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De l’influence inattendue du traducteur sur son entourage

Dans le document Traduire Revue française de la traduction (Page 113-116)

Florence Lesur

1 En cette période de turbulences économiques, sociales, climatiques et pondérales, il est facile de se laisser gagner par la sinistrose. Pourtant, à rebours des oiseaux de mauvais augure, il me semble important de savoir remarquer les choses qui vont bien. Certes, notre retraite fout le camp, les clients tirent les prix vers le bas et un jour, nous aussi, nous considérerons les outils de traduction automatique comme un élément indispensable de notre panoplie professionnelle. Cependant, cela pourrait être pire.

D’une part, le comité de rédaction de Traduire a eu l’heureuse idée de consacrer un numéro à l’œnologie et à la gastronomie, deux disciplines qui illustrent merveilleusement l’art du bien-vivre et les plaisirs de notre condition humaine. D’autre part, il faut reconnaître que, si nous sommes devenus traductrices ou traducteurs, c’est aussi par inclination pour ce métier : amour un brin obsessionnel du mot juste, affinités plus ou moins perfectionnistes avec la recherche et engouement irrépressible pour les langues étrangères et ce qu’elles ont à nous dire (ne serait-ce que pour épater votre douce moitié1 lors de vos escapades à l’étranger).

2 Soyons po-si-tifs. Au-delà de notre contribution à la sûreté des installations nucléaires ou à l’utilisation des appareils électriques sans faire disjoncter tout le quartier, nous avons également un réel pouvoir, souvent insoupçonné : chaque jour, nous rendons témoignage de notre métier. Nous ancrons le travail du traducteur ou de l’interprète dans la réalité et le lavons des fantasmes et autres idées fausses que véhiculent la télévision, le cinéma ou l’inconscient collectif. En vous entendant regretter la disparition des truculents régionalismes dans la version française des œuvres de Diana Gabaldon, rectifier, hilare, les pseudo-interprétations de Nelson Monfort ou répondre invariablement « ça dépend du contexte » quand on vous demande ce que veut dire telle ou telle expression entendue dans le dernier tube à la mode, votre douce moitié enregistre inconsciemment des notions essentielles de notre métier2.

3 La preuve en est qu’un jour, vous l’entendrez pester contre les sous-titres, parce qu’ils ne rendent pas tout le sens des paroles prononcées. S’insurger que la personne engagée comme interprète le soir de l’élection du pape aurait dû connaître le Notre Père et le Je

vous salue Marie (même si lui ou elle serait incapable de les réciter). Expliquer doctement à vos amis communs qu’on ne traduit bien que vers sa langue maternelle. Ou mettre en garde une cliente, sur un marché : ce n’est pas parce qu’on aime les langues qu’on peut s’improviser traducteur. La traduction, c’est un métier et ça s’apprend.

4 Si, si, c’est possible. La première fois, il se peut que vous soyez surpris. Sans doute est-il préférable, d’ailleurs, que vous n’ayez rien dans la bouche à ce moment-là, les risques de s’étrangler ou de tout recracher étant élevés. Mais, petit à petit, vous finirez par vous y habituer. Et par apprécier à sa juste valeur ce début de reconnaissance de notre métier. C’est si bon d’être au moins deux pour lutter contre l’ignorance du reste du monde3.

NOTES

1. Aux fins du présent article, on entend par « douce moitié » la personne qui partage votre vie à un instant T, sans préjugé aucun quant à la nature, la durée ou la légitimité de vos relations.

2. Attention tout de même : le fait d’enregistrer ces notions n’implique pas nécessairement un accueil enthousiaste et reconnaissant de vos commentaires intempestifs, interruptions et autres digressions. Sachez faire preuve de mesure et de discernement.

3. Pour faire progresser la cause de notre profession, vous pouvez aussi adhérer à un syndicat tel que la SFT. Cette option présente un intérêt incontestable et de nombreux avantages, mais n’a rien à voir avec le présent hommage à toutes nos douces et moins douces moitiés qui contribuent elles aussi, parfois, à leur manière, à notre promotion.

AUTEUR

FLORENCE LESUR

Florence Lesur est auteur et traductrice freelance de l’anglais et du russe vers le français.

Spécialisée dans l'informatique et les textes institutionnels, elle s’échappe d’une écriture formatée en rédigeant chaque semaine sur Facebook de courts textes d’invention (Les Billets de Florence) pour nourrir son activité d’écrivain. Elle est également déléguée de la SFT pour la région Rhône-Alpes et s’investit en particulier dans l’organisation de formations pour traducteurs.

