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Chapitre 2 Apports théoriques

2.4 Des apports de la didactique

Parmi les apports didactiques, la théorie des situations didactiques dans l’enseignement élaborée par Brousseau dans les années 1970 a une place importante pour notre réflexion. Cette théorie apporte notamment un éclairage sur les situations d’énumération proposées par Briand (1999) et par Margolinas et ses collaborateurs (2005). Dans cette partie, nous nous appuierons sur l’article « Fondements et méthodes de la didactique des mathématiques » publié en 1986 dans la revue Recherches en Didactique des Mathématiques.

2.4.1 Théorie des situations didactiques d’apprentissage : Brousseau (1986)

2.4.1.1 Situation a-didactique et situation didactique

Brousseau rappelle une conception générale de l’enseignement d’un savoir, celui-ci reposerait sur l’association des « bonnes questions »4 de l’enseignant et des « bonnes

réponses » de l’élève. Ces interactions pour être source d’apprentissage pour l’élève, devraient

se réaliser dans un « milieu qui est facteur de contradictions, de difficultés, de déséquilibres ». En ce sens Brousseau se rapprocherait de Piaget puisque ce milieu engendrerait une nécessaire adaptation, par interactions d’assimilation et accommodation, entraînant de nouvelles réponses comme preuves d’un apprentissage effectif. Cependant, un tel milieu resterait selon Brousseau, insuffisant à l’apprentissage s’il reste dépourvu d’intentions didactiques. L’enseignant doit donc opérer des choix dans les situations proposées à l’élève pour que le milieu lui renvoie des réponses suffisamment efficientes afin de faire évoluer ses actions et réflexions. L’élève devra s’approprier ces situations en comprenant qu’elles sont là pour le faire « agir, parler, réfléchir,

évoluer de son propre mouvement », et en sachant que « la connaissance à construire est entièrement justifiée par la logique interne de la situation ». Ces situations où la connaissance

référence peut être construite uniquement par l’action de l’élève en réponse au milieu, sont des situations dites a-didactiques. Brousseau définit les situations a-didactiques comme des situations spécifiques à un savoir, caractérisant la connaissance dans le sens où ces situations permettent de construire la connaissance référence de manière objective, sans artifice. Il les nomme également situations fondamentales. Selon Brousseau, pour toute connaissance, il existerait au moins une situation fondamentale lui correspondant. Cependant, ces situations a-didactiques ne peuvent pas, pour la plupart, être présentées et résolues telles quelles par les élèves, puisqu’ils n’auraient pas les connaissances suffisantes. L’enseignant doit donc les modifier pour les rendre accessibles. Lorsque les situations a-didactiques sont aménagées, Brousseau les considèrent comme des situations didactiques. L’enseignant modifie la situation fondamentale en lui ajoutant des « artifices didactiques » engendrant ainsi une connaissance parcellaire, avec un sens particulier par rapport à la connaissance de référence visée. C’est pourquoi Brousseau rappelle que ces situations a-didactiques seraient un idéal vers lequel l’enseignant et les élèves devraient converger. En ce sens, Brousseau considère le 4 Toutes les citations en italiques de cette partie Théorie des situations didactiques d’apprentissage : Brousseau (1986) proviennent de l’article Fondements et méthodes de la didactique des mathématiques de G. Brousseau

mathématicien comme un chercheur autonome. Cette posture doit être recherchée par l’enseignant qui doit permettre aux élèves d’être positionné dans cette même situation. Autrement dit l’élève est mis en situation de résoudre des problèmes de manière autonome, sans la présence de l’enseignant. Pour cela l’enseignant doit « effectuer non la communication

d’une connaissance, mais la dévolution du problème ». C’est-à-dire qu’il va rendre responsable

les élèves face au savoir au moment où il donne la situation problème. Nous pouvons préciser que la dévolution doit s’accompagner d’une contextualisation permettant aux élèves de découvrir de manière autonome la réponse au problème mais surtout de retrouver l’arrière-plan de cette situation, c’est-à-dire la connaissance elle-même. Ce passage de la situation offerte aux élèves à leur propre confrontation en solitaire devrait être réalisé avec soin par l’enseignant. Ensuite ce dernier devrait adopter une posture lui permettant de s’effacer de la scène, au sens où il masque son intention d’apporter du savoir, et pose des questions ouvertes axées davantage sur le comment faire et sur la prise d’initiative. Ainsi l’enseignant cherche à rendre indépendant l’élève, pour cela « il communique ou s’abstient de communiquer, selon le cas, des

informations, des questions, des méthodes d’apprentissage des heuristiques etc ». Ce jeu

d’interactions doit amener l’élève à résoudre la situation, et s’il y parvient alors l’apprentissage peut avoir lieu. Les interactions entre l’enseignant et les élèves au sein d’une classe pourraient s’apparenter à une mise en scène d’improvisation où l’enseignant et les élèves sont des acteurs ré-agissant en direct en fonction des propos des uns et des autres. Le caractère imprévisible des interactions au sein de la classe pourrait être une des explications à la difficulté de mettre en œuvre des situations d’apprentissages a-didactiques. Par exemple, Brousseau explique que dans une tâche d’énumération il serait inutile que l’enseignant réalise l’action devant l’élève car cela ne permettrait pas à l’élève d’appréhender le contrôle intellectuel à acquérir pour parvenir au même résultat. Il serait donc essentiel que l’élève puisse construire au maximum seul la réponse à la situation proposée pour qu’il puisse y avoir apprentissage et qu’ensuite l’élève puisse utiliser cette nouvelle connaissance dans des contextes hors enseignement.

