarche idéale, telle qu’elle transparaît dans la loi, est incrémentale : établir un diagnostic, identifier à partir de ce diagnostic la structure des inégalités spécifique à l’entreprise et enfin mettre en œuvre des actions correctrices dans les domaines identifiés comme problématiques. Quelques rares entreprises fondent effectivement le choix de leurs domaines d’action sur leur situation et décident de ne pas traiter ceux pour lesquels ils n’identifient pas d’inégalités (même si leur diagnostic peut être discuté), comme cette entreprise du commerce de la chaussure.

« On notera que la politique Ressources Humaines prend en compte d'ores et déjà l'ensemble des domaines énoncés par le décret précité.

En matière de formation notamment, aucune différence n'est faite quant à la réalisation de sessions de formation ; compte tenu de la structure de notre effectif, les femmes, en nombre, sont davantage bénéficiaires d'actions de formation.

En ce qui concerne la qualification et la classification, quel que soit le sexe de la personne, l'entreprise a souci d'appliquer la convention collective à laquelle elle est assujettie. Par ailleurs, l'accord de branche pour les magasins succursalistes de la chaussure précise dorénavant les obligations en cette matière.

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Depuis la loi de 2014, les entreprises devraient pouvoir comparer les promotions pour des individus de même ancienneté et niveau de qualification, suivant en cela la jurisprudence autour des méthodes de panel (appelé méthode Clerc, du nom de celui qui l’a élaborée) (Chappe, 2011).

Document d’études – Dares – 2019 – « L’égalité professionnelle est-elle négociable ? » - Volume 1 55

Enfin, sur le sujet de l'articulation de l'activité professionnelle et l'exercice de la responsabilité familiale, celle-ci a déjà été prise en compte puisqu'il existe au sein de l'entreprise la possibilité de bénéficier d'un jour supplémentaire d'absence autorisée et rémunérée si l'enfant est malade.

C'est donc en prenant en compte ces spécificités ainsi que les remarques et demandes des représentants du personnel que les 4 domaines d'action retenus dans cet accord sont les suivants :

- l'embauche

- les conditions de travail - la promotion professionnelle - la rémunération effective. »

[Commerce, Moyenne entreprise, Accord n° 137]

Une entreprise d’installation d’équipements thermiques et de climatisation, qui comporte seulement 8 % de femmes, réalise ainsi un bilan détaillé des actions mises en œuvre dans le cadre du plan précédent et établit, pour le domaine de l’embauche, le constat suivant :

« L'entreprise a également veillé à équilibrer les candidatures d'hommes et de femmes sur des postes traditionnellement ou typiquement masculins ou féminins. À ce titre, l'entreprise a embauché :

- un homme en contrôle de gestion, poste administratif occupé jusqu'à présent, exclusivement par des femmes ;

- une apprentie au service électricité de l'entreprise qui ne compte que des hommes. L'entreprise a ainsi atteint son objectif quant à l'évolution du taux de recrutement féminin au service électricité, fixé à 5 %. »

[Construction, Petite entreprise, Plan n° 1]

Considérant avoir atteint les objectifs fixés dans le précédent plan pour féminiser certaines catégories (avec une seule apprentie), la direction choisit dans le plan de 2015 de remplacer le domaine d’action « embauche » par celui de la « promotion ». Il s’agit là d’un des seuls effets d’apprentissage observés dans les textes, ainsi qu’un des rares cas pour lesquels le choix des domaines d’action est présenté comme résultant d’une analyse de la situation réelle de l’entreprise.

Au contraire, la lecture des textes laisse plutôt apparaître, dans l’ensemble, une déconnexion entre les inégalités constatées et les domaines d’action choisis. On observe d’ailleurs un fort mimétisme dans le choix des domaines. Ainsi, les quatre domaines d’action les plus traités (rémunération, embauche, articulation pro/perso et formation) sont choisis par plus de 2/3 des textes. Sur les domaines prioritaires d'action, on observe peu de distinction entre plans unilatéraux et accords négociés. Le thème de la promotion est néanmoins davantage sélectionné dans les accords (56 % contre 35 %), signés dans des entreprises de plus grande taille, qui peuvent sans doute davantage jouer sur la promotion au sein de leur marché interne (figure 12).

Document d’études – Dares – 2019 – « L’égalité professionnelle est-elle négociable ? » - Volume 1 56 Figure 12 - Domaines d'action choisis, par type de textes

Plans unilatéraux Accords Ensemble

Domaines Effectif % de plans Effectif % d'accords Effectif % de textes

Rémunération 84 95 89 91 173 93 Embauche 64 73 83 85 147 79 Articulation pro/perso 56 64 72 73 128 69 Formation 58 66 66 67 124 67 Promotion 31 35 55 56 86 46 Conditions de travail 16 18 26 27 42 23 Classification 9 10 9 9 18 10 Qualification 4 5 5 5 9 5 Santé et sécurité 0 0 1 1 1 1

Les entreprises semblent soucieuses d’adapter la forme de leur texte à l’approche par domaines proposée par la loi : la plupart des textes sont en effet découpés en chapitres ayant chacun pour titre un domaine d’action. Cependant, sur le fond, les actions présentées dans les chapitres ne correspondent pas toujours au domaine annoncé. De plus, il arrive qu’un domaine soit choisi alors qu’il est explicitement indiqué que l’entreprise ne constate pas de problème sur cette thématique. Ainsi, cette petite entreprise du commerce très féminisée revendique une situation égalitaire dans les domaines du recrutement, de la formation, des conditions de travail et des évolutions professionnelles.

« La politique des ressources humaines en ce qui concerne le recrutement, la formation, les conditions de travail et les évolutions professionnelles est unique : il n'y a pas de différenciation entre les hommes et les femmes. En effet, les annonces ne font état d'aucune discrimination et sont ouvertes tant aux hommes qu'aux femmes. L'entreprise recherche en priorité l'adéquation entre les compétences des candidats et le profil recherché. Les salaires à l'embauche sont fixés en fonction du niveau de responsabilité, de l'autonomie, de l'impact sur le business. Ils tiennent compte également du niveau de formation et d'expérience. Concernant l'évolution professionnelle, ce qui prime, c'est la capacité des personnes à tenir les postes proposés quel que soit leur sexe, et donc de maintenir les personnes en situation de capacité. La nomination à un poste, notamment d'encadrement, se fait en fonction des compétences de la personne. »

[Commerce, Petite entreprise, Accord n° 140 – 83 % de femmes]

Cette entreprise choisit néanmoins de traiter dans son accord l'accès à la formation, les conditions de travail et d'emploi, l’articulation vie privée/vie professionnelle et la rémunération. Inversement, certaines entreprises fournissent des chiffres qui indiquent des inégalités claires et ne traitent pourtant pas les domaines concernés. C’est le cas par exemple des entreprises dont la répartition sexuée des effectifs par catégorie socioprofessionnelle indique qu’il n’y aucune femme parmi les cadres mais qui ne traitent pas la promotion dans leur accord.

L’adaptation des domaines d’action traités aux spécificités de l’entreprise est donc peu visible dans les textes. D’ailleurs, si dans la loi, la taille de l’entreprise sert d’étalon pour définir le nombre minimum de domaines d’actions devant être traités, celle-ci n’a pas d’effet significatif sur l’assortiment des domaines choisis. De même, les domaines traités sont globalement les mêmes qu’il s’agisse d’un accord ou d’un plan d’action.

Document d’études – Dares – 2019 – « L’égalité professionnelle est-elle négociable ? » - Volume 1 57

3.2. L’influence du contexte économique dans le choix des domaines