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Déplacement de la protéine POT1 par stabilisation des G4 in vitro

III. Le télomère : une cible dans la thérapie contre le cancer ?

8. Déplacement de la protéine POT1 par stabilisation des G4 in vitro

Il a été démontré que l’interaction et la stabilisation des G4 par la télomestatine au niveau du simple brin télomérique provoque une délocalisation rapide de la protéine POT1 (protéine shelterin qui fixe spécifiquement le simple brin télomérique) des télomères (Gomez et al., 2004b). On peut donc étudier la fixation de POT1 in vitro dans des expériences de gel retard en présence ou non de ligand ID3-010. Pour cela, deux oligonucléotides ont été utilisés : les deux comportent 12 répétitions de séquences télomériques TTAGGG dont 3 répétitions sont sous forme simple brin pour le telo9 et 4,5 pour le telo7,5. Le telo9 est donc incapable de former un G4 alors que le telo7,5 en possède la capacité. Nous pourrons vérifier si la délocalisation de la protéine POT1 est bien due à la stabilisation d’un G4 par le ligand ID3-010 (figure 37).

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De la même façon que pour l’expérience de structuration d’ADN télomérique in vitro, on peut observer que le signal radioactif est retenu au niveau des puits de dépôt. Il se peut que l’on observe la formation de complexes entre le ligand et les oligonucléotides incapables de pénétrer dans le gel.

Figure 37 : déplacement de la protéine POT1 des séquences télomériques par structuration en G4.

(A) Séquence des oligonucléotides utilisés: Telo7,5 et Telo9

(B) Gel retard réalisé avec la protéine POT1 produite dans un système baculovirus et deux oligonucléotides : telo 7,5 et telo 9. La protéine POT1 forme deux complexes spécifiques avec telo 9 (* et **). L’addition du ligand provoque la rétention des oligonucléotides dans les puits.

Sonde + 2 POT1 Sonde + 1 POT1 0 0 2 10 20 0 0 2 10 20 - + + + + - + + + + POT1 (40 ng) ID3-010 (µM) Telo 7,5 Telo 9

B

DISCUSSION

CONCLUSIONS

PERSPECTIVES

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Nous avons donc montré que la molécule ID3-010 était capable d’inhiber l’activité télomérase dans un test in vitro d’élongation de la télomérase (test TRAP) dans des concentrations comparables à celles des ligands de G4 approuvés. Puis, des tests de toxicité de la molécule ont mis en évidence une faible toxicité en accord avec l’action des ligands de G4 au niveau de l’inhibition de l’activité de la télomérase sur les télomères. De plus, Carmen Romera a effectué des tests de stabilisation du G4 par la technique du FRET et a montré que la molécule stabilisait spécifiquement les G4 par rapport à un ADN double brin et un ADN simple brin incapables de former un G4.

Cependant, les tests effectués par des traitements à long terme ont démontré une faible efficacité de la molécule. En effet, comparée à d’autres molécules ligands des G4, la durée et le nombre de traitements nécessaires à un arrêt de prolifération cellulaire sont beaucoup plus élevés que ceux observés pour la télomestatine par exemple (Gomez et al., 2004b) ou le RHPS4 (Salvati et al., 2007). Afin de vérifier si l’arrêt de croissance des cellules était dû à une atteinte de la stabilité télomériques, nous avons examiné la longueur des télomères et la présence de l’extension 3’ simple brin de l’ADN génomique extrait de ces cellules. Ainsi, nous avons pu mettre en évidence que l’arrêt de croissance observé n’était pas dû à la reconnaissance de l’ADN télomérique par la molécule ID3-010. Ces résultats ont été confirmés par des tests réalisés in vitro par des techniques d’hybridation d’un oligonucléotide complémentaire du simple télomérique sur l’ADN génomique qui ont aboutit à la conclusion que la molécule n’est pas spécifique des séquences télomériques.

Concernant les tests in vitro, il est possible que les concentrations utilisées soient trop élevées et que dans ces conditions, on favorise la formation d’adduits. En effet, suite à une migration sur gel dénaturant du complexe oligonucléotide-molécule ID3-010, Carmen Romera a visualisé un retard de migration de cette molécule comparé aux autres molécules. Il faut noter que le retard est observé avec un oligonucléotide riche en A-T, ce qui résulterait d’une interaction non spécifique et de la formation de complexes provoquant le retard par rapport aux autres molécules. Elle a découpé la bande correspondante et l’a faite analyser en spectrométrie de masse, les résultats sont en attente. Cependant, nous avons choisi de tester in vitro les concentrations qui permettaient d’obtenir une différence de croissance dans les tests de prolifération cellulaire.

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On peut également mettre en cause les capacités de pénétration cellulaire de la molécule ID3- 010. Cependant, cette molécule ne présentant pas de propriétés de fluorescence, il est donc difficile d’évaluer ses capacités de pénétration dans les cellules. Dans un premier temps, au vu des expériences réalisées in vitro, il semble que la molécule ID3-010 soit responsable du clivage de l’ADN génomique. Or, si c’était le cas, la mort cellulaire lors de traitement in cellulo devrait être beaucoup plus rapide.

Toutefois, la porphyrine pentacationique sans cation central (ID3-003) présente des propriétés d’autofluorescence et Dennis Gomez a montré qu’après un traitement des cellules HT1080 par cette molécule, on pouvait visualiser la fluorescence dans toute la cellