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4.3 Imputation des valeurs manquantes

4.3.2 Dates de transition entre arrangements

Le fait que les arrangements de temps parental ne soient observés qu’au mo- ment de la séparation et des passages de l’enquête donne une forme très spécifique aux données disponibles. Pour chaque enfant dont les parents se sont séparés ou qui est né hors union, l’information sur le temps parental prend l’allure d’une série d’arrangements entrecoupée de longues périodes où l’arrangement demeure dans les faits inobservé (voir figure 4.1).

Figure 4.1 – Format de l’information disponible à propos des arrangements de temps parental dans l’ÉLDEQ (exemple fictif)

Parents ensemble Na is s a n c e 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 Séparation Passages de l’ÉLDEQ

: Déclaration d’une double résidence

: Déclaration d’une résidence maternelle avec contacts père-enfant réguliers Transition no 1

: Arrangement de temps parental non observé : Déclaration d’une résidence paternelle

Transition no 2 Arrangement

inconnu

X

Avec ce genre de données, il est malheureusement impossible de savoir quand la transition entre deux types d’arrangements a eu lieu ; on sait uniquement que l’enfant était dans un arrangement x au temps t et dans un arrangement y au temps t + 1. En analyse de survie, on appelle censure par intervalle cette impréci- sion à propos du moment où la transition se produit – Courgeau et Najim (1995) préfèrent l’expression « biographies fragmentaires ». Cette forme de censure se distingue de la censure à gauche (l’événement s’est produit à une date inconnue

avant le début de la période d’observation) et de la censure à droite (l’événement ne s’est pas encore produit lorsque la période d’observation se termine). Ici, la transition se produit à une date inconnue entre deux bornes connues. Dans le cas représenté à la figure 4.1, une première transition a lieu entre les passages 8 et 9 et une seconde entre les passages 12 et 13.

Si la présence de censure par intervalle ou de trous dans les séries de données n’est pas nouvelle – c’est le lot de la plupart des mesures dans les enquêtes à passages répétées – elle prescrit l’utilisation de méthodes d’analyse généralement peu usitées en sciences sociales. En effet, la plupart des outils de l’analyse de survie, comme l’estimateur de Kaplan-Meier ou le modèle de Cox, ont été développés pour traiter le problème de la censure à droite et ne peuvent pas être utilisés en présence de censure par intervalle. De même, l’analyse de séquences n’est pas appropriée pour des trajectoires comportant de grandes périodes où l’état de l’individu est inconnu.

Il existe différentes façons de traiter ce problème. Un premier serait d’employer des techniques d’analyse développées spécifiquement pour prendre en compte la censure par intervalle (voir Zhang et Sun, 2010, pour une vue d’ensemble plus technique et Gomez et al., 2009, pour des exemples appliqués). Ces techniques sont cependant encore peu intégrées dans les logiciels d’analyse statistique les plus connus35 et leurs propriétés statistiques n’ont pas encore été étudiées de fa-

çon extensive. Une solution alternative parfois employée est de simplement faire comme si la transition s’était produite au début, au milieu ou à la fin de l’inter- valle. Il s’agit là en quelque sorte d’une forme d’imputation simple et elle comporte le même défaut : la date de transition imputée est analysée comme si elle était véritablement connue. De plus, cela vient réduire de manière substantielle la va- riance de la durée des épisodes. Encore une fois, j’ai choisi de traiter le problème en effectuant des imputations multiples : à 25 reprises, les dates de transition ont été imputées de façon aléatoire entre les deux bornes connues de l’intervalle. L’im- putation multiple s’est déjà révélée être une façon simple et efficace de traiter la censure par intervalle (Chen et Sun, 2010). Des analyses préliminaires réalisées sur les courbes de survie du premier article ont montré que les résultats obtenus avec l’estimateur de Turnbull (1976), spécifiquement développé pour tenir compte de 35. Seul le logiciel libre R propose des fonctionnalités en ce sens, SAS, Stata et SPSS ne le font toujours pas.

la censure par intervalle, et l’estimateur de Kaplan-Meier, en faisant l’hypothèse de transitions survenant au milieu des intervalles ou de façon aléatoire, sont très similaires et mènent aux mêmes conclusions [résultats non montrés].

