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d) Maximiser les dimensions : profil idéal 

Dans l’absolu une dimension n’est ni bonne ni mauvaise. S’il semble être du bon sens de tendre vers une viscosité minimale, il faut considérer le fait que la viscosité est une dimension et non un problème, avec des implications selon son importance. Par ailleurs, vouloir maximiser une dimension se fait généralement au détriment d’une ou plusieurs autres. Par exemple, on peut réduire la viscosité en augmentant les coûts d’abstractions et d’engagement prématuré. Il faut savoir faire des compromis, une dimension ne s'ajuste pas arbitrairement et en changer une risque d'affecter les autres (Figure 14), comme en physique : changer la température d'un corps va changer son volume, sauf s'il est compressé auquel cas c'est sa pression qui va changer (T. R. G. Green & Petre, 1996). Dans le milieu des systèmes critiques il peut être nécessaire d’avoir des systèmes visqueux et compliqués à apprendre afin de limiter leur utilisation à ceux qui savent l’utiliser. La pire combinaison de dimensions possible combine viscosité et engagement prématuré (T. R. G. Green, 1989) : l’utilisateur devant faire des suppositions préalables (engagement prématuré) pour découvrir plus tard que corriger ces suppositions est coûteux en temps ou en effort (viscosité).

Figure 14. Les liens entre dimensions indiquent les compromis possibles : ajuster l’une de ces dimensions peut avoir des répercussions celles qui lui sont liées (T. Green & Blackwell, 1998, fig. 20)

Il est donc important de comprendre les relations entre dimensions. Une façon d’envisager de bonnes interactions serait peut-être d’essayer de maximiser les dimensions qui supportent aux mieux les activités cibles. Green et Blackwell présentent dans (Cognitive Dimensions of Information Artefacts: a tutorial, 1998) un tableau récapitulatif des dimensions et de leur impact sur les différentes activités de l’utilisateur (Figure 15), ainsi que des « design manœuvres », c'est-à-dire des solutions possibles pour augmenter ou réduire une dimension dans le but de résoudre un problème donné (Figure 16). 3

Figure 15. Table des activités de l’utilisateur. (T. Green & Blackwell, 1998, fig. 19).

3 La notation secondaire est une dimension qui se caractérise par l’information supplémentaire

apportée par d’autres moyens que la syntaxe officielle (indentation dans les programmes, groupement de chiffres de téléphones deux par deux). La visibilité c’est la capacité à voir les composants facilement, la juxtaposition c’est celle de placer n’importe quels éléments côtes à côtes.

Il est évident que pour favoriser au mieux les activités de conception exploratoire ainsi que de modification, la viscosité doit être la plus basse possible. Permettre des abstractions est utile, il ne faut pas cependant qu’elles soient imposées au risque de contraindre l’utilisateur.

Figure 16. Table des manœuvres de conception (T. Green & Blackwell, 1998, p. 43).

2. La conception exploratoire

La conception exploratoire est donc l’activité majoritairement ciblée par nos travaux. L’utilisateur ne sait pas quel est encore l’état final, il est dans un processus créatif et les objectifs peuvent changer à tout moment, nécessitant de procéder à des modifications du travail préalablement fait. Des chercheurs se sont efforcés de comprendre et de définir des mécanismes dans les systèmes pour qu’ils supportent et améliorent ce processus.

Par exemple, (Terry & Mynatt, 2002a) ont présenté trois cas d’études pour démontrer les besoins typiques des utilisateurs, lorsqu’ils progressent dans les tâches dites « open-ended ». Ces trois cas d’études démontrent quels sont les besoins des utilisateurs afin de supporter la conception exploratoire : Expérimenter, explorer des variations, et évaluer. L’utilisateur a besoin d’expérimenter pour mieux comprendre le

