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Des carrières Marine antichambres de carrières politiques ?

Dans le document Des amiraux au service de Vichy (1940-1944) (Page 186-200)

Le corps des officiers généraux : une cohésion sociale et professionnelle

23. Des carrières Marine antichambres de carrières politiques ?

231. Des marins avec une réelle expérience du service à terre.

Les officiers généraux du corpus ont consacré en moyenne près de trente-cinq ans à la Marine479. Près des quatre cinquième se situent dans la tranche des trente à quarante ans de service :

Temps de service des officiers généraux du corpus.

Parmi les officiers généraux présentant plus de quarante de service, on trouve les amiraux Abrial, Darlan, Fernet, (quarante ans), le V.A.E de Penfentenyo de Kervéréguin deux ans), les amiraux Duplat et Gensoul trois ans) ; l’Al de Laborde (quarante-quatre ans), et l’Al Robert (quarante-sept ans). Parmi les officiers généraux au temps de service les plus bas, on compte le V.A Battet et le C.A Marzin (vingt-sept ans) ; le C.A Auphan, (vingt-huit ans) ; les CA Chomel de Jarnieu et Seguin (vingt-neuf ans) ; le V.A Collinet et le C.A Négadelle (trente ans). La durée de service confirme bien évidemment le phénomène des jeunes cyclistes et des vieux romains mais surtout pose la question de la

479 Le temps de service pris en compte est le plus souvent celui arrêté à janvier 1940. 8

18

15

8

25-30 ans 31-35 ans 36-39 ans 40 et + ans

186 relation avec le monde civil et terrien. Les temps de service à la mer et par déduction à terre permettent de préciser ce point.

D’une façon générale, le temps de service à la mer de l’ensemble des officier généraux représente près de deux tiers du temps de service avec 72.75%480. Assez logiquement, les plus jeunes ont souvent un temps à la mer élevé : sur les vingt-trois officiers entrés à Navale après 1904481, les deux tiers ont un temps de mer supérieur à celui du corpus, oscillant entre 73.33% (V.A Collinet) et 93.10% (le C.A Seguin). Mais à côté de ces jeunes, on trouve aussi des plus anciens comme le V.A Docteur avec plus de 86% de temps à la mer ou encore le V.A Godfroy avec 84.21%. Ces données font aussi apparaître que l’ordonnateur de la « Belle

marine de 1939 »482, l’Al Darlan, n’est pas qu’un officier de ministère : avec près de 72.5% de temps passé à la mer, il est très proche de la moyenne du corpus et il devance le réputé baroudeur l’amiral de Laborde de plus de deux points (70.45%). On peut faire la même remarque pour le C.A Auphan dont les qualités d’organisateur, de penseur de la marine, font oublier trop vite que c’est d’abord un homme de la mer avec 75% de temps service à elle consacrée. Mais ce temps élevé de service à la mer ne peut être réduit à une affaire de génération puisque des différences sensibles apparaissent au sein de même promotion. La promotion de 1898 (les amiraux Duplat, Esteva, Gensoul) voit l’Al Duplat présenté un temps de mer de 62.79% alors que l’Al Gensoul se situe à plus de 74%. Dans la promotion de 1908 (le V.A Gouton et les C.A Barois, Bléhaut, Broussignac, de Belot), le V.A Gouton se situe à 61.29% alors que le C.A Bléhaut est à plus de 87%.

A côté de ces hommes de la mer, d’autres officiers généraux présentent un temps de mer inférieur à celui du corpus, parmi lesquels les amiraux Abrial et Esteva (70% et 69.44%), les

480 Les éléments nécessaires au calcul manquant pour le C.A Hamon et l’Al Robert, le présent ratio ne tient pas compte de ces deux officiers généraux.