Rétrospective N° 21

Maurice Voituriez

1 Commençons par une note humoristique : une consœur, Debbie Charkham, aborde le thème des délais, cauchemar de notre profession, et établit un programme hebdomadaire pour les traductions urgentes. Donnons-lui la parole, ou plus exactement traduisons-la car son article était écrit en anglais :

« Voici un calendrier spécial pour le traitement des travaux urgents. Tous devant être réalisés la veille de leur réception, nous prenons les jours en marche arrière.

Ainsi un client peut passer commande le septième jour et recevoir la traduction le troisième jour :

– Chaque client veut son texte pour le vendredi. On crée donc une semaine des trois vendredis.

– On a cinq nouvelles journées en fin de mois, en vue des travaux “de fin de mois”.

– Nul n’aimant travailler le lundi, ce jour est supprimé. N’en parlons plus !

– Il n’y a plus de samedi ni de dimanche car nul n’aime non plus travailler ces jours-là. N’en parlons plus !

– Il y a un jour de travail hebdomadaire. C’est le MIRDAY, en français : MIRDI. C’est en effet le jour du miracle ! »

2 Regrettons seulement que MIRDI sonne mal dans notre langue et évoque le mot de Cambronne. Nous pourrions suggérer à notre amie un travail hebdomadaire de deux heures seulement, donc « de midi à quatorze heures ».

3 Passons maintenant à des choses plus sérieuses. Geoffrey Kingscott s’intéresse à la place des traducteurs dans la littérature. Il cite le Greek Interpreter de Conan Doyle et quelques autres romans. Parmi les auteurs français, La planète des singes de Pierre Boulle. Kingscott s’étonne du fait que les singes s’y expriment en anglo-américain. C’est la liberté du romancier que de les faire parler cette langue… même au mépris de la francophonie !

4 Dès lors qu’on aborde l’histoire, le rôle de l’interprète ne peut être négligé. Lors de la conquête du Canada, Jacques Cartier fit appel à des Indiens iroquois et leur enseigna le français pour qu’ils lui servent d’interprètes lors d’expéditions futures.

5 Bien plus récemment, le procès de Nuremberg, ouvert en 1945, donna à l’interprétation une importance jamais atteinte. Le nombre des accusés, celui des langues à interpréter (français, anglais, russe, allemand), la durée des témoignages, réquisitoires et

plaidoiries – tout cela nécessita un recrutement sélectif et des installations considérables, préfigurant les organisations internationales actuelles.

6 Kingscott cite le livre Statist auf diplomatischer Bühne de Paul Schmidt, interprète d’Hitler et cofondateur après la guerre de l’association allemande des traducteurs (BdÜ

1).

7 On peut mentionner aussi Kind meiner Zeit de Hans Jacob, interprète à l’UNESCO, ainsi que l’ouvrage que Kingscott n’a pu citer car il est paru en 1995, à savoir Der Kanzler und der General de Hermann Kusterer, interprète d’Adenauer (et traducteur du général de Gaulle). Nous-même avons eu le plaisir de traduire en français ce livre, paru en 2001 sous le titre Le général et le chancelier.

8 On a souvent dit que la traduction et l’interprétation avaient peu de « vedettes ».

9 Schmidt, Kusterer, Mayer (interprète du général) ont joui d’une certaine notoriété mais, à côté d’eux, combien « d’obscurs et de sans-grade » ! Les traducteurs sont parvenus, non sans mal en France, à exiger que leurs noms soient cités par les éditeurs et la critique. La SFT a joué un rôle important dans cette évolution.

10 Par contre, nos métiers ne sont pas sans risque. Paul Schmidt connut quelques problèmes après 1945 et fut impliqué – contre son gré – dans l’affaire royale belge vers 1950.

11 Il y a plus grave : dans notre revue, nous avons traité en 1989 du problème des Versets sataniques de Rushdie. Le traducteur (néerlandais, sauf erreur) de ce livre avait fait l’objet de menaces de mort. Bien évidemment, il n’est pas acceptable qu’un écrivain soit menacé de mort pour ses écrits. Il l’est encore moins qu’un traducteur – auteur certes mais dans une moindre mesure – subisse les mêmes menaces. Heureusement le cas est rare mais aujourd’hui, comme alors, il serait dangereux d’écrire – et de publier – certains ouvrages, parus aux États-Unis par exemple, et consacrés à des thèmes historiques contemporains. Ce n’est pas l’État qui interviendrait directement, mais il existe bon nombre d’organismes qui veillent et pour lesquels la liberté d’expression n’est pas la valeur suprême.

12 Mais – comme disait Kipling – cela est une autre histoire !

NOTES

1. Bundesverband der Dolmetscher und Übersetzer.

Dans le document Traduire Revue française de la traduction (Page 113-116)