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1.5.1. Murissement d’Oswald

Le mûrissement d'Ostwald est une conséquence de la tension interfaciale existant entre deux milieux non miscibles. Celle-ci engendre une différence de pression entre l'intérieur et l'extérieur appelée pression de Laplace. La pression étant supérieure dans les gouttes de faible rayon, la matière va donc spontanément diffuser des plus petites gouttes vers les plus grosses.

Le transfert de matière entre les gouttes de la phase dispersée s'effectue par diffusion moléculaire à travers la phase continue. Ce mécanisme se produit dès qu'il existe une légère solubilité (à l'échelle moléculaire) de la phase dispersée dans la phase continue.

Le mûrissement d’Oswald affecte très peu les émulsions de Pickering grâce à la très forte adsorption des particules aux interfaces. Cette adsorption quasiment irréversible produit une rigidité interfaciale s’opposant au phénomène.

1.5.2. La coalescence

La stabilité des émulsions de Pickering est contrôlée par la stabilité des films liquides qui séparent les gouttes.

Pour que la coalescence entre deux gouttelettes se produise au sein d’une émulsion de Pickering, il est observé d’abord à l’interface un amincissement du film interfacial ainsi que la formation de trous qui se dilatent jusqu’à causer l’instabilité et la rupture finale du film (Morrison & Ross 2002).Une gouttelette totalement recouverte par des particules, possède à sa surface une barrière énergétique qui doit être impérativement surmontée afin de porter atteinte au film interfacial et provoquer la coalescence. Par conséquent, la cinétique de coalescence peut être corrélée à l’énergie requise pour la formation de trous à l’interface (Simovic et al. 2004).

Lorsque la concentration en particules est faible, la portée des interactions électrostatiques répulsives est diminuée voire supprimée et les gouttelettes formées initialement lors de l’émulsification tendent à se rapprocher et à coalescer. Ce phénomène a pour but d’augmenter la densité des particules stabilisatrices à l’interface et d’assurer donc la stabilité du système.

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L’énergie libre d’adsorption des particules à l’interface est tellement importante que les particules sont plus susceptibles de s’écarter latéralement lors du contact avec une autre gouttelette que d’être expulsées vers l’extérieur pendant l’amincissement du film interfacial(Stancik et al. 2004; Tambe et al. 1993; Velikov et al. 1998; Horozov 2008).

Si le contact entre les gouttelettes est forcé, l’anneau de particules formé à la périphérie de la zone de contact s’aplatit graduellement et peut éventuellement se rompre induisant la coalescence. Par conséquent, les forces inter particulaires telles que les forces de répulsions dues à la double couche électrique entourant la particule mais aussi à la répulsion dipôle-dipôle, aussi bien que les forces d’attraction de Van der Waals et les forces capillaires sont de la plus haute importance quant à la stabilisation des émulsions, et peuvent même dominer les interactions particule-interface.

1.5.3. La coalescence limitée

D’un point de vue thermodynamique, la coalescence de deux gouttelettes sphériques obéit à une force correspondant à la différence de pression de Laplace ∆P qui est inversement proportionnelle au rayon (R) de la gouttelette :

οܲ ൌ ʹߛ௢௪Τ (5) ܴ

Lorsque deux gouttelettes stabilisées par des particules commencent à coalescer, il est possible que la pression de Laplace ne soit plus en mesure de contrebalancer la résistance à la déformation de la couche de particule stabilisatrice. Dans ce cas, le processus de coalescence s’en trouve limité menant a deux entités semi-coalescées de formes intermédiaires.

Ce phénomène de « coalescence limitée » caractéristique des émulsions de Pickering a été décrit pour la première fois par Wiley en 1954 (Wiley 1954). L’une des signatures caractéristiques de ce phénomène est qu’il engendre des distributions de taille très resserrées. Comme observé par Whitesides et coll.. (1995), le simple fait que la coalescence soit ralentie du fait de la saturation de l’interface en particules ne permet pas d’expliquer la distribution étroite de taille des émulsions de Pickering obtenues très fréquemment (Whitesides & D. S. Ross 1995). Ces auteurs proposent donc une analyse théorique du phénomène de coalescence limitée en régime diffusionnel et turbulent. Dans leur modèle, la probabilité de coalescence au cours d’une collision entre deux gouttes est proportionnelle à la fraction de surface des

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gouttes non recouvertes. Les simulations de Monte-Carlo donnent des distributions de tailles beaucoup plus resserrées que celles obtenues à partir d’une fréquence de coalescence unique, et cela en très bon accord avec les résultats expérimentaux. Une autre conclusion intéressante de ces travaux est que la distribution de taille finale est indépendante des conditions d’agitation et de la distribution de taille initiale.