Une hypothèse importante sous-tend le processus d’imputation : une seule transition peut survenir au cours de chaque intervalle. Autrement dit, on fait l’hy- pothèse que tous les épisodes, même de très courte durée, ont été enregistrés par la série de mesures transversales décrites plus haut et qu’il n’y a donc pas de tran- sitions cachées (hidden) ou enchâssées (embededd) (voir Laditka et Wolf, 1998). Cette hypothèse a peu de chances de tenir en réalité et, par conséquent, la durée de chaque épisode est vraisemblablement surestimée alors que la fréquence des transitions est, elle, probablement sous-estimée. Rappelons toutefois que l’ÉL- DEQ, avec ses treize passages en quinze ans, est probablement une des seules enquêtes dans le monde à offrir une aussi forte densité de mesures d’arrangements de temps parental, et donc que ces problèmes sont ici minimaux par rapport à ce qu’ils pourraient être dans une autre enquête longitudinale.

Une exception à la règle d’une transition par intervalle a été faite dans des cir- constances particulières. Elle concerne les transitions entre des arrangements qui ne sont pas adjacents sur le continuum d’arrangements de temps parental ordon- nés en fonction de la fréquence des contacts père-enfant (voir figure 4.2). Même si, entre deux passages successifs de l’ÉLDEQ, des transitions ont été observées entre chaque paire d’arrangements parmi ces quatre, j’ai fait l’hypothèse simpli- ficatrice que le véritable processus de transition se déroule uniquement le long de ce continuum. Le fait que des transitions entre arrangements non adjacents aient été observées doit être mis sur le compte d’un enregistrement discontinu du pro- cessus. Cette hypothèse a été rendue nécessaire par le petit nombre de ce type de transitions qui conduisait à estimer, dans l’article 2 (chapitre 6), des probabilités de transitions à partir de très petits numérateurs.

Figure 4.2 – Continuum d’arrangements de temps parental ordonnés selon la fréquence des contacts père-enfant

Résidence maternelle (peu ou pas de contacts père-enfant) Résidence maternelle (contacts père-enfant réguliers) Double résidence Résidence paternelle

Même si elle peut sembler restrictive, cette hypothèse d’un continuum peut facilement être soutenue théoriquement. En effet, contrairement à des événements comme les naissances ou les décès, les transitions entre arrangements de temps parental ne peuvent être mesurées de façon instantanée puisque ces arrangements sont eux-mêmes définis par rapport à une période de temps donnée (généralement de deux semaines ou d’un mois) qui permet de tenir compte de l’alternance entre les résidences et des profils de contact parent-enfant. En conséquence, même des changements apparemment drastiques, d’une extrémité à l’autre du continuum, peuvent être décomposés en une série de plus petits changements se déroulant dans l’axe du continuum. C’est ce que la figure4.3 tente de représenter graphiquement. Soit, par exemple, une période de cinq semaines consécutives où l’arrangement de temps parental d’un enfant passe de résidence paternelle pendant les semaines 1 et 2 à résidence maternelle sans contact père-enfant au cours des semaines 3, 4 et 5. La période correspondant aux semaines 2 et 3 pourrait alors très bien être décrite comme une double résidence, alors que la période de deux semaines couvrant les semaines 2,5 à 4,5 pourrait être décrite comme une résidence maternelle avec contacts père-enfant réguliers.

Figure 4.3 – Exemple de décomposition d’une transition entre arrangements non adjacents sur le continuum

Résidence paternelle

Résidence maternelle

(peu ou pas de contacts père- enfant)

Résidence paternelle

Résidence maternelle

(peu ou pas de contacts père- enfant)

Résidence maternelle

(contacts père-enfant réguliers)

Double résidence Arrangements déclarés Fenêtre d’observation mobile de deux semaines