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Chapitre V. Etude de l’impact de la variation de végétation

V. D.2. Relation entre les processus écosystémiques

La décomposition des litières a souvent été utilisée pour étudier les impacts de la sylviculture sur le fonctionnement des écosystèmes de ruisseaux. Cependant, les résultats issus de travaux antérieurs indiquent que les coupes forestières sur les terres en amont et la rive ont des effets très variables sur les taux de décomposition des litières, et ceci même lorsque les pratiques de gestion forestières sont similaires (p. ex. Hladyz et al., 2010; Lecerf et

al., 2012).Nos résultats vont également dans ce sens, le taux de décomposition des litières

étant à la fois inchangé entre les types de forêt (paire 1), plus faible (paire 2) ou plus élevé (paire 3) dans les sites FSP que dans les sites FM (Figure V.4.c et d). Le fort couplage entre le taux de décomposition des litières et la densité des déchiqueteurs (Tableau V.5) montre que les déchiqueteurs sont directement impliqués dans le processus. Les assemblages de déchiqueteurs présents dans les sacs de litière comprenaient des déchiqueteurs facultatifs

(Gammarus, Leuctridae, Nemouridae) connus pour consommer d’autres ressources que les

feuilles mortes et des déchiqueteurs spécialisés (Potamophylax and Sericostoma) dépendant presque exclusivement des feuilles mortes comme ressource alimentaire (Dangles, 2002b).

L’occurrence régulière des déchiqueteurs spécialisés suggère la présence de ressources de

feuilles mortes dans les zones de dépôt au cours de la période d’étude. En été, les

accumulations de débris sont composés de litières peu dégradées, notamment de feuilles (hêtre) tombées en automne, et de feuilles fraichement tombées (apports verticaux de litière

évalués en Juillet 2011 sur 3 cours d’eau FM et 3 FSP en Montagne Noire : 34 g masse sèche

de litière.m-2.mois-1 et 7 g masse sèche de litière.m-2.mois-1, respectivement ; données

non-publiées). D'autres études ont démontré l’importance de ces chutes estivales de feuilles dans

les forêts de feuillus (Richardson, 1992; Hoover et al., 2011).

La décomposition des litières dans les ruisseaux est plus souvent estimée dans les

zones d’érosion telles que les radiers, alors que les zones de dépôt sont évitées en raison du

risque d’enfouissement des sacs de litière. Cependant, les zones de dépôt peuvent être des

lieux privilégiés de décomposition des litières (p. ex. Kobayashi et Kagaya, 2005). Cette idée est soutenue par les taux extrêmement élevés de décomposition des litières qui ont été relevés

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dans cette étude (jusqu'à 0,41 jour-1). En comparaison, les taux de décomposition de feuilles

d’aulne exposées dans des sacs à litières de grosses mailles placés dans des radiers sont

généralement inférieures à 0,1 jour-1 (p. ex. Gessner et Chauvet, 2002; Hladyz et al., 2010).

Dans les zones de dépôt, le remaniement sédimentaire peut contribuer à maintenir un taux élevé de décomposition des litières comme le suggère la congruence partielle entre le taux de remaniement sédimentaire de surface et le taux de décomposition des litières (Figure V.5). La bioirrigation, quant à elle, peut améliorer le conditionnement et la minéralisation des feuilles

mortes par les décomposeurs microbiens à travers l’augmentation du transfert de nutriments

du sédiment vers les feuilles mortes (Mermillod-Blondin, 2011; Hunting et al., 2012). De plus, le déblayage du sédiment de la surface des feuilles mortes par les invertébrés peut

réduire les effets néfastes de la sédimentation et de l’enfouissement de la litière sur le taux de

décomposition (Creed et al., 2010; Sanpera-Calbet et al., 2012).

Sericostoma était le seul taxon impliqué à la fois dans le remaniement sédimentaire de

surface et dans la décomposition des litières. Aussi, ces deux processus dépendent

d'assemblages d‘invertébrés taxinomiquement distincts avec des traits de réponse

potentiellement différents. Toutefois, cela ne signifie pas que ces processus ne devraient pas varier de façon congruente. En effet, la litière de feuilles était la principale source d'énergie pour les réseaux trophiques des ruisseaux densément couverts par la canopée de la ripisylve. Par conséquent, l'activité de remaniement sédimentaire des invertébrés, notamment des prédateurs remanieurs (Glossiphonia, Cordulegaster, Odontocerum albicorne, Sialis,

Dicranota, Hexatoma), requiert d’être alimentée par l'énergie libérée à partir de la litière de feuilles et incorporée dans le compartiment détritivore sous forme de biomasse (Wallace et

al., 1997). Cette hypothèse de contrôle par le bas ("bottom-up") est soutenue par la relation

positive entre les taux de remaniement sédimentaire de surface et de décomposition des litières dans les ruisseaux de forêt mature (FM). La disparition de cette relation en forêt au stade précoce (FSP) peut, en outre, indiquer que les invertébrés remanieurs recourent à des sources d'énergie alternatives dans les ruisseaux sous canopée ouverte. Dans ces cours d'eau, la production primaire autochtone n'est pas négligeable et doit contribuer de manière significative aux flux d'énergie dans les réseaux trophiques de ruisseau (Vannote et al., 1980; Finlay, 2001). Par conséquent, la consommation de proies herbivores par les prédateurs remanieurs pourrait expliquer pourquoi les taux de remaniement sédimentaire de surface corrigés par la température étaient plus élevés dans les sites FSP que dans les sites FM lorsque

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V.E. Conclusion du chapitre

En conclusion, cette étude montre comment la structure et les processus des zones de dépôt dans les ruisseaux peuvent améliorer notre compréhension de l'écologie des cours d'eau. Les invertébrés benthiques dans ces habitats semblent être très sensibles aux changements de forêt, et en particulier aux conséquences de ces changements sur la température. Ce facteur

écologique façonne la structure et la diversité des communautés d’invertébrés des cours d'eau.

La ripisylve semble déterminer également le taux de remaniement de sédiments fins par les

invertébrés, sous-entendant l’existence d’une piste intéressante selon laquelle les usages des

zones riveraines peuvent affecter indirectement les processus écologiques et

géomorphologiques dans les ruisseaux de tête de bassin. Dans notre étude, les effets d'un changement de stade de végétation riveraine sur le taux de décomposition sont très variables et ne soutiennent pas l'hypothèse selon laquelle la sylviculture réduit la dynamique de la matière organique dans les ruisseaux. Néanmoins, comme suggéré dans des études antérieures (Kobayashi et Kagaya, 2005), les déchiqueteurs des zones de dépôt peuvent entretenir un flux d'énergie très rapide de la litière de feuilles vers les niveaux trophiques supérieurs et ainsi masquer un effet de la sylviculture. Pour finir, même si elles ne représentent qu'une petite fraction de l'habitat benthique, les zones de dépôt ont le potentiel de renforcer les liens forêt-ruisseau.

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