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Deuxième partie Entre présence et absence

CHAPITRE 4 Derniers films ?

Woody Allen nie régulièrement entretenir un quelconque souci de postérité. Il nous semble toutefois que les protagonistes des derniers films de notre corpus, de Celebrity à Anything Else, témoignent d’une lutte contre l’inéluctable disparition sinon du personnage allénien, du moins de l’acteur qui l’incarne. Les films ont ceci de particulier qu’ils fixent l’image des acteurs dans tel ou tel rôle : Alvy Singer vient d’entrer dans la quarantaine pour l’éternité (filmique, s’entend), tandis que les auteurs, les acteurs et les spectateurs vieillissent.

A regarder les derniers films de Woody Allen, il semble que ce dernier apporte deux réponses à la question du vieillissement du personnage qu’il a créé, et que les spectateurs ont construit avec lui. Le passage du temps, tel que l’âge le révèle, a constitué dès son premier film un des principaux matériaux avec lesquels il a bâti son personnage, comme en témoignent les figures d’enfants étudiées au chapitre précédent. Oui, le personnage vieillit, et si Woody Allen se maintient dans des emplois d’amoureux, c’est que sa persona comique lui donne une certaine intemporalité. Il n’a jamais rien eu d’un jeune premier : sa séduction était indéniable mais elle était de nature paradoxale. On connaît la bonne vieille recette : faites-les rire ! La première réponse à la question est donc d’assumer le vieillissement de l’acteur, d’en faire même un argument comique dans la logique d’autodérision constitutive du personnage dès l’origine. La seconde, c’est le choix d’un acteur plus jeune comme alter ego. A partir des Bullets Over Broadway, nous allons assister à une alternance de films avec et de films sans l’acteur Woody Allen, selon des modalités dont l’étude va nous permettre d’avancer dans notre réponse à la

question du personnage chez Woody Allen, en commençant par l’examen de ceux dans lesquels Allen se remet lui-même en jeu.

Dans le cadre de ce chapitre, nous comparerons deux groupes de trois films : Mighty Aphrodite (1995), Everyone Says I Love You (1996) et Deconstructing Harry (1997) d’une part, Small Time Crooks (2000), The Curse of the Jade Scorpio (2001) et Hollywood Ending (2002) d’autre part. On le voit à leur date, les films se suivent à l’intérieur de chaque groupe, et les groupes de trois sont encadrés par des films dans lesquels Woody Allen ne joue pas (Bullets Over Broadway en 1994, Celebrity en 1998, Sweet and Lowdown en 1999 et enfin le dernier film de notre corpus, Anything Else en 2003, dans lequel il ne joue pas le rôle principal). Peut-on parler de trilogies à propos de ces deux groupes de films ? Si l’on se réfère à l’étymologie et que l’on entend par trilogie un groupe de trois œuvres « parlant de la même chose », ou tenant le même discours, en d’autres termes s’inscrivant dans une continuité thématique ou narrative ou stylistique, on trouvera le vocable abusif. Dans le cas du premier groupe, on passe d’une sorte de tragédie oedipienne antique transposée sur le mode bouffon dans le Manhattan contemporain aux affres d’un écrivain en panne mêlant des saynètes extraites de ses romans à des épisodes de sa vie dissolue en passant par une comédie musicale.

Dans le second, à un « remake » du Pigeon214 succèdent une réflexion de style burlesque sur la réalisation de films et le sentiment amoureux, puis une histoire d’hypnose, de cambriole et de chamailleries d’amoureux que tout oppose dans le New York du début des années 40. Il s’agit de six comédies, chacune pivotant autour de la question centrale des relations amoureuses, et ayant toutes Woody Allen comme protagoniste, ce qui constitue pour beaucoup une définition a minima d’un « Woody Allen », mais ne suffit pas à isoler des films distincts dans une trilogie. On constate d’ailleurs à la lecture de ces comptes-rendus sommaires que le réalisateur se montre toujours soucieux, trente ans après ses premières armes au cinéma, de faire voyager son personnage à travers le temps ainsi qu’à travers des genres et des styles comiques différents, la parodie, la comédie musicale, le burlesque, la comédie romantique et même cette

« comédie névrosée » qu’on est venu à considérer comme son genre et son style. Toutefois, sans être à proprement parler des trilogies, ces deux groupes de trois films forment des ensembles cohérents au-delà de ces aspects très généraux et de leur succession chronologique : dans tous, Woody Allen négocie l’image de son personnage mûrissant, puis vieillissant, et tous traitent de la question de sa séduction.