481 Non compris le C.A Hamon.

482 Philippe Masson, « La Belle marine de 1939 », André Corvisier (dir.), Histoire militaire de la France, Tome

187 V.A.E Le Luc et Michelier (67.57% et 68.57%). Même si le phénomène de l’ancienneté explique cette situation, il ne faut pas négliger que se dessinent également des profils d’hommes d’état-major avec des officiers comme le V.A.E Decoux (59.46% de temps de service à la mer) dont la carrière se caractérise par près de douze ans en état-major général dont sept ans à la Section études des armements navals ; le V.A.E Fernet (62.5%) qui, en homme du renseignement, passe près de huit ans comme attaché naval et chef du 2ème Bureau483 ; l’Al Duplat (62.79%) qui près de neuf ans alternent des fonctions de DPM, chef du 1er bureau et de secrétaire du CSM et membre de la Commission d’armement. Quoiqu’il en soit, à ce stade de l’analyse484, constatons que l’analyse des temps de service individuels montre ces officiers, même s’ils ont passé en moyenne les deux tiers de leur vie professionnelle en mer, régulièrement en fonction à terre.

483 A cette expérience, on peut ajouter celle de secrétaire du Conseil supérieur de la Défense nationale de septembre 1938 à juin 1940 qui lui a permis de côtoyer les plus hautes instances militaires.

484

188 TM/TS (%) Moyenne du corpus TM/TS(%) Moreau 56,41 72,75 73,33 Collinet Bourragué 59,46 74,42 Gensoul Decoux 59,46 75,00 Auphan Gouton 61,29 76,92 Derrien Marquis 62,16 77,42 Broussignac Fernet 62,50 77,42 de Belot Duplat 62,79 77,78 Marzin Le Loup 63,89 78,38 Lafargue de Penfentenyo de Kervéreguin 64,29 78,79 Bouxin Fenard 64,71 80,65 Barnaud Le Bigot 64,86 81,25 Motet Bard 65,63 81,48 Battet Latham 65,71 81,82 Bérenger

Denis de Rivoyre 66,67 82,76 Chomel de

Jarnieu

Herr Octave 66,67 83,33 Négadelle

Landriau 67,57 83,87 Barois Le Luc 67,57 84,21 Godfroy Michelier 68,57 86,49 Docteur Esteva 69,44 87,10 Bléhaut Abrial 70,00 84,85 Rouyer de Laborde 70,45 93,10 Seguin Ven 71,05 Jardel 71,43 Platon 71,43 Dupré 72,41 Darlan 72,50

189 En moyenne, les officiers ont passé huit ans sept mois à des postes de commandement485. On note une forte amplitude entre l’officier général présentant le moins d’année de commandement, le C.A Marzin (moins de trois ans de commandement) et celui ayant le nombre d’années le plus élevé, le V. A Derrien (treize ans quatre mois). L’ancienneté ne peut expliquer qu’en partie cette situation : l’Al Robert (promotion Ecole navale 1893) présente le même nombre d’année de commandement que le C.A Latham (promotion 1904) ; la relation à l’Al Darlan ne peut non plus rendre compte d’éventuel taux peu élevé : le CA Auphan présente dix années huit mois de commandement tandis que le C.A Marzin présente donc la moins élevée ; le mode de calcul qui revient donc essentiellement à considérer les commandements à la mer pourrait désavantager les officiers généraux ayant de nombreuses années d’état-major : cependant les amiraux Darlan et Abrial sont chacun au-dessus de la moyenne avec respectivement neuf années quatre mois et dix ans onze mois. Ce sont donc plutôt les parcours et les profils des hommes qui peuvent expliquer cet état de fait. Cette moyenne de temps de commandement représente 24.61% du temps de service. L’ancienneté là aussi ne révèle pas de différence notable. Le commandement, associé nécessairement aux valeurs de discipline et d’obéissance, reste donc pour la plupart des officiers généraux une caractéristique forte.

