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b) Principes de conception : Réification, Polymorphisme, Réutilisation 

(Beaudouin-Lafon & Mackay, 2000) présentent trois principes pour la conception d’interfaces visuelles. La réification est le processus qui transforme des concepts en objets, par exemple : dans un éditeur graphique, le concept de création de cercle est réifié en un instrument représenté par l’image d’un cercle dans une palette d’outil, qui

une fois sélectionné, est « tenu en main » par l’utilisateur. La réification crée de nouveaux objets qui peuvent être manipulés par l’utilisateur, ainsi elle augmente l’ensemble des objets d’intérêts.

Le polymorphisme est une propriété qui permet à une commande simple de s’appliquer sur des objets de nature différente, ce qui a pour avantage de maintenir un nombre limité de commandes. Il s’agit d’une propriété essentielle permettant de garder des interfaces simples, tout en augmentant son pouvoir. En guise d’exemple : les commandes de copier/coller sont polymorphiques puisqu’elles peuvent s’appliquer aussi bien à du texte qu’à une image ou encore des fichiers.

La réutilisation est un principe qui implique une entrée précédente, une sortie précédente, voire les deux afin de les rendre accessibles pour une utilisation future. Ce concept se combine bien avec le polymorphisme. Cela permet de « capturer » des schémas d’utilisation sous la forme d’objets et de commandes, et de les réappliquer avec des paramètres différents. Par exemple, dans un outil disposant des fonctionnalités annuler et refaire, la commande refaire peut être réutilisée indéfiniment afin de reproduire la dernière action réalisée autant de fois que nécessaire.

3. Synthèse sur les paradigmes d’interaction

La manipulation directe et l’interaction instrumentale sont des techniques d’interaction efficaces pour manipuler des objets individuels : elles réduisent le nombre d’actions requises par rapport à d’autres techniques telles que les lignes de commandes, le dialogue conversationnel ou les interactions modales. Mais étant inspirés de métaphores du monde réel, ces principes en ont également certaines limites : l’accès à des objets significativement trop petits ou non visibles implique un effort de recherche et entrave la capacité de désignation, le manque de prédictibilité des interactions avec des objets multiples est limitant pour la conception exploratoire, et l’impossibilité de manipuler des propriétés non-réifiées (comme l’espacement entre deux objets) induit un pouvoir d’action limité.

Les principes de conception, en lien avec l’interaction instrumentale, tels que la réification (transformer un objet en un concept manipulable), le polymorphisme (appliquer une même opération à différentes classes d’objets) et la réutilisation (de sélections précédentes et de résultats d’interactions) permettre d’étendre le pouvoir d’action d’un utilisateur à des objets multiples. Nous nous appuyons sur les principes de conception et ceux de la manipulation directe et de l’interaction instrumentale, afin d’élaborer des techniques d’interaction pouvant répondre aux besoins des utilisateurs

que nous avons identifiés. Pour cela nous avons au préalable étudié des techniques d’interaction existantes afin d’analyser en quoi elles ne couvrent pas intégralement ces besoins.

C. Techniques d’interaction

Dans les éditeurs graphiques traditionnels, il existe des techniques d’interaction qui permettent à l’utilisateur de structurer son travail et ainsi d’interagir avec un ensemble d’objet à la fois. Les groupes, par exemple, permettent d’appliquer des opérations à l’ensemble des objets le constituant. Qu’elles soient WIMP ou Post-WIMP4, nous nous

sommes intéressés aux techniques qui offrent un plus grand pouvoir d’action et qui favorisent la conception exploratoire.

1. Techniques d’interaction pour manipuler plusieurs objets

Il est courant d’utiliser, dans les éditeurs graphiques traditionnels, des outils qui permettent à l’utilisateur d’agir sur plusieurs objets à la fois, tels que les groupes (utilisables dans les outils de dessin, par exemple Illustrator) qui permettent de réaliser des opérations sur tous les objets du groupe, les styles des éditeurs de texte, ou encore les masters (par exemple des masques de diapositive dans PowerPoint).

a) Groupes 

Les utilisateurs peuvent créer des groupes d’objets à partir d’un ensemble d’objets préalablement sélectionnés et agir directement sur le groupe. Cela permet de modifier une propriété donnée de chacun de ses consistants en agissant qu’une seule fois sur le groupe. « Les groupes permettent aux utilisateurs de travailler à un plus haut niveau d’abstraction, ce qui augmente le pouvoir de l’interface » (Beaudouin-Lafon & Mackay, 2000). Cependant, la seule opération disponible pour un groupe est celle qui permet de dégrouper ses objets (dégrouper a pour effet de sélectionner tous les objets après avoir supprimé le groupe). Il est donc possible de créer des groupes et de les détruire, mais pas de les modifier : il n’est pas possible d’ajouter ou de supprimer un élément par exemple. Pour ce faire, il est donc obligatoire de supprimer le groupe, et de le recréer sans les éléments qui étaient à supprimer, et avec ceux qui devaient être ajoutés. Ce processus est donc coûteux puisque le nombre d’actions à effectuer pour interagir avec le groupe n’est pas minimal.

4 Les techniques Post-WIMP sortent du carcan « fenêtres, icones, menus et dispositifs de

pointage » en proposant des interactions basées sur la gestuelle comme les « Marking Menus », des outils semi-transparents et déplaçables, ou encore l’interaction bi-manuelle. Les techniques Post-WIMP se veulent plus concises et directes que les techniques WIMP (Dragicevic, 2004).

Figure 18. Transformation d'un groupe temporaire en groupe permanent dans Kabuki. (Tabart, Conversy, Vinot, & Athènes, 2009, fig. 4). L’utilisateur saisit le groupe temporaire et le fait glisser

dans une partie de l’interface où il sera sauvegardé en tant que groupe permanent.

Kabuki, un outil d’aide à la conception de rendu graphiques, permet de créer des groupes de propriétés graphiques afin de modifier ces propriétés en minimisant les interactions (Tabart et al., 2009). Certains groupes ne sont utiles que le temps de réaliser des opérations sur ses objets, c’est pourquoi Kabuki offre la possibilité de créer des groupes temporaires, ou transitoires (durant quelques secondes). Ces groupes de nature éphémère ne perdureront que le temps nécessaire pour réaliser ces opérations. Par ailleurs il est possible de transformer un groupe temporaire en groupe permanent et vice-versa à l’aide d’une interaction de glisser-déposer (Figure 18). Ces notions de groupes temporaires et permanents étendent la capacité d’action sur les groupes et facilitent la structuration d’une scène.

La sélection peut se voir comme un groupe éphémère, dans le sens où elle ne perdure que jusqu’à la prochaine sélection. Ce type de groupe est doté des fonctionnalités d’ajout et de retrait qui se font traditionnellement en maintenant la touche « shift » ou la touche « ctrl » du clavier et en cliquant sur les objets individuellement. Certains outils offrent la possibilité de créer des ensembles hétérogènes, mais limitent les opérations à des propriétés spécifiques, par exemple avec des translations, rotations, déformations : tous les éléments sont transformés selon la transformation spécifiée. Utiliser des groupes n’est alors pas plus compliqué qu’utiliser des objets individuels dès l’instant ou une même interaction peut s’appliquer sur l’un ou l’autre. En revanche dans certains

logiciels, d’autres opérations (par exemple, changer la couleur) peuvent ne pas être réalisées sur un groupe, vraisemblablement parce que l’opération ne peut pas s’appliquer à certains des éléments du groupe (l’opération est alors « grisée » pour indiquer qu’elle ne peut pas être utilisée). Ceci force l’utilisateur à dégrouper et à appliquer l’opération sur chacun des objets. Dans ce cas de figure, l’interaction avec la structure n’est pas bien intégrée avec l’interaction avec le contenu.

Le concept de groupe est intéressant dans le sens où il résulte d’une combinaison de réification et de polymorphisme, tout en encourageant la réutilisation puisque cela induit une intention de travailler ultérieurement avec cet ensemble d’objets (Beaudouin-Lafon & Mackay, 2000). Dans CPN2000, un éditeur de réseaux de Petri ayant pour particularité de ne pas disposer de mécanisme de sélection (Beaudouin- Lafon et al., 2001), plusieurs aspects prennent avantage de la notion de groupe : les « folders » représentent des groupes de pages, les guides magnétiques forment des groupes d’objets selon des contraintes géométriques (Figure 19), et les styles des groupes d’objets partageant des propriétés graphiques.

Figure 19. Exemple d’interface utilisant les guides magnétiques. Le cercle bleu déplacé par la souris est attiré par le guide magnétique vertical à proximité. Une opération peut être appliquée à un guide afin de modifier tous les objets attachés, par exemple, la couleur magenta a été donnée au

Des groupes peuvent être inclus dans d’autres groupes, créant ainsi des arbres ou des hiérarchies. Il n’y a cependant que très peu de support à la gestion de ces hiérarchies, à la navigation dans la hiérarchie de parents (Maloney & Smith, 1995) et aux structures arborescentes dans les éditeurs graphiques (tels que Inkscape or Illustrator). Une « treeview » permet à l’utilisateur de rétablir des liens de parenté entre éléments avec du glisser-déposer, cependant d’autres opérations ne sont pas autorisées, comme appliquer une couleur à un nœud afin de changer tous les fils.