Cette dernière formule, volontairement vague, doit se lire comme une tentative d’exprimer ce qui, de notre point de vue, lie ces deux groupes de films entre eux ainsi qu’à

214 Mario Monicelli, I Soliti Ignoti / Le pigeon, Lux Film, 1958.

toute l’œuvre filmique. Mi-plaisant, mi-sérieux, Woody Allen n’hésite pas à confier à Stig Björkman comme à Richard Schickel que, dans sa vie privée comme dans sa carrière, sa motivation la plus profonde a été de séduire « les filles », à la manière du jeune Boris demandant à la Mort, en guise d’interrogation sur l’Au-delà : « Are there girls ? ». Woody Allen n’a jamais enjolivé les formes les plus abruptes, voire les aspects les plus crus du jeu amoureux entre hommes et femmes et la plupart de ses personnages ne font pas mystère d’une forte tendance à l’obsession sexuelle. Dès qu’il voit une fille qui lui plaît, le personnage allénien la veut dans son lit, et y parvient en dépit d’un physique peu conforme aux canons de la séduction virile : cela commence dans Take the Money and Run, quand Virgil Starkwell rencontre Louise au parc, et culmine dans le personnage de Harry Block de Deconstructing Harry. Ce dernier film en témoigne, Woody Allen va hausser cette préoccupation, dont ni lui-même ni ses personnages ne nient la trivialité, au niveau d’une angoisse métaphysique, particulièrement dans les films de cette dernière décennie, où la question de la séduction va se poser avec une urgence proche de la désespérance face à la progression inéluctable de l’âge.

Finies la belle santé et la décontraction dont font preuve au lit215 Fielding Mellish dans Bananas (au point que sa nuit de noce est commentée à la manière d’un évènement sportif, et l’on connaît le goût de Woody Allen pour ce type de spectacle), Allan Felix dans Play It Again Sam (qui a lui aussi recours au sport et évoque un grand champion de baseball au moment suprême) ou Alvy Singer (qui propose à une de ses épouses de faire l’amour devant un match à la télévision dans une chambre à l’écart d’une réunion d’intellectuels mondains) ; Harry Block sent bien que son obsession sexuelle concourt à son incapacité à écrire et, plus largement, à la crise qu’il traverse. Les films du premier groupe défini plus haut montrent, chacun selon des modalités différentes, cette urgence, ce malaise grandissant face à la séduction et à la relation sexuelle, et la perte de la spontanéité et de la facilité qui caractérisaient la représentation de la sexualité dans la plupart des films jusqu’à Hannah and Her Sisters. Qu’au joyeux abandon de la jeunesse succèdent les inquiétudes de l’âge n’a rien de bien original, si ce n’est que dans les deux cas, le personnage comique « Woody Allen » est doté d’une vie sexuelle non seulement explicite, mais visible, attestée à l’écran, ce qui est rare chez les comiques : autres temps, autres mœurs, certes, mais quand dans Les Temps Modernes Charlot et « la Gamine » cohabitent, on ne nous les montre pas ensemble au lit, même au rayon spécialisé du grand magasin. Code de Production oblige, sans doute, mais pas seulement : ce grand obsédé de Groucho Marx passe-t-il jamais vraiment à l’acte ? Le

215 Woody Allen, là encore, est bien « de son temps », témoignant ici de l’euphorie des années de la libération sexuelle.

personnage Woody Allen, lui, ne s’en prive pas, et ce fils de Freud et de la libération sexuelle parvient même à faire du sexe un des principaux ingrédients de son comique. A cet égard, c’est la majorité des films du cinéaste qui pourraient être qualifiés de « Sex Comedies ».

