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II. LE FRANÇAIS ENSEIGNE AU LYCEE

1. De l’approche singulière aux approches plurielles

1.1. L’approche singulière dans l’enseignement des langues

L’enseignement des langues dans le système éducatif français repose sur un apprentissage des langues selon une norme plutôt monolingue, dans une perspective de maîtrise des langues (Perregaux, 2006, p. 3). Les enseignants se spécialisant dans l’enseignement d’une langue, ils les enseignent comme des entités séparées. Il considère que l’apprenant doit avoir une maîtrise égale à celle d’un locuteur natif dans la langue qu’il enseigne et que par conséquent, il ne peut enseigner que la langue qu’il domine. Cette langue qu’il enseigne vise un apprentissage de compétences monolingues (LV1, LV2, LV3).

Cet enseignement cloisonné des langues correspond à ce que l’on appelle aujourd’hui « l’approche singulière » par opposition aux approches plurielles :

Nous les opposons [les approches plurielles] aux approches que l’on pourrait appeler « singulières » dans lesquelles le seul objet d’attention pris en compte dans la démarche didactique est une langue ou une culture particulière, prise isolément (Candelier, 2007, p. 3).

Michel Candelier précise que :

Ces approches singulières ont été tout particulièrement valorisées lorsque les méthodes structurales puis « communicatives » se sont développées et que toute traduction, tout recours à la langue première étaient bannis de l’enseignement (Candelier, 2007, p. 3).

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Or, dans la didactique des langues appliquée dans le système éducatif français, le recours à la langue première n’a jamais été interdit, au contraire recommandé. Si « le seul objet d’attention est une langue ou une culture particulière, prise isolément » dans l’enseignement des langues vivantes en France, la raison en est davantage la conception monolingue qui perdure dans un système et une société mettant en avant la langue de l’école et de la nation.

Cette vision se traduit dans l’enseignement des langues par une juxtaposition des langues apprises dans « une logique linéaire cumulative, à savoir l'apprentissage d'une langue L1 puis L2 » (Montagne-Macaire, 2008, p. 19).

L’enseignement des langues concerne uniquement les langues étrangères, ce que l’on appelle dans le système secondaire, langues vivantes (l’anglais, l’espagnol, l’allemand…). Le français ne fait partie de cet enseignement que dans les structures qui accueillent les ENA (Elèves nouvellement arrivés en France). On parle alors de « français langue étrangère » et de « français langue seconde ». Pour ce qui est du français enseigné au travers de la matière « français », son enseignement relève de la « didactique du français », autrement dit du « français langue maternelle ». L’isolement du FLM entraîne un double cloisonnement, entre la didactique des langues et la didactique du français, entre la didactique du français (FLM) et la didactique du FLE/FLS, qui favorise l’approche singulière dans l’enseignement du français. A cela s’ajoute le statut du français dans le système scolaire français, langue première/maternelle et langue de scolarisation contribuant à la réussite scolaire et sociale et à l’intégration des élèves dans la société française qu’il faut maîtriser dans la perspective d’un locuteur natif.

Malgré la reconnaissance d’une société multilingue et d’élèves plurilingues, le développement de la didactique du plurilinguisme en didactique des langues et la « transformation du français comme discipline, notamment en construisant les liens de la didactique du français avec les autres langues » (Bertucci, 2007, p. 51), restent encore à envisager dans un système scolaire qui a du mal à évoluer dans le sens de la pluralité.

1.2. De l’enseignement bilingue : vers une alternance des langues

L’articulation des enseignements de langues a d’abord vu le jour dans l’enseignement bilingue qui se propose d’enseigner deux langues en enseignant dans deux langues. Il ne s’agit pas de séparer les langues mais de viser l’intégration entre les langues elles-mêmes et entre les langues et les disciplines.

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Dans le système éducatif français, cet enseignement est avant tout « conçu comme l’enseignement de disciplines non-linguistiques dans plus d’une langue – qu’il s’agisse (pour L. Gajo) d’un « enseignement complet d’une ou de plusieurs disciplines dans une langue seconde » ou pour D. Moore d’une « référence au modèle valdôtain » justifiée entre autres par le fait que l’on « apprend mieux les langues en les sollicitant au travers d’activités disciplinaires, qui permettent de leur donner un véritable statut communicatif » (Candelier & Castellotti, 2012, p. 3).

Cependant, cet enseignement bilingue type DNL ou EMILE peine à s’intéresser aux systèmes linguistiques leur préférant les contenus disciplinaires de sciences dures, expérimentales, humaines et ce, malgré l’alternance raisonnée des langues. Il ne parvient pas à utiliser les disciplines autres que linguistiques pour construire et développer les connaissances linguistiques bien que l’y encouragent les principes didactiques (la mise en relation des objectifs et des contenus de la discipline, des méthodologies et des stratégies d’apprentissage, des langues L1 et L2) et les types d’alternance (la macro-alternance, l’alternance séquentielle et la micro-alternance16) (Duverger, 2007). Selon Jean Duverger (2007), il reste à didactiser l’alternance des langues afin que les deux langues s’enseignent en même temps que les disciplines.