485 N’ont été retenus que les commandements en mer et les emplois assimilés pour leur durée effective à ce commandement, dans le cadre de l’avancement, à savoir : commandement d’unités affectées à des opérations de guerre à terre ; commandement de division navale, de flottille ou d’escadrille ; commandement de la Marine au Maroc, en Syrie, ou aux colonies ; commandement des bases navales à l’étranger ; commandement de l’Ecole navale et de l’Ecole des marins-fusiliers. Loi du 4 mars 1929 portant organisation des différents corps d’officiers de l’armée de mer et du corps des équipages de la Flotte, tableaux A et B.

190 TC en année TC en année Marzin 2,92 8,73 8,92 Bléhaut Bard 3,75 9,08 Moreau Broussignac 4,67 9,33 Abrial Michelier 5,42 9,42 Latham Dupré 5,58 9,42 Robert Le Luc 5,92 9,50 Le Bigot Battet 6,08 9,58 Barois Motet 6,17 9,67 Seguin Denis de Rivoyre 6,25 9,75 Chomel Gouton 6,33 9,83 Jardel Le Loup 6,50 10,00 Marquis Bourragué 6,67 10,08 Esteva Platon 6,83 10,17 Duplat Fenard 7,17 10,17 Lafargue Herr 7,33 10,25 Bouxin Bérenger 7,50 10,67 Auphan Godfroy 7,83 10,83 Docteur Landriau 8,25 10,92 Darlan Négadelle 8,25 10,92 Gensoul Barnaud 8,42 11,08 Collinet Rouyer 8,42 11,25 de Laborde Fernet 8,50 11,50 Penfentenyo de Kervéreguin 12,00 Decoux 13,08 de Belot 13,33 Derrien 13,58 Ven

Temps de commandement (en année).

Pourtant ces hommes au temps de service conséquent et au temps de commandement n’ont pas tous une forte expérience des hautes fonctions. Certes les deux-tiers des officiers du corpus (trente-deux) ont une ancienneté dans le corps des officiers généraux de marine486. Mais a contrario un tiers n’en a aucune (dix-sept), ayant été nommé après l’armistice, pour

191 asseoir leur fonction (comme le C.A Chomel de Jarnieu devenant C.A au moment où il est nommé président de la sous-commission Marine France à la C.A.A) ou en remerciements de leur implication comme le C. A Hamon nommé en juillet 1942 avant d’être versé dans la 2ème section. Parmi ces hommes notons la présence d’officiers qui exercèrent des fonctions civiles importantes comme les C.A Bard, de Belot. De ce groupe « sans expérience » d’officier général, on peut rapprocher quelques officiers qui ont moins d’un an d’expérience et pour certains que quelques jours comme le C.A Auphan, nommé mi-juin 1940. Près des deux tiers (vingt-cinq) ne possèdent qu’une faible voire pas d’expérience du tout des hautes fonctions.

Sans expérience <1 an >1 an

Bard Auphan 0,03 Robert 13,66

Bléhaut Jardel 0,32 de Laborde 11,90

De Belot Leloup 0,57 Esteva 10,90

Dupré Gouton 0,71 Darlan 10,62

Hamon Bouxin 0,73 Herr 10,06

Barois Landriau 0,74 Abrial 9,32

Battet Platon 0,74 Penfentenyo 8,99

Bérenger Lafargue 0,71 Gensoul 7,74

Broussignac Docteur 7,72 Chomel de Jarnieu Le Bigot 7,71 Collinet Duplat 7,58 Denis de Rivoyre Decoux 5,37 Latham Fernet 5,32 Marzin Motet 4,49 Négadelle Marquis 4,42 Rouyer Godfroy 4,41 Seguin Moreau 4,38 Derrien 3,42 Bourragué 3,42 Michelier 3,42 Ven 3,13 Le Luc 3,10 Fenard 1,60 Barnaud 1,08

192 Les officiers généraux ont donc consacré près de trente-cinq ans de leur vie professionnelle à la Marine. Ils passent près de deux tiers de leur service en mer, mais a

contrario passe aussi un tiers de leur temps dans des fonctions qui les amènent à être à terre.