Cependant, après Hannah and her Sisters, le ton change, cela tourne au drame dans September et Another Woman, au tragique dans Crime and Misdemeanors, ou simplement à l’aigre dans la plupart des autres films où se multiplient les histoires d’adultère. Jusque là, si le personnage allénien n’avait jamais adhéré à l’idée qu’un homme et une femme devaient passer toute leur vie ensemble « comme les pingouins ou les catholiques »216, il s’était montré d’une relative franchise envers ses compagnes comme avec lui-même. Le thème de l’infidélité conjugale va contaminer les films dans lesquels il ne joue pas, l’adultère et le mensonge étant les principaux ressorts dramatiques d’Alice217 dans lequel, d’ailleurs, la fougue d’une passion de jeunesse sera opposée à la tiédeur et aux faux-semblants de la vie maritale de l’héroïne.

Même le nostalgique Radio Days, lorsqu’il ne régresse pas vers des formes adolescentes de sexualité218, cantonne les adultes soit à la vie désexualisée des couples de parents219, soit aux frasques mesquines des vedettes de la radio. C’est encore le mensonge et l’adultère qui font l’essentiel de Husbands and Wives, qui illustre bien le changement de ton dans le traitement de la sexualité et plus largement des relations hommes-femmes. Dans ce que nous appellerons la première partie de la « vie sexuelle du personnage allénien », on riait plutôt avec le personnage, qu’il plaisante avec sa compagne après l’amour (« As Balzac said… ‘There goes another novel.’ Jesus you were great. »220) ou qu’il se gagne la sympathie du spectateur souriant de ses déboires. En revanche, c’est des personnages que nous sommes invités à rire dans la seconde, tant est évidente leur mauvaise foi et leur manque d’honnêteté vis-à-vis d’autrui comme d’eux-mêmes. L’enjouement se fait sarcasme, l’ironie légère cède la place à la satire : ce ton nouveau, qui se caractérise également par une crudité grandissante des situations comme du langage, va culminer dans Deconstructing Harry, après deux films que l’on peut voir comme des tentatives de comédies plus enlevées et des essais d’apaisement ou plutôt d’un retour à la drôlerie amorcé dans Bullets Over Broadway.

216 Dixit Isaac Davies dans Manhattan.

217 Dans lequel l’héroïne a comme par hasard rendez-vous avec l’homme qu’elle désire devant le bassin des pingouins…

218 Comme dans la scène où les garnements épient une jeune femme qui danse nue dans sa chambre, et qui s’avèrera être… la remplaçante de leur professeur.

219 Le narrateur dit n’avoir vu ses parents s’embrasser qu’une seule fois, à l’occasion d’un anniversaire, et en guise de scène déshabillée, on a droit au grand père sanglant la grand-mère dans un « combiné » et pestant qu’à soixante-dix ans, cette dernière ait encore la poitrine qui grossisse !

220 Annie Hall.

Ce dernier film, dans lequel Woody Allen n’apparaît pas pour la raison avancée à l’époque qu’il était trop âgé pour le rôle (pour la première fois), est situé à un point stratégique de la filmographie, du moins dans notre optique, puisqu’il précède immédiatement notre première « trilogie ». Si sa thématique est elle aussi largement axée sur la duperie et le mensonge221, il renoue avec une forme de comédie nettement moins grinçante que Husbands and Wives et bien moins noire que Shadows and Fog. Les personnages comme leurs actes bénéficient d’une mise à distance grâce aux nombreux décalages caractérisant la diégèse, que ce soit dans le temps (l’action se déroule dans les années trente), les lieux et circonstances (tout se passe dans le milieu du théâtre) comme dans le genre, le style et le ton. L’humour noir domine dans ce qui s’apparente par moments à une parodie des films de gangsters du début des années trente. Tout finit paradoxalement bien, les yeux du héros finalement se dessillent.

A la fin, c’est à nouveau avec lui que nous rions, et non plus de lui. Ce ton plus léger, cette comédie paradoxalement plus franche et cet apparent apaisement caractérisent les deux films qui suivent, les deux premiers du premier groupe de trois films mettant en scène les problèmes du vieillissement du personnage Woody Allen. Rappelons aussi que les trois films du premier groupe sont liés par le fait que le protagoniste y joue un rôle de père, une paternité problématique dans le cas du premier et du troisième. Il ne cesse toutefois pas pour autant d’y jouer un rôle d’amant, et de s’y montrer encore comme un séducteur, selon des modalités différentes d’un film à l’autre.

