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Partie I : Le développement durable: entre idéologie et

5. Développement durable et gouvernance

Je poursuis ma démarche de contextualisation de mon objet et de problématisation de la question. Dans ce chapitre j’entends traiter des rapports entre développement durable et gouvernance ainsi que des difficultés de mise en œuvre des principes de gouvernance dans les sociétés démocratiques.

L’hypothèse de ce chapitre est la suivante : les démocraties étant inséparables des principes d’égalité qui se trouvent en leurs fondements, il est nécessaire de distinguer trois formes d’égalité afin de comprendre certaines contradictions et certaines difficultés, notamment celles liées à la notion de gouvernance et de démocratie participative, que l´on trouve dans l´approche du développement durable.

Distinguons donc trois types d´égalité :

L’égalité formelle, l’égalité réelle et l’égalité dite des conditions. L’égalité formelle, est celle qui est inscrite dans les textes de références de nos institutions (constitution, déclarations, chartes, etc.). Elle postule que tous les êtres humains sont égaux en droit et en dignité. C’est en quelque sorte la dimension théorique des principes d’égalité évoqués plus haut.

L’égalité réelle est celle que, d'un point de vue marxiste (ou, simplement, critique), l’on est bien en peine de trouver autour de soi. On ne voit en effet que diversité, contrastes, injustices (d'accès à l'éducation, à la santé, aux richesses) et variété dans le monde social. Ce type d’égalité semble introuvable et viendrait démentir l’existence du premier type, la faisant passer du même coup pour une stratégie bourgeoise. Si elle était effective, elle serait l'incarnation du premier type d'égalité. Dans une approche critique, elle en est l'absence d'incarnation.

L’égalité des conditions est quant à elle un sentiment, un état mental, une

67 profondément intériorisé par tout sujet démocratique implique un réflexe de comparaison systématique entre ma condition et celle de mon voisin. C’est une manière de percevoir autrui. En termes bourdieusiens, c’est un habitus civilisationnel, puisqu’il serait commun à tous les individus des pays démocratiques. Il est tellement intériorisé que l’on ne songe guère à l’interroger et pour cause, étant une seconde nature nous ne le percevons même pas. Ce sentiment est ce qui nous fait voir autrui comme essentiellement identique à soi. Ainsi, quel que soit le statut ou la position de l’autre et ses attributs dans l’espace social (diplômes, revenus, origine sociale, etc.), il est essentiellement un être humain, « comme moi ». A ce titre, rien ne justifie que j’accepte d’être traité différemment (c’est-à-dire, moins bien…) que lui. Ce sentiment amène chacun à revendiquer le droit de s’exprimer, d’être considéré, pris en compte, etc.

Ce sentiment fait donc naître la comparaison car il n’y a de comparaison possible qu’entre ce qui se considère comme identique au regard de certains critères. Ce sentiment « place » les agents dans une situation de concurrence objective. Les démocraties sont donc des univers éminemment concurrentiels favorisant le développement de sentiments tels que l’envie car

L'égalité des conditions produit et suppose un type d'univers social dans lequel il y a commensurabilité. C’est un univers foncièrement opposé à l’univers hiérarchique. Au sens dumontien145, la hiérarchie est une organisation sociale dans laquelle ceux qui sont supérieurs ne le sont pas en raison de qualités personnelles, mérites, talents, etc., mais en tant qu'ils représentent la hiérarchie, la prévalence de la totalité sur les éléments individuels et dans une société hiérarchique, l'inégalité (au sens moderne) est la forme même de la justice.146

En 1835, Tocqueville147 avait déjà repéré que l’envie constituait un trait caractéristique des sociétés modernes :

Il ne faut pas se dissimuler que les institutions démocratiques développent à un très haut degré le sentiment de l'envie dans le cœur humain. Ce n'est point tant parce qu'elles

145 Louis Dumont, Homo hierarchicus. Essai sur le système des castes, Paris, Gallimard, 1971, p.91.

146 Extrait de l´émission de France Culture Questions d'éthique, Paradoxes moraux de l'égalité de Monique

Canto-Sperber avec Jean-Pierre Dupuy, diffusé le 24/02/2007.

147 Je mentionne Tocqueville pour son travail d´ « ethnologue », spécialiste des sociétés démocratiques

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offrent à chacun des moyens de s'égaler aux autres, mais parce que ces moyens défaillent sans cesse à ceux qui les emploient. Les institutions démocratiques réveillent et flattent la passion de l'égalité sans pouvoir jamais la satisfaire entièrement. Cette égalité complète s'échappe tous les jours des mains du peuple au moment où il croit la saisir, et fuit, comme dit Pascal, d'une fuite éternelle; le peuple s'échauffe à la recherche de ce bien d'autant plus précieux qu'il est assez près pour être connu, assez loin pour n'être point goûté. La chance de réussir l'émeut, l'incertitude du succès l'irrite ; il s'agite, il se lasse, il s'aigrit. Tout ce qui le dépasse par quelque endroit lui paraît alors un obstacle à ses désirs, et il n'y a pas de supériorité si légitime dont la vue ne fatigue ses yeux.148

La gouvernance149 comme principe, méthode, outil et démarche complémentaires des processus démocratiques plus conventionnels (démocratie représentative) peut se heurter à ce type de phénomènes, laissant parfois démunis les acteurs chargés de la mettre en œuvre. C’est ce que j’avais pu recueillir comme témoignage lors d’entretiens effectués avec des agents de coordination du programme de développement durable PROMATA, notamment auprès de Clécio Pereira, agent de coordination chargé du municipe de Paudalho150. C. Pereira témoignait de certaines difficultés des agents à animer les réunions publiques ayant pour but d'informer les populations locales sur les finalités du programme et de les impliquer dans la mise en œuvre de ses volets et projets. L'espace démocratique ainsi ouvert permettait des échanges inédits mais s'avérait parfois, selon lui, être cause de « malentendus, de querelles et de blocages, faute d'un apprentissage des termes du débat et de l'échange »151. Je reviendrai sur ce point dans le chapitre III-2.

Le développement durable en tant qu’idéologie et corpus d’institutions, cristallise, il me semble, les contradictions structurelles de l’Occident et la quadrature du cercle qu´il entend résoudre : en finir avec la pauvreté, tout en préservant l´environnement sans oublier de

148 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, deuxième partie, Folio. C´est moi qui souligne. 149 La Banque Mondiale définit ainsi la gouvernance : “Nous définissons la gouvernance comme étant

l’ensemble des traditions et institutions par lesquelles le pouvoir s’exerce dans un pays avec pour objectif le bien de tous. Elle comprend (1) les procédés par lesquels les titulaires du pouvoir sont choisis, contrôlés et remplacés, (2) la capacité du gouvernement à gérer efficacement les ressources et à appliquer des politiques solides, et (3) le respect des citoyens et de l’Etat envers les institutions régissant les interactions économiques et sociales intervenant entre eux.” http://www.worldbank.org/wbi/governance/fra/about-f.html#approach

http://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=CRII_021_0052

150 Je présenterai en détails dans la partie suivante, le programme, ses acteurs et la zone concernée par son

implantation.

69 permettre à tous de participer au débat démocratique.

Nous allons à présent quitter la partie théorique portant sur le développement durable et ses difficultés théoriques, épistémologiques, sociologiques afin de procéder à la description du travail de recherche et du terrain sur lequel il a porté.

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