Pour certains ce temps reste relativement élevé : se distinguent alors parmi les officiers des profils d’hommes d’état-major. Ces hommes habitués à commander ne possèdent pas tous, loin s’en faut, l’expérience des hauts commandements en juillet 1940.

232. Les incidences des opérations de guerre sur la culture politique des officiers généraux. Les officiers généraux du corpus appartiennent à une génération qui, de par son entrée au service entre les années 1898-1908, a eu l’occasion de participer aux campagnes et aux conflits de la première moitié du XXe siècle. Si les campagnes d’Asie, révolte des Boxers et guerre russo-japonaise, ont permis à certains d’entre eux comme les amiraux Duplat, et Gensoul de participer à la protection de légations et concessions françaises, étrangères et autres mission chrétiennes, ou si les campagnes du Maroc ont été l’occasion pour certains comme les V.A.E Decoux487, Fernet, Le Luc ou le V.A Barnaud de s’illustrer, la grande affaire en matière de conflit reste le Première Guerre mondiale. La France, du point de vue maritime, s’est vue confiée la direction des opérations en Méditerranée. A partir de 1915, après l’échec de l’opération des Dardanelles et du débarquement de Gallipoli, avec le développement de la guerre sous-marine qui limite les sorties des escadres, et devant la nécessité d’approvisionner en hommes et en vivres le front stabilisé et la métropole, la marine française se concentre sur des taches de logistique et de sécurisation des routes maritimes ( lutte anti-sous marine essentiellement) : la guerre maritime offensive prévue s’efface devant

193 une mission essentiellement défensive488. Les affectations mais aussi les décorations obtenues, les citations et témoignages officiels de satisfaction permettent de reconstituer les parcours de chacun.

Conformément aux dates d’entrée au service, cet épisode concerne tous les officiers du corpus. Il se situe pour la plupart à l’orée de leur carrière : près de la moitié (vingt-quatre) sont enseignes de vaisseaux, six sont aspirants (le V.A Battet et les C.A Auphan, Chomel de Jarnieu, Dupré, Marzin et Négadelle). Leur mission les conduit à intervenir sur les théâtres d’opérations que sont la méditerranée orientale, la mer ionienne (V.A Docteur et CA Cadart), l’Adriatique (l’AL Robert et le V.A Landriau). Certains ont participé aux opérations aux Dardanelles comme l’Al Gensoul, le V.A.E Fernet, le V.A Godfroy et le C.A Chomel de Jarnieu. D’autres ont également été présents en Manche et mer du Nord (C.A Auphan, Denis de Rivoyre et Chomel de Jarnieu). Certains de ces hommes ont connu les combats terrestres en tant que fusilier marin ou canonnier marin489, parmi lesquels, outre l’Al Darlan, on peut citer les V.A.E Le Bigot et Le Luc, le V. A Derrien et les C.A Broussignac, Dupré et Ven. D’autres se sont illustrés dans l’aéronautique maritime comme l’Al de Laborde, le V.A Battet, ou le C.A Latham. Convoyages, évacuations, participation au blocus, poursuites d’U-Boot, opérations de dragages, combats ont été le quotidien de ces hommes490. Les comportements semblent avoir été exemplaires. Pratiquement tous sont décorés d’une des médailles du conflit : médaille des Dardanelles et d’Orient, médaille interalliée ou de la Victoire, médaille du Levant et détenteurs de la croix de guerre 14-18. Les citations à l’ordre de l’armée pour

488 Philippe Masson, « Le combat naval », Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker, (dir.),

Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918, Paris, Bayard, 2004, p. 313-320.

Philippe Masson, « La guerre sous-marine », Ibidem, p. 437-449.

Ibidem, Histoire de la Marine, Tome II, op. cit ., p. 235-280.

Martine Acerra et Jean Meyer, Histoire de la marine française des origines à nos jours, Rennes, Editions Ouest France, 1994, 427 p. et p.309-326.