Dans Mighty Aphrodite, le père prend clairement le pas sur l’amant : les images qui montrent Lenny et Amanda Weinrib heureux décrivent soit les premiers temps de leur mariage, mais sous un mode nostalgique, car elles sont évoquées par Lenny au moment où l’idylle se brise, soit leur bonheur de parents. La seule scène qui les met effectivement aux prises222 au lit, pourtant une des plus explicites qu’ait jamais tournées Allen, est située dans la période de crise de leur couple, alors qu’Amanda s’éloigne de plus en plus de lui professionnellement et sentimentalement, au point de céder aux avances d’un admirateur très pressant. Nous l’avons dit, les personnages alléniens sont sexuellement actifs, et rares sont les

221 Le héros trompe sa femme, sa femme le trompe, la petite amie du gangster commanditaire trompe ce dernier… mais surtout le héros se trompe sur ses talents de dramaturge.

222 L’expression n’est pas exagéré : le parallèle entre le sport et le sexe est fréquent dans les films de Woody Allen, d’autant plus qu’ici, Lenny Weinrib est journaliste sportif. On le verra plusieurs fois dans une salle de boxe, à des moments clés du film : lorsque sa femme lui annonce au téléphone qu’elle a trouvé un bébé à adopter et quand il demande à une de ses relations s’il pourrait lui trouver des renseignements sur la femme qu’il soupçonne être la mère biologique de son fils. C’est là aussi qu’il trouve le jeune boxeur qu’il estime être le partenaire idéal de cette dernière, qu’il voudrait tirer de la prostitution. On se rappelle que dans Bananas, la nuit de noces de Fielding Mellish était mise en scène et commentée comme un match de boxe.

films ne comportant pas une, voire plusieurs scènes de lit, une évidence dans la mesure où les relations entre hommes et femmes constituent l’essentiel de leur thématique. Ces scènes méritent toutefois qu’on s’y arrête : si l’on compare celles de Mighty Aphrodite à celles de Annie Hall, on peut relever des constantes et des évolutions dans l’attitude des protagonistes incarnés par Woody Allen vis-à-vis des relations sexuelles. Dans ce dernier film, les scènes de lit sont nombreuses, dans la mesure où sont évoquées les femmes de la vie d’Alvy Singer avant et après sa liaison avec Annie, et même au cours d’une période intermédiaire de rupture, même si, pour cette dernière, il est difficile de parler de « femmes de sa vie », puisque ne nous sont montrées que deux brèves rencontres qui tournent au fiasco. Il n’y a rien d’étonnant à ce que les ébats ne satisfaisant pas leurs partenaires abondent dans un film ayant pour thème principal ce que les relations amoureuses ont d’éphémère, et certaines scènes sont très proches des déboires de Lenny et d’Amanda. La première femme d’Alvy interrompt leurs ébats, puis s’y dérobe, et la journaliste de Rolling Stone, avec laquelle Alvy couche pour se distraire de sa rupture avec Annie, n’a pas l’air plus comblé qu’Amanda. N’oublions pas que les rebuffades sont constitutives de la persona d’un schlemiehl. La différence, c’est que dans Annie Hall la responsabilité du fiasco n’est généralement pas imputée à Alvy, même par ses partenaires qui reconnaissent leur frigidité ainsi que la bonne volonté d’Alvy. La journaliste lui adresse même ce remerciement paradoxal : « Sex with you is really a Kafkaesque experience. (…) I mean that as a compliment. » Ces échecs font partie de la comédie, nous rions de bon cœur de l’absurdité de ces situations où le personnage, en se ridiculisant, se dote de toute sa force comique. Dans Annie Hall la représentation de la relation sexuelle engendre la gaieté, que ce soit celle des personnages dans les « bonnes » scènes de lit avec Annie, ou celle des spectateurs s’amusant des déboires d’Alvy223, souvent mis en scène avec beaucoup d’humour.

