• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 : Concepts et champs disciplinaire infirmier

3.2 Développement du modèle de Purnell :

Après avoir développé les concepts qui constituent notre question de recherche, nous allons également approfondir le concept théorique issu du modèle de Purnell, car celui-ci nous paraît le plus adapté à notre thématique. En effet, ce modèle peut aider l’infirmière à développer différents aspects des compétences interculturelles en communication et permet d’apporter des pistes pertinentes à notre questionnement de recherche sous un angle différent. Tout d’abord, Purnell (1998) nous rend attentifs sur le fait que l’ouverture à une diversité culturelle améliorerait la qualité des soins. Selon le modèle, la culture a une influence puissante sur nous, entre autres sur nos perceptions de santé et de maladie. Dans ce modèle, il convient d’abord de prendre conscience de ses propres valeurs et de ses pensées afin d’éviter qu’elles n’influencent notre vision du patient. Dans un second temps, l’infirmière va reconnaître et comprendre la culture de son patient tout en la respectant afin d’adapter au mieux ses soins à la personne (Coutu-Wakulczyk, 2003, cite Purnell). La compétence culturelle est un processus basé sur des actions et réflexions de l’infirmière que l’on atteint de manière progressive en 4 stades selon Purnell (1998). Le premier stade est

« l’incompétence inconsciente » où l’infirmière n’a pas conscience de la diversité culturelle ni du fait qu’elle ne connaît pas la culture de l’autre. Dans le second stade qui se nomme « l’incompétence consciente », l’infirmière peut identifier son manque de connaissances sur la culture de son patient. Pour le troisième stade, il s’agit de « la compétence consciente » où l’infirmière a conscience qu’elle peut apprendre et générer des interventions culturellement adaptées, sans que ce soit un automatisme pour elle. Finalement, pour atteindre le dernier stade qui est « la compétence inconsciente », l’infirmière crée inconsciemment des automatismes dans ses prestations de soins adaptés à des clients de cultures différentes. Au vu de notre problématique de recherche, le but serait idéalement que les soignants atteignent le niveau de la compétence consciente voire, avec l’expertise, celle de la compétence inconsciente.

Le modèle de Purnell est représenté sous forme d’un cercle (cf. annexe 1). La globalité de la société (politique mondiale, conflit de guerres…), la communauté, la famille et la personne (aspects bio-psycho-sociaux), issues du métaparadigme infirmier, représentent les aspects macroscopiques du modèle. Viennent ensuite les aspects microscopiques du modèle, qui sont exprimés en 12 domaines culturels.

Aspects macroscopiques du modèle :

Par rapport à notre questionnement, il semble évident que les aspects macroscopiques influencent les patients issus de cultures diverses mais

également notre prise en charge. La société globale peut avoir des répercussions non négligeables sur la santé des patients, étant donné qu’ils ont, parfois, fui leur pays en guerre et gardent des souvenirs peu agréables. De plus, venant de pays où la culture est différente, les migrants ont des habitudes de vie spécifiques, basées sur leurs croyances culturelles et traditionnelles, qui se répercutent souvent dans les comportements à l’égard de la santé.

Aspects microscopiques du modèle :

Le modèle est organisé selon 12 domaines qui sont interreliés. Nous avons fait le choix d’analyser uniquement les domaines qui ont un lien direct avec notre question de recherche et qui nous permettraient de développer des compétences en communication interculturelle et en interculturalité de manière générale.

Domaine de la communication

Purnell explique que la communication est un domaine vaste et complexe, qui interagit avec toutes les autres catégories du modèle et qui implique beaucoup d’éléments tels que l’habileté verbale, la langue, les dialectes, l’usage contextuel et les variations para langagières (le volume, la tonalité,…). Elle englobe aussi l’aspect non verbal qui représente 93% du message transmis comme le contact visuel, le toucher, le langage corporel et les distances interpersonnelles (Mehrabian, 2007). Par exemple, la façon de

parler des infirmières (un ordre, la tonalité de la voix…) peut être mal interprétée par un patient issu d’une culture dans laquelle les hommes ont un pouvoir autoritaire important. Avec des migrants ayant des compétences linguistiques limitées, il est d’autant plus important de prêter attention à la manière de communiquer mais surtout à la communication non verbale. Purnell décrit ensuite 3 composantes qui fondent le domaine de la communication : « langue dominante et dialectes », « styles de communication culturels » et « relations temporelles ». Nous avons développé les deux premières composantes de la communication car elles permettent de donner des pistes à notre questionnement de recherche. « Langage dominant et dialecte » : Chaque professionnel de santé devrait être conscient des difficultés qu’il est amené à rencontrer en lien avec les différents dialectes qui complètent une langue dominante. Dans les situations où des soignants sont confrontés à des migrants, il pourrait arriver que les deux parties parlent une même langue mais dont les dialectes diffèrent, ce qui complexifie la communication. Dans ce genre de situation, il serait judicieux, selon le modèle, de faire appel à des services d’interprétation spécifique pour que la communication soit la plus claire et précise possible, afin d’éviter par exemple les biais dans l’annonce d’un diagnostic. En effet, la compétence définie par Zarifian (1999) implique que l’infirmière doit avoir les capacités de faire appel à d’autres intervenants lorsqu’elle estime que la situation devient trop complexe. Ainsi, les services

d’un autre intervenant (interprète professionnel) s’avèrent indispensables afin d’être en adéquation avec l’éthique professionnelle.