489 La Marine a cédé à la Guerre des pièces d’artillerie avec le personnel correspondant.

194 l’Al de Laborde (par trois fois, 1915, 1917 et 1918), le V.A.E Le Luc, les C.A Bléhaut, Chomel de Jarnieu, Denis de Rivoyre, Latham, Lafargue ; à l’ordre de leur unité (artillerie de Toul pour l’Al Darlan, régiment pour le C.A Broussignac, escadrille pour le C.A Auphan, et brigade pour le V.A Derrien et le C.A Ven) les actions d’éclat et comportements courageux. Pourtant ces distinctions ne doivent pas faire oublier que pour la Marine, outre des combats bien réels, l’attente et l’inactivité491

et leur corollaire, la frustration, ont été des données importantes de ce conflit. Philippe Masson évoque l’inaction morose dans les rades de Corfou, de Salamine ou de Moudros492. Philippe Lasterle parle de guerre fade493. Ce sentiment de monotonie se retrouve sous la plume du C.A Auphan494, ou du V.A.E Decoux495. Ce conflit reste cependant un temps fort pour ces hommes dont on a vu que plus de la moitié (trente-et-un) a obtenu son premier commandement à cette période. Mais d’autres éléments ont également laissé des traces. Le C.A Auphan écrit, plusieurs dizaines d’années après les faits il est vrai, avoir été frappé de la frivolité des civils pendant que des militaires besognent à la guerre soulignant ainsi l’incompréhension entre les deux mondes496

. Dans les mêmes conditions de distance d’avec les événements, le C.A Chomel de Jarnieu rappelle qu’il fut horrifié du peu de cas qui était fait de la vie des hommes et s’enorgueillit d’avoir pu ramener en 1940 tous ces hommes, à l’exception d’un matelot perdu en mer497

. Les positions du C.A Rouyer dans une étude sur la politique navale d’après-guerre illustrent l’amertume des marins498 devant le désintérêt de la nation pour le rôle de la marine : « L’œuvre maritime des

491 Voir également la tonalité des lettres de Louis Vennin à son épouse. Louis Vennin, Lettres d’un officier de

marine à son épouse (1912-1919), commentées et annotées par Jean-Philippe et Claude Bernard, Paris, Editions

Christian, 2008, 566 p.

492 Philippe Masson, « Les mutineries dans la Marine en 1919 », Revue Historique des Armées, 1999, n°3, p.42-52.

493 Philippe Lasterle, « Marcel Gensoul (1880-1973), un amiral dans la tourmente », op. cit..

494 C.A Auphan, L’honneur de servir, op. cit., p.41-42.

495

Jean Decoux, Adieu Marine, op. cit., p.134.

496 C.A Auphan, L’honneur de servir, op. cit., p.41.

497 Archives privées Al B. Chomel de Jarnieu, C.A Chomel de Jarnieu, Mémoires, op. cit., p.17.

498

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Alliés a été accomplie dans l’ombre, presque sans gloire, et en silence. Les communiqués relatifs à la guerre sur mer ont été rares […] Il en résulte que beaucoup de nos compatriotes attribuent la victoire uniquement à l’action des armées, et certain ont même parfois le sentiment confus et injuste que la guerre a été gagnée " malgré " les déboires de la guerre sous marine […]"malgré" les insuccès sur mer, " malgré " l’insuffisance de notre Marine à laquelle ils n’attachent aucune importance. […] ils ne songent pas que […] l’Allemagne n’a pu recevoir que très peu de marchandises, […] que pendant quatre ans elle n’a reçu par mer ni un soldat, ni un fusil, ni une tonne de matières premières »499. Mais au-delà l’auteur pointe le manque de reconnaissance par le pouvoir politique du rôle de la Marine, matérialisé par l’absence de citation de la Marine dans la loi du 17 novembre 1918500