Le ton change dans Mighty Aphrodite : quand dans Annie Hall la quasi impossibilité qu’il y a pour des partenaires, même très amoureux, d’être exactement synchrones et d’atteindre une parfaite harmonie donnait lieu à des bons mots et à des représentations amusantes (Annie se dédouble et va dessiner sur une chaise pendant que son corps s’ébat avec Alvy : « ANNIE : While you two are doing that, I think I’m gonna do some drawing. ALVY : You see, that’s what I call removed. »), ici c’est l’exaspération qui domine et si rire il y a, il est grinçant et aux dépens de Lenny à qui Amanda reproche de « tâtonner » (« You were fumbling ! ») quand il s’excuse de ne pas « le » trouver (« What do you mean, you couldn’t find it ?»). On retrouve ici la froideur et l’insatisfaction tournant à l’aigreur qui dominaient dans les relations

223 Pardon de la crudité, mais « peine à jouir » serait une bonne traduction de anhedonia, un des titres pressentis pour le film en raison de l’incapacité à être heureux de son « anti hédoniste » de personnage principal.

sexuelles entre époux de ces « scènes de la vie conjugales » que constitue Husbands and Wives, même si le ton nettement plus allègre dénote un retour en force de la comédie qui rapproche plus Lenny d’Alvy Singer que de Gabe Roth. Au fond, c’est le même mal qui accable Lenny et Alvy, puisque ce qui rend ce dernier incapable de vraiment jouir de la vie, et la cause de son hybris, de son dérèglement, c’est son souci obsessionnel de la perfection : impossible de voir un film si on a manqué le début, même s’il s’agit des premières secondes d’un générique en suédois, impossible de faire l’amour avec Annie si celle-ci a un tant soit peu la tête ailleurs… Quant à Lenny, l’éloignement de sa compagne, la prise de distance qu’implique le travail du temps sur un couple passant du statut d’amoureux à celui de parents plus si jeunes que ça, lui font perdre ses repères et ses talents d’amant. L’expérience kafkaïenne, encore et toujours, du petit homme qui voudrait tout contrôler et à qui tout échappe, sauf que la source et la nature de l’ironie le visant se sont déplacées. Alvy comme Lenny sont des personnages de fiction et des avatars de la persona allénienne, mais tandis qu’Alvy est présenté comme un « caractère » façon La Bruyère, inadapté à un environnement vraisemblable, c’est toute l’histoire de Lenny que le chœur antique de l’ouverture nous annonce comme un cas d’école. Le personnage en tant que tel est au départ plus « réaliste » que celui d’Alvy, comme si un homme ordinaire se retrouvait plongé dans une de ces machines infernales que sont les tragédies antiques, ou les films. Alvy est encore en grande partie un personnage unidimensionnel que son « caractère » ou la façon dont il est

sexuelles entre époux de ces « scènes de la vie conjugales » que constitue Husbands and Wives, même si le ton nettement plus allègre dénote un retour en force de la comédie qui rapproche plus Lenny d’Alvy Singer que de Gabe Roth. Au fond, c’est le même mal qui accable Lenny et Alvy, puisque ce qui rend ce dernier incapable de vraiment jouir de la vie, et la cause de son hybris, de son dérèglement, c’est son souci obsessionnel de la perfection : impossible de voir un film si on a manqué le début, même s’il s’agit des premières secondes d’un générique en suédois, impossible de faire l’amour avec Annie si celle-ci a un tant soit peu la tête ailleurs… Quant à Lenny, l’éloignement de sa compagne, la prise de distance qu’implique le travail du temps sur un couple passant du statut d’amoureux à celui de parents plus si jeunes que ça, lui font perdre ses repères et ses talents d’amant. L’expérience kafkaïenne, encore et toujours, du petit homme qui voudrait tout contrôler et à qui tout échappe, sauf que la source et la nature de l’ironie le visant se sont déplacées. Alvy comme Lenny sont des personnages de fiction et des avatars de la persona allénienne, mais tandis qu’Alvy est présenté comme un « caractère » façon La Bruyère, inadapté à un environnement vraisemblable, c’est toute l’histoire de Lenny que le chœur antique de l’ouverture nous annonce comme un cas d’école. Le personnage en tant que tel est au départ plus « réaliste » que celui d’Alvy, comme si un homme ordinaire se retrouvait plongé dans une de ces machines infernales que sont les tragédies antiques, ou les films. Alvy est encore en grande partie un personnage unidimensionnel que son « caractère » ou la façon dont il est

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