D’une part, la coalescence favorise l’émergence de gouttes de diamètre supérieur à la moyenne pour les raisons expliquées précédemment. D’autre part, une fois formées ces mêmes gouttes seront mieux protégées de la coalescence que la moyenne. En effet, elles résultent de la fusion d’un nombre plus important de gouttes et ont de ce fait accumulé à leur surface une concentration plus élevée de particules solides pour les protéger. Ainsi, il faut s’attendre à ce que les gouttes de grande taille croissent à des vitesses plus faibles que la moyenne et soient rapidement "rattrapées". En d’autres termes, quand le taux de couverture augmente la diminution de la fréquence de coalescence atténue toute fluctuation "par le haut" de la distribution granulométrique.

Arditty et coll. (2003, 2004), montrent qu’effectivement la fréquence de coalescence diminue au cours du processus et que le taux de couverture dépend dans certains cas de l’agitation, notamment lorsque les particules colloïdales sont initialement agrégées (Stéphane Arditty et al. 2004; S. Arditty et al. 2003). À titre d’exemple, la figure 8 montre les courbes obtenues pour des émulsions de même formulation mais agitées de façon manuelle ou en régime turbulent (homogénéisateur haute pression). En mode turbulent, les agrégats de particules sont fragmentés et les émulsions sont cinétiquement stables lorsque le taux de couverture est égal à 0,86 très proche de l’empilement hexagonal compact en monocouche.

En mode d'agitation manuelle, les particules s’adsorbent sous forme d’agrégats et la couverture nécessaire pour atteindre la stabilité est égale à 8,20.

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Figure 10. Courbes de coalescence limitée représentée par l’inverse du diamètre en fonction de la masse des particules montrant l’influence du mode d’agitation sur l’arrangement des particules à l’interface. Schéma extrait de (S. Arditty et al. 2003).

Ce processus de coalescence limitée des gouttelettes stabilisées par des particules, a récemment été démontrée in-situ par Pawar et coll. (2011). Ces auteurs ont récemment étudié ce phénomène in situ en utilisant une technique de micromanipulation (Pawar et al. 2011).

Dans cette étude, des particules de silice de 1.5 μm de diamètre ont été adsorbées à une interface hexadécane-eau avec un angle de contact de ~70°. Les émulsions obtenues avaient un diamètre de 50 à 200 μm avec un taux de recouvrement variant de 30 à 90%. Ensuite, des gouttelettes individuelles d’hexadécane surmontant des embouts de micropipettes ont été rapprochées et leur comportement vis-à-vis de la coalescence a été étudié.

Pendant la coalescence, on observe une décroissance dans la surface interfaciale et une augmentation de la couverture en particules. Ce phénomène de coalescence continue jusqu’à transformation de l’interface souple et liquide en un film rigide solidifié par l’adsorption accrue de particules.

Le processus de coalescence est ainsi arrêté grâce à la formation de cette couche comportant des particules serrées à l’interface qui résistent à la pression de Laplace.

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Il a été observé que le taux de recouvrement des gouttelettes était un paramètre crucial déterminant le timing de la coalescence arrêtée ainsi que la forme finale des deux gouttelettes partiellement coalescées. Ainsi la coalescence de deux gouttelettes de Pickering pouvait survenir suivant trois configurations possibles : une stabilité totale, une coalescence arrêtée ou une coalescence totale (figure 11).

En principe, pour des gouttelettes dont le diamètre est très largement supérieur à celui des particules qui la stabilisent, la couverture de sa surface peut prendre une valeur comprise entre 0 et 0.9.

La valeur supérieure correspondant approximativement à la densité maximum atteinte par des particules sphériques se trouvant dans un plan selon un arrangement compact bidimensionnel (׎ ൌ ߨ ൫ʹξ͵൯ ൌ ͲǤͻͲ͹Τ ).

Lorsque la surface des gouttelettes est complètement couverte par des particules (Ø1 et Ø2

~0.9), la coalescence est systématiquement inhibée grâce à la stabilisation stérique favorisée par les particules. Pour des taux de couverture très faible, le phénomène de coalescence observé est total. Pour des taux de couverture intermédiaires (1.43 <Ø1 et Ø2 < 1.81), le phénomène de coalescence arrêté est observé.

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Figure 11. Comportement à la coalescence en fonction du taux de couverture des gouttelettes de Pickering. (a) Stabilité totale, (b) et (c) coalescence arrêtée, et (d) coalescence totale. Échelle = 50 μm. Schéma extrait de (Pawar et al. 2011).