voté par la Chambre des députés et qui meurtrit ces hommes : « En votant le 11 novembre 1918 cet ordre du jour

qui ne vise que l’œuvre des armées de terre et de la politique, la Chambre des Députés n’a peut- être pas été injuste, car la victoire a été achetée plus avec le sang des soldats qu’avec celui des marins501, mais en passant sous silence l’œuvre de la marine, elle a contribué à laisser l’opinion publique dans l’ignorance d’un des facteurs essentiels du succès : la maîtrise des mers. »502. Pourtant le pouvoir politique a salué le rôle de la Marine : dès le 12 novembre 1918, le président de la République lui rend hommage dans la lettre qu’il adresse au ministre Georges Leygues : « Pendant plus de cinquante longs mois la Marine française

499 SHD-Marine, Toulon, 18S09, fonds privés Rouyer, L.V Rouyer, L’anarchie des idées en politique navale et

la marine française après les accords de Washington, mai 1923, 97 p. et p. 53-54.

500 Philippe Vial (dir.), L’histoire d’une révolution. La Marine depuis 1870, op. cit., p. 55.

501

Pour la marine de guerre française, les pertes humaines s’élèvent à onze mille cinq cents hommes (marins et officiers), auxquelles il faut ajouter deux mille deux cents marins de la marine marchande. Voir Philippe Masson, Histoire de la Marine, Tome II, op. cit., p. 276. Cela représente moins de 1% des pertes humaines françaises, sur la base d’un million trois cent soixante-quinze mille huit cents morts et disparus, chiffre avancé par Jay Winter, « Victimes de la guerre : morts, blessés et invalides », Stéphane Audoin-Rouzeau et Jean-Jacques Becker, (dir.), op. cit., p.1075-1085 et p.1077.

Les pertes matérielles s’élèvent à cent quinze navires : Philippe Vial (dir.), L’histoire d’une révolution. La

Marine depuis 1870, op. cit., p. 53.

502 SHD-Marine, Toulon, 18S09, Fonds privés Rouyer, L.V Rouyer, L’anarchie des idées en politique navale et

la marine française après les accords de Washington, ,op.cit., p. 55. Le C.A Rouyer fait une erreur de date en

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vient de donner l’exemple constant du dévouement héroïque et silencieux au devoir à et la patrie. Avec le concours des marines alliées elle a procuré au pays le moyen de se ravitailler en blé, charbon, en acier ; elle lui a permis ainsi de vivre et de s’armer. Pour remplir cette grande tâche elle a bravé des dangers de tous les instants et accompli de prodiges de valeur et de désintéressement. A L’heure où la victoire illumine et couronne le fort de la France libérée la Marine a droit à une large part de la reconnaissance nationale.»503. Le 4 décembre, une motion de félicitations est votée par la commission parlementaire de la Marine504. En 1920, Georges Leygues a prononcé à la Chambre un discours vivement applaudi portant sur la réhabilitation du rôle de la Marine lors des combats505. Mais tout cela, dans l’esprit des marins, fait figure de rattrapage, qui ne dissimule pas le désintérêt du pays pour la Marine. Les propos du C.A Rouyer expriment bien ce qu’il pense être une forme de désamour de la nation et du pouvoir politique à l’égard de son institution. Ce conflit se prolonge pour la Marine par la période 1918/1919 qui voit les mutineries des marins de la Mer noire et des arsenaux et ports en métropole. Quelques officiers seulement sont directement confrontés à ces événements. En Mer noire seuls l’amiral Docteur (alors C.V) sur la Démocratie et l‘Al Robert (alors C.F) sur le Commandant Rivière ont à faire face aux revendications des équipages. En métropole, à Brest, le V.A.E. Le Bigot (alors L.V) participe à la répression des événements du 2ème dépôt, tandis qu’à Toulon sur la Provence le V.A.E de Penfentenyo de Kervéréguin506 (alors C.C) en tant qu’aide de camp du commandant, doit faire

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