problème et les options disponibles, de générer des variations pour attaquer le problème sous plusieurs angles et d’évaluer ses efforts pour réfléchir sur sa progression et s'informer des actions futures. Le besoin d’expérimentation à court- terme est important pour des tâches ouvertes. Savoir quelle est la prochaine action à faire peut demander un certain effort : l’utilisateur peut ne pas savoir quelle commande invoquer ainsi que les paramètres optimaux. Il doit faire des hypothèses sur ce qu’il doit faire ensuite et teste ces hypothèses en invoquant une commande et en ajustant ses paramètres pour obtenir le résultat escompté. Dès que ce résultat est disponible (par le résultat de l’action, ou par une prévisualisation de celui-ci), l’utilisateur peut alors l’accepter, ou bien l’ajuster à nouveau, ou alors l’annuler et essayer autre chose. Tandis que l’expérimentation à court-terme aide l’utilisateur dans le choix des commandes, il peut y avoir des situations où une exploration plus profonde est nécessaire (Terry, Mynatt, Nakakoji, & Yamamoto, 2004). La variation, un support aux versions, permet alors de mieux comprendre le problème et ses frontières et de découvrir d’autres solutions potentielles. Et enfin, faciliter l’évaluation permet à l’utilisateur d’expérimenter avec plus d’aisance. Par exemple, offrir une prévisualisation de commande demande moins d’efforts que d’appliquer réellement la commande, puis d’évaluer son résultat, et de l’annuler ensuite.

Les cas d’études de Terry et Mynatt portaient sur différents aspects inhérents à la conception exploratoire, révélant des processus fortement itératifs ainsi que la nécessité de maintenir plusieurs versions d’un même design. Une technique adoptée par l’utilisateur consiste à faire des copies du travail en cours afin d’explorer d’autres possibilités en profondeur. Afin d’évaluer le résultat d’une opération, une utilisation répétée des commandes annuler et refaire permet de révéler très brièvement des différences entre les versions courantes et précédentes. Ces techniques permettent à l’utilisateur d'évaluer le résultat de ses actions à différentes échelles, variant les niveaux de détails et via des représentations multiples. Utiliser les commandes annuler et refaire pour générer des variations est problématique à cause de sa nature éphémère : il n'existe qu'une seule version à la fois, rendant la comparaison difficile, il s’agit d’une comparaison faite dans le temps et non dans l’espace. Nous sommes alors témoins d’une utilisation détournée des outils mis à dispositions (annuler et refaire, ou multiplication des fichiers) pour pouvoir faire de l’exploration. Des outils permettant l’utilisation de calques (comme des outils de dessin vectoriels tels qu’Illustrator, InkScape, Paint.Net etc.) peuvent aider plus facilement à la gestion de versions, même s’il s’agit là encore d’une utilisation détournée de la fonctionnalité première, puisqu’ils permettent plus facilement le changement d’une version à une autre. Cela ne permet là

encore qu’une comparaison dans le temps et non dans l’espace : il n’est pas possible de comparer deux designs côte à côte. Lorsque les outils ne permettent pas nativement de comparer des versions d’un design (dimension cognitive : visibilité/juxtaposition), l’utilisateur doit gérer lui-même ses versions.

Bien sûr le mécanisme des actions réversibles est une fonctionnalité indispensable à la conception exploratoire, ou plus spécifiquement : la possibilité de revenir à un état précédent car la solution explorée ne convient pas. Ce mécanisme autorise l’utilisateur à prendre des risques ce qui lui permet d’explorer sans crainte d’avoir à tout recommencer s’il commet une erreur. Notons que la correction d’erreurs est un critère d’ergonomie (Bastien & Scapin, 1993). (Fekete, 1996) présente l’annulation comme étant l’un des trois services indispensables à l’IHM.

B. Paradigmes d’interaction

La manipulation directe ainsi que l’interaction instrumentale sont des techniques efficaces pour interagir avec un objet simple : elles réduisent le nombre d’actions requises comparées à d’autres techniques telles que les lignes de commandes ; le dialogue conversationnel, ou les interactions modales. Les principes de conception appliqués à l’interaction instrumentale, tels que la réification (transformer un concept en objet), le polymorphisme (appliquer une même opération à différentes classes d’objets) et la réutilisation (de sélections passées et de précédents résultats d’interactions) étendent le pouvoir d’action sur des objets multiples.

1. La manipulation directe

L’un des principes d’interaction les plus répandus dans les applications graphiques actuelles depuis de nombreuses années est celui de la manipulation directe (Shneiderman, 1987).