Le risque de ce genre d’enseignement est de voir se renforcer le bilinguisme au détriment du plurilinguisme et de tendre vers un bilinguisme qu’on voudrait « parfait » plutôt que de construire le plurilinguisme dans son déséquilibre. Le « bi- linguisme » qui se fonde sur une conception binaire de l’apprentissage des langues (langues en équilibre ou en déséquilibre, en dialogue ou en opposition) distingue la langue source (langue première/maternelle) et la langue cible (langue étrangère/seconde) et les confronte dans un idéal de compétences équilibrées. Le « pluri-linguisme » qui suppose l’acquisition/apprentissage de plus de deux langues dépasse l’idéal de compétences égales en langues et se construit sur des compétences partielles et hétérogènes (Coste & Moore & Zarate, 1997, 2009).

C’est ce qui se passe au lycée français de San Salvador où l’enseignement bilingue relève davantage d’un dispositif en immersion que d’un enseignement par alternance, où les disciplines du programme français sont enseignées en français et celles du programme salvadorien en espagnol. Il rappelle en effet le cloisonnement des langues et des disciplines de

16 Les types d’alternance sont :

• une macro - alternance, d’ordre structurel, qui concerne la programmation générale des cours,

• une alternance séquentielle, sorte de méso - alternance, la plus délicate sans doute à maîtriser, qui se met en place tout au long de l’unité didactique,

• une micro - alternance, qui se réfère aux courts passages d’une langue à l’autre, non programmable, d’ordre très conjoncturelle (Duverger, 2007, p. 4).

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ce type d’enseignement tendant vers deux enseignements monolingues, évoqué par Daniel Coste (2008).

Selon Michel Candelier (2008, p. 75), « l'enseignement bilingue ne peut s'inscrire dans la didactique du plurilinguisme que s'il y a un travail comparatif entre les langues ».

1.3. Didactique du plurilinguisme et approches plurielles

Depuis une décennie, l’éducation plurilingue est au centre des politiques linguistiques éducatives en Europe. Le Guide pour les politiques linguistiques éducatives en Europe (Beacco & Byram, 2003) définit les orientations en matière de diversité linguistique pour la société et de plurilinguisme pour les individus. Il propose des démarches pour développer la formation plurilingue et l’éducation au plurilinguisme. L’éducation plurilingue passe par un renouvellement et une diversification des apprentissages et des enseignements. Les approches singulières jusqu’ici privilégiées cèdent du terrain pour laisser place à des approches didactiques qui visent au décloisonnement non seulement linguistique mais aussi disciplinaire. Ainsi la didactique du plurilinguisme et les approches plurielles des langues et des cultures modifient la conception de l’enseignement des langues dans le système scolaire français, basé traditionnellement sur la séparation des langues et des disciplines.

La didactique du plurilinguisme, en tant que didactique, se réfère aussi bien aux mesures, objectifs, moyens mis en œuvre, qu’aux compétences à acquérir ou aux processus d’apprentissage. Les « approche(s) plurielle(s) » se limitent aux activités et matériaux visant à favoriser la didactique du plurilinguisme. En ce sens, la didactique du plurilinguisme englobe les approches plurielles des langues et des cultures (Candelier & Castellotti, 2012, p. 5).

Ceci dit, dans son article « Approches plurielles, didactiques du plurilinguisme : le même et l’autre », Michel Candelier (2008) rapproche les deux expressions pour rappeler que les deux seules différences entre la didactique du plurilinguisme et les approches plurielles résideraient dans l’approche particulière de l’éveil aux langues et dans le refus d’accorder à la didactique intégrée des langues uniquement la dimension d’une DNL (ou EMILE) caractéristique de l’enseignement bi-plurilingue. Il précise surtout que les approches plurielles comme la didactique du plurilinguisme visent à une « conception globale de l’enseignement- apprentissage des langues et cultures [qui] représente un des moyens privilégiés de la mise en place du plurilinguisme, [plus précisément de la compétence plurilingue et pluriculturelle],

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réponse apportée par le Conseil de l’Europe aux défis de la diversité et de la cohésion sociale » (Candelier, 2007, p. 3).

Par conséquent, les approches plurielles et la didactique du plurilinguisme se distinguent surtout des approches « singulières » :

Nous appelons « approches plurielles des langues et des cultures », des approches didactiques qui mettent en œuvre des activités d’enseignement- apprentissage qui impliquent à la fois plusieurs (= plus d’une) variétés linguistiques et culturelles (Candelier, 2007, p. 3).

Au-delà des divergences conceptuelles qui peuvent apparaître dans la définition de la didactique du plurilinguisme et des approches plurielles, ce qui importe, selon Michel Candelier (2008), c’est l’articulation qui existe entre les deux notions et la différence entre les approches plurielles et les approches singulières.