« Styles de communication culturels » : Le modèle précise l’importance de créer une relation de confiance pour pouvoir établir un recueil de données complet ainsi que pour favoriser une communication ouverte. Au vu des situations vulnérables dans lesquels se trouvent les migrants, l’importance de développer ce lien de confiance est amplifiée. Ce lien bienveillant peut passer par un toucher respectueux ainsi que par une distance et un contact visuel adaptés à la culture. Tous ces éléments réunis permettront aux soignants de créer une alliance thérapeutique efficiente, pour ainsi prodiguer des soins culturellement congruents. Par exemple, si nous parvenons à créer une relation de confiance avec un réfugié de Syrie ayant vécu un traumatisme grave, nous pourrions ainsi faciliter le processus de soins : il se confiera davantage, demandera et acceptera plus facilement l’aide. Ainsi, nous serons en mesure de mieux cerner ses besoins et cela permettra également de réduire son stress ainsi que son anxiété.

Nous comprenons, à travers le domaine de la communication du modèle de Purnell (1998), l’existence d’une multitude de variations culturelles en matière de stratégies de communication, qui nous amènent à être attentifs aux valeurs personnelles et à adopter un mode de communication qui respecte le rythme, les besoins, et les croyances de chacun. En effet, être

compétent en communication interculturelle, c’est aussi savoir intégrer les normes et les valeurs culturelles de l’individu dans son projet de soins.

Domaine des rôles et organisation de la famille

Chaque famille a son organisation qui diffère selon la culture des individus qui la constituent. La structure familiale détermine les rôles de chacun, les priorités et les normes comportementales acceptables. Parmi les quatre composantes de ce point, nous en avons développé deux : « chef de famille et rôle selon le sexe » et « rôles et priorités de la famille ».

« Chef de la maison et rôles selon le sexe » et « buts et priorités de la famille » : Par exemple, dans certaines cultures indiennes, les décisions importantes sont prises par le maître de la famille, qui est souvent le père ou le frère du patient ou de la patiente. Par rapport à notre problématique, il peut s’avérer important de connaître ces règles familiales afin de savoir à qui s’adresser lorsqu’une décision en matière de soins de santé doit être prise. En effet, nous ne devrions pas aller à l’encontre des valeurs et des règles familiales, même si elles nous paraissent parfois en décalage par rapport aux nôtres. Dans certaines familles, le médecin et les soignants doivent consulter un membre spécifique de la famille avant de pouvoir prendre une décision. Cela peut parfois provoquer des conflits éthiques, dans lesquels les professionnels peuvent se sentir extrêmement frustrés ; par exemple, des parents ne veulent pas d’un traitement qui paraît être indispensable pour la

survie du patient. Même si ces situations sont rares, elles existent et sont parfois source de conflits entre les soignants et la famille ou la communauté. Domaine des comportements à risques élevés

Dans ce domaine, nous avons fait des liens avec la composante « pratiques de soins de santé ».

« Pratiques de soins de santé » : Certains patients issus de cultures variées ont des croyances et pratiques qui s’avèrent parfois être dangereuses pour leur santé. Par exemple, un patient peut, par rapport à une croyance, appliquer du dentifrice sur une brûlure profonde de 3ème degré en pensant que cela favorisera la cicatrisation. Or, l’utilisation de ce produit sur de telles brûlures sera inefficace voire même délétère (Taylor & al., 2011). L’infirmière a un rôle-clé dans ce genre de situation car elle peut faire valoir ses compétences en éducation thérapeutique, en promotion et en prévention de la santé. En effet, ces croyances étant très ancrées, l’infirmière doit transmettre son savoir par rapport aux traitements de ces plaies. Ainsi, elle permettra le développement de compétences techniques et décisionnelles dans le but de rendre le patient capable de raisonner et de faire des choix appropriés par rapport à ses problématiques de santé (Taylor & al., 2011).

Domaine de la nutrition

Dans le domaine de la nutrition, nous avons regroupé les composantes suivantes : « aliments habituels et rituels » et « pratiques alimentaires et promotion de la santé ».

