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Déploiements contemporains : audiovisuel, réappropriation et affirmation

1.1. La culture innue d’hier à aujourd’hui

1.1.3 Déploiements contemporains : audiovisuel, réappropriation et affirmation

1.1.3 Déploiements contemporains : audiovisuel, réappropriation et

affirmation

Si la littérature représente un moyen d’actualisation et de diffusion de la culture innue, d’autres médias sont toutefois employés de nos jours par les membres de cette Nation pour assurer la circulation des savoirs ancestraux. D’Orsi décrit les supports qui se développent dans le contexte actuel :

[…] c’est surtout l’audiovisuel qui gagne la faveur des innus. Non seulement il permet d’éviter l’écueil de l’écriture en innu, qui présente encore beaucoup de difficultés pour la majorité de la population, mais il se rapproche davantage des modalités de transmission culturelle traditionnelles : le canal visuel et auditif y sont privilégiés86.

En termes d’apprentissage des connaissances innues, ce média s’avère donc pertinent, à la fois par sa forme et ce qu’il véhicule. La parenté du support audiovisuel avec l’oralité s’avère un aspect primordial. Dans le contexte présent, les individus qui ont fréquenté les pensionnats87 peuvent rétablir des liens avec leur culture et leur langue par le moyen des

vidéos, puisqu’ils ont subi une rupture avec le mode d’enseignement en étant envoyés hors de la communauté88. En effet, ils peuvent désormais (ré)apprendre les savoirs ancestraux

par le biais des enregistrements des aînés. La nouvelle génération peut également recevoir les enseignements en regardant ces vidéos. Si la littérature innue est empreinte de traces

85 Natasha Kanapé Fontaine, Bleuets et abricots, coll. « Poésie », Éditions Mémoire d’encrier, 2016, p. 20. 86 Annalisa D’Orsi, op. cit., p. 77.

87 Voir Introduction, p. 2. 88 Annalisa D’Orsi, op. cit., p. 80.

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orales — notamment lorsqu’elle réitère les enseignements des contes oraux — la méthode audiovisuelle explore la parole et la sonorité. Dans son article qui traite de la vidéo de Kanapé Fontaine intitulée « L’âme en tannage », Gabrielle Marcoux traite de la dimension traditionnelle innue reliée au son :

[…] le tambour peut, selon la tradition innue, servir d’outil de communication avec les esprits animaux ou humains ; ainsi, le son du tambour peut évoquer la possibilité d’une survie collective physique (à travers la communication avec les esprits animaux guidant les chasseurs), et une survie identitaire et mémorielle (à travers une communication avec les morts89.

Le fait que le tambour s’inscrive dans la transmission orale explique en partie sa présence dans l’œuvre de l’artiste de Pessamit aux côtés de la parole. Par conséquent, les deux formes de communication sont combinées dans un même but : une expression de la culture innue. Le tambour ancestral s’allie au slam qui emploie l’humour et l’ironie comme « des armes de résistance, en tant que plaidoyers critiques face à l’autorité, et de résurgence, en tant qu’outils de réécriture de l’histoire90 ». Cela s’avère donc un déploiement culturel

contemporain, un média relativement nouveau dans cette culture permet de revendiquer les savoirs traditionnels et lutter contre leur effacement. Pour la professeure d’innu et écrivaine Anne-Marie St-Onge, l’emploi de l’audiovisuel par l’ensemble de la population innue — et donc pas uniquement par les artistes — donne lieu à « des pratiques de survie91 ».

Apprendre de cette façon équivaut à conserver sa culture sur un support durable, puisque l’on sait que la pérennité des savoirs a été menacée par le passé92.

Ainsi, l’emploi de la littérature et de la vidéo chez les Innus pointe un désir de s’exprimer par des médias qui permet simultanément de se réapproprier des éléments de la culture et d’opérer une certaine guérison. Plutôt que de témoigner d’une assimilation, c’est au contraire une réaffirmation de l’héritage ancestral qui a lieu. Au sujet des déploiements contemporains culturels, Annalisa D’Orsi affirme ceci : « Le processus de transmission des cultures fonctionne normalement à travers des ruptures, des traductions, des contradictions (Clifford 2004 : 153). La tradition est interprétée à nouveau par chaque génération, dans

89 Gabrielle Marcoux, op. cit., p. 75. 90 Ibid., p. 73.

91 Annalisa D’Orsi, op. cit., p. 82. 92 Ibid., p. 76.

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des contextes toujours un peu différents93 ». À la suite de Kapesh qui percevait la littérature

écrite à la fois comme un paradoxe et une nécessité, cette définition de la tradition met en lumière les divers processus inhérents à la traversée des cultures. Que ce soit par la littérature innue constamment réactualisée à travers les publications d’un bassin important d’auteurs ou bien l’utilisation de vidéos, les arts actuels chez cette nation s’inscrivent dans un mouvement de réapprentissage et de revendication. Dans ce contexte, D’Orsi rappelle que « [l]’utilisation innovatrice et créative d’éléments culturels allochtones […] n’est pas sans rappeler le pragmatisme des générations passées, quand les innus s’approprièrent les outils et les aliments introduits par les commerçants et les missionnaires européens, en les adaptant au mode de vie en forêt94 ». Plutôt que de les éloigner du territoire, ces nouveaux

aspects les rapprochaient de celui-ci. Dans la même lignée, un retour aux connaissances liées à la vie en forêt s’effectue par un processus littéraire et audiovisuel. À propos de l’état actuel de la culture innue, Lacasse rappelle d’ailleurs que les « sens de la gestion et du gardiennage collectifs du territoire95 » sont toujours bien présents et qu’ils « équivalent,

chez les Innus, au sens de la souveraineté qu’ont les membres de la société majoritaire96 ».

Le rapport au territoire, la réactualisation des connaissances et de la langue à travers les médias forment les éléments majeurs de la culture innue d’aujourd’hui. L’importance de l’autonomie culturelle et territoriale circule toujours parmi les membres de la nation.