2.4.1.2 Le contrat didactique

Cette posture d’élèves chercheurs peut déstabiliser certains élèves qui peuvent refuser ou éviter de résoudre le problème, d’autres peuvent se trouver en échec. Dans ce cas, Brousseau explique que « le maître a alors l’obligation sociale de [les] aider ». Cette aide

apportée implique une relation particulière entre l’enseignant et l’élève aidé et elle est situationnelle au sens où elle est assujettie à la situation didactique. En effet, l’aide apportée par l’enseignant se modifie en fonction du problème à résoudre et des difficultés particulières rencontrées par l’élève. Au sein de cette relation, les rôles, les actions, les attendus sont définis essentiellement de manière implicite, et il y est déterminé la part de responsabilité que chacun porte l’un envers l’autre. Si l’on reprend l’image de la mise en scène d’improvisation, en situation de classe, l’enseignant et les élèves savent le rôle des uns et des autres. Les élèves savent qu’ils vont apprendre des choses par les apports de l’enseignant sans savoir quoi précisément. Selon Brousseau, les élèves, doivent accepter de « résoudre des problèmes dont

on ne [leur] a pas enseigné la solution ». L’enseignant, quant à lui sait qu’il doit apporter des

situations permettant l’apprentissage de ces élèves sans savoir comment les choses vont se dérouler. Selon Brousseau, le professeur doit accepter les résultats et doit assurer « à l’élève les

moyens effectifs de l’acquisition des connaissances ». Ces rôles et ces responsabilités doivent

être acceptés par les deux parties. Brousseau définit ce « système d’obligations réciproques » comme un contrat. De plus, comme nous l’avons vu ce contrat est dépendant des situations didactiques en jeu, des savoirs enseignés, c’est pourquoi Brousseau précise que ce contrat est didactique.

2.4.2 Situation d’apprentissage émancipatrice : Toullec-Théry & Marlot (2013)

L’enseignement d’un savoir implique une recherche de situations permettant à tous les élèves de construire un apprentissage émancipateur. En ce sens, Toullec-Théry et Marlot (2013) considèrent qu’enseigner un savoir à tous les élèves revient à réduire les inégalités existantes entre eux par l’apport de situations ou d’aides permettant de s’en affranchir. Comme nous avons pu le voir pour le contrat didactique définit par Brousseau (1986) certains élèves sont en difficultés pour s’approprier les situations proposées. Dans ce cas différentes aides peuvent être mises en place, par exemple proposer une situation plus simple (dans un problème mathématique modifier la grandeur des nombres en jeu pour simplifier), mettre en mot la difficulté rencontrée par l’élève, donner un temps supplémentaire, organiser des groupes de niveaux pour créer des interactions communes entre groupes d’élèves, montrer l’exemple et guider fortement avec un ajustement à chaque erreur pour amener aux réponses justes, etc. Cependant les aides, les aménagements apportés aux élèves en difficultés par l’enseignant pourraient s’avérer contre-productive, puisque selon les auteurs Toullec-Théry et Marlot

(2013) ceux-ci peuvent éloigner les élèves des enjeux du savoir. En effet les aides ne permettraient pas d’éclaircir, d’expliciter les buts de l’enseignement, ainsi les élèves resteraient sur un malentendu et la différence entre les élèves ne serait pas comblée. En ce sens, les auteurs pensent que certaines situations d’apprentissages amènent les enseignants à créer un effet de

leurre dans le sens ou la focale de l’enseignant est mise sur le « faire réussir » plutôt que sur le

« faire apprendre ». Dans ce cas, la trace écrite de l’élève, ce qu’il a concrètement fait (colorier, écrire, tracer…) devient plus important que ce qu’il a appris. En traitant cette question des aides apportées aux élèves, les auteurs ont pu définir les caractéristiques d’une situation d’apprentissage émancipatrice pour les élèves. Les auteurs se sont appuyés des travaux de Deway (1947, [1916] 1990) pour définir les trois premiers critères, et de leurs propres travaux pour définir le quatrième critère. Nous les exposons ici dans le tableau suivant ainsi que les obstacles à leur réalisation.

Tableau 1 : Les quatre critères d’une situation d’apprentissage émancipatrice (Toullec-Théry & Marlot, 2013)

Critères d’une situation

d’apprentissage émancipatrice Obstacles à sa réalisation 1. Véritable expérience avec le

savoir. Confrontation à des situations par la tâche.Focalisation sur des tâches de bas niveaux (technique, automatisme).

Guidage pas à pas pour réaliser une tâche (contraintes). 2. Continuum expérimental

(les expériences relèvent d’un même but, elles sont connectées).

Fragmentation d’une tâche en partant d’une connaissance simple au complexe, du concret à l’abstrait, entraînant ainsi une succession de tâches réduisant la lisibilité des enjeux, des buts.

3. Les réussites de l’expérience fournissent les prochaines règles.

Focalisation sur des difficultés générales et non pas sur les spécificités de la situation.

4. Renouer avec le temps didactique collectif de la classe. Attention portée sur les objets adéquats.

Recherche d’une réussite immédiate par une trace écrite correcte plutôt qu’une recherche de démarche.

Confrontation à des objets non adéquats : les objets n’ont aucun lien avec les savoirs mobilisés, guidage pas à pas qui amène à une simple réalisation d’une réponse.