« Aliments habituels et rituels » et « pratiques alimentaires de promotion de la santé » : Pour prétendre à des soins interculturels, le soignant doit avoir pris connaissance des rituels alimentaires tels que l’heure des repas ou les restrictions alimentaires du patient. En effet, les coutumes alimentaires occupent une place plus ou moins importante selon les cultures. En tant qu’infirmier, nous devons nous efforcer de respecter ces coutumes et ces normes culturelles dans la mesure du possible. Toutefois, certains comportements vis-à-vis de l’alimentation peuvent porter préjudice à la santé du patient. Par exemple, le jeûne est fortement déconseillé voire proscrit lorsqu’un patient souffrant de lithiases rénales récidivantes souhaite le pratiquer (pour des raisons de croyances culturelles ou religieuses). En effet, la privation hydrique induit une recrudescence des crises aiguës. Pour éviter au patient des complications rénales à court ou à long terme, nous devons être capables, en tant qu’infirmières, de lui rappeler que le jeûne n’est pas requis dans ces situations-là. Une connaissance de la culture, une attitude ouverte et non jugeante et une communication efficiente s’avèrent essentielles afin d’assurer au patient une compréhension de son problème de santé en lien avec le jeûne. Ainsi, la compétence interculturelle implique la

reconnaissance des comportements néfastes des individus de culture différente afin de mobiliser des savoirs complexes et combinés sur ce comportement de manière à produire une action efficace. Mobiliser ses savoirs théoriques, son savoir-faire et son savoir-être à un moment précis est signe du passage à la compétence (Le Boterf, 1994).

Domaine de la spiritualité

Il est de notre rôle propre de recueillir les données relatives à la spiritualité du patient. Effectivement, c’est une composante significative de l’être humain qui consiste à donner un sens à sa vie. La spiritualité est associée à l’âme et affecte les composantes biologiques, sociales et psychologiques de l’individu. Nous avons regroupé et développé les composantes de « la religion dominante et la prière » et du « sens de la vie et sources de force ».

« La religion dominante et la prière » et « le sens de la vie et source de force » : Dans certaines religions, la prière demeure primordiale afin d’assurer l’équilibre psychique et spirituel. Dans le contexte de maladies, qu’elles soient aiguës ou chroniques, elle s’avère davantage nécessaire pour le patient ; la prière peut présenter une force spirituelle indispensable pour qu’il puisse lutter contre sa maladie. Pour favoriser l’épanouissement spirituel de l’individu, les soignants ont le devoir d’intégrer ces valeurs et croyances dans le projet de soins de l’individu, car cela fait partie des compétences interculturelles. Plus concrètement, il s’agira par exemple d’identifier les

instants de prières afin d’éviter de déranger le patient à ces moments-là. Pour d’autres patients, les rituels religieux ne sont pas forcément la source première de satisfaction des besoins spirituels. Pour ces autres patients, il s’agira pour nous, en tant que soignants, de les aider dans leur quête de force et d’épanouissements personnels. Pour appuyer davantage ce dernier point, nous avons pris une définition de Watson (1998), qui définit la spiritualité comme l’essence même de la personne et qui s’avère être une ressource pour l’individu afin de promouvoir sa guérison. Le rôle infirmier consiste alors à accompagner la personne dans la recherche d’un sens afin de promouvoir un équilibre et une harmonie « corps-âme-esprit ».

Domaine des pratiques de soins de santé

Nous avons développé ici la composante des « croyances et comportements à l’égard de la santé.

« Croyances et comportements à l’égard de la santé » : Les soins curatifs et préventifs devraient toujours s’appuyer sur les croyances traditionnelles et magico-religieuses du patient en plus de l’aspect biomédical. Les populations issues de cultures diverses ont développé des moyens pour se soigner, se maintenir en santé et pour guérir. Ces croyances, solidement ancrées, doivent être prises en compte dans le projet de soins. Certaines pratiques « traditionnelles » ou « non conventionnelles » peuvent toutefois être dangereuses pour la santé du patient et le soignant devrait vérifier si le patient utilise d’autres traitements (naturels ou conventionnels) que ceux

instaurés à l’hôpital ou par le médecin traitant. En outre, nous ne devons en aucun cas juger les croyances du patient, mais simplement l’informer du risque, s’il y en a un, d’utiliser ce produit en raison des interactions possibles ou du risque de surdosage. Néanmoins, ces pratiques issues de croyances culturelles et religieuses peuvent parfois aider le patient à soulager sa douleur, parallèlement au traitement médicamenteux.

Domaine des intervenants de la santé

Nous avons développé le point sur « les soins traditionnels versus biomédicaux » pour le mettre en lien avec notre problématique.

« Les soins traditionnels versus biomédicaux » : Dans ce chapitre, Purnell (1998) parle des relations interpersonnelles soignant-patient de sexe différent. En effet, le soignant a le devoir de connaître et de respecter les différences de relation qu’il y a entre homme et femme dans certaines cultures. Par exemple, il serait judicieux, dans certaines situations, de désigner un soignant du même sexe que le patient dans la mesure du possible. En effet, un toucher dit « thérapeutique » peut être très mal perçu et inapproprié dans certaines cultures lors d’interactions patient-soignant de sexe différent. Ainsi, l’infirmière possédant des compétences interculturelles va être capable de mobiliser et d’actualiser ses connaissances afin d’offrir des soins adaptés au patient et qui sont compatibles avec ses croyances et ses valeurs.