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Développement d’une représentation spatiale basée sur la vision

Article 3: Effects of hyperthermic seizures on the developing primary visual cortex of the

3. Représentation spatiale basée sur la vision

3.3. Développement d’une représentation spatiale basée sur la vision

Contrairement à la mesure de l'acuité visuelle chez le rat par un paradigme de choix forcé, l'estimation de la capacité de navigation vers une cible par la mesure du délai d’atteinte d’une plate-forme dans la piscine de Morris (1984) est possible peu après l'ouverture des paupières. L'acquisition de la capacité de navigation indicée, i.e. d’atteinte d'une plate-forme visible, précède (P17) la capacité d’apprendre des lieux (P20), i.e. d’atteindre une plate-forme submergée de façon à être invisible, mais dont l’emplacement demeure fixe entre les essais (Rudy, Stadler-Morris, & Albert, 1987). Cette séquence développementale suggère que l’acuité visuelle spatiale du rat est mature avant que sa formation hippocampique ne soit fonctionnelle. Cette hypothèse est appuyée par la maturité des profils de réponse à la fréquence spatiale des neurones du cortex visuel primaire dès P16, telle que démontrée dans le second article de cette thèse (Prévost, Lepore, et al., 2010). Les résultats de cette étude suggèrent que ce soit l’augmentation de la sensibilité au mouvement et au contraste des stimuli visuels des neurones du cortex visuel primaire après l’ouverture des paupières du rat qui permette l’apprentissage de lieux.

La suture des deux paupières durant les six semaines suivant l’ouverture des paupières du rat (Prusky, West, & Douglas, 2000) entraîne une acuité visuelle spatiale inférieure (0.7 c./deg.) à celle du rat normal (1.0 c./deg.). Ce résultat est supporté par la faible résolution spatiale des neurones du cortex visuel primaire (0.5 vs 1.1 c./deg.) suite à une privation visuelle durant les trois semaines suivant l’ouverture des paupières (Fagiolini et al., 1994).

La suture des deux paupières durant les six semaines suivant l’ouverture des paupières du rat altère également sa capacité d’apprentissage de lieux, telle qu'estimée dans la piscine de Morris (Prusky et al., 2000). Bien que cette privation binoculaire inflige une faible acuité visuelle spatiale au rat adulte (0.7 vs 1.0 c./deg.), elle laisse intact sa capacité de navigation indicée (Prusky et al., 2000). L’acuité visuelle spatiale (1.0 c./deg.) assurée par la voie rétino-géniculo-corticale (Dean, 1981) n’est donc pas essentielle à l’atteinte d’une plate-forme visible, car une acuité visuelle spatiale équivalente à celle assurée par la voie rétino-colliculaire (0.7 c./deg.) suffit à la navigation indicée. Puisque la navigation vers une plate-forme visible est observée dès P17 chez le rat normal (Rudy et al., 1987), il est probable que les profils de réponse à la fréquence spatiale des neurones du CS du rat (premier article de cette thèse, Prévost et al., 2007) soient matures dès l’ouverture des paupières.

La séquence développementale des capacités de navigation du rat (Rudy et al., 1987) et l’effet d’une privation binoculaire sur ces capacités comportementales (Prusky et al., 2000) suggèrent que, chez le rat normal, la contribution de l’acuité visuelle spatiale à une navigation basée sur l’apprentissage de lieux est limitée. Par contre, suite à l’ouverture des paupières, l'amélioration de la sensibilité des neurones corticaux au mouvement et au contraste (second article de cette thèse, Prévost, Lepore, et al., 2010), plutôt qu’à la fréquence spatiale, y serait cruciale. Selon cette hypothèse, une privation binoculaire précoce empêcherait la maturation des profils de réponse au mouvement et au contraste des neurones corticaux du rat. De façon similaire, le déficit d’apprentissage de lieux observé à l’âge adulte chez le rat ayant subi des convulsions hyperthermiques (Scantlebury et al., 2005) résulte probablement de l’altération de la sensibilité des neurones du cortex visuel

primaire au mouvement et au contraste, plutôt qu’à la fréquence spatiale des stimuli visuels (troisième article de cette thèse, Prévost, Costa, et al., 2010). Le développement normal de la voie visuelle magnocellulaire, et possiblement de la voie koniocellulaire, serait donc requis à l’apprentissage de lieux chez le rat.

La contribution des afférences visuelles au déplacement de l'animal vers une cible est drastiquement illustrée par les déficits de navigation dans la piscine de Morris que présente le rat énucléé peu après la naissance (Lindner, Plone, Schallert, & Emerich, 1997). Bien sûr, il ne présente aucune capacité de navigation guidée par indices visuels. Sa capacité d’apprendre des lieux n’est toutefois pas nulle, et cette perspective alimente un débat sur le rôle des différentes modalités sensorielles dans la mémoire spatiale du rat.

Les champs de décharge des neurones de la région hippocampique CA1 du rat normal ne sont clairement délimités qu’après P50 (Moser et al., 2008), et il semble que leur ancrage initial ne requiert pas d’afférences visuelles. En effet, les neurones hippocampiques de lieu du rat énucléé peu après la naissance présentent, à l'âge adulte (>P60), des champs de décharge stables (Save, Cressant, Thinus-Blanc, & Poucet, 1998). Ceci suggère que les afférences kinesthésiques induites par le mouvement corporel suffisent à l’hippocampe pour intégrer la trajectoire parcourue par l’animal. Cette stratégie compensatoire serait maximalement exploitée par le rat n’ayant jamais bénéficié d’une expérience visuelle. Par contre, les champs de décharge des neurones hippocampiques de lieu sont altérés par une lésion du cortex visuel primaire effectuée à l’âge adulte chez le rat ayant bénéficié d'une expérience visuelle (Paz-Villagran et al., 2002). Chez ces animaux, une représentation spatiale basée uniquement sur les indices kinesthésiques génère une erreur croissante. Une constante recalibration des champs de décharge des neurones hippocampiques par des indices visuels traités par le cortex visuel primaire semble nécessaire à leur maintien.

Il est possible que le déficit de navigation indicée que présente le rat énucléé (Lindner et al., 1997) résulte en partie d'une calibration anormale du régistre de l'espace sensoriel dans le CS. Aucune représentation topographique de l'espace auditif ne prend place dans le CS du rat énucléé peu après la naissance, bien que l'énucléation n'y altère pas la représentation topographique du champ somesthésique (Champoux, Bacon, Lepore, &

Guillemot, 2008). Malgré le style de vie nocturne du rat, l’établissement d’une représentation spatiale dans le CS de cette espèce est donc tributaire de l’expérience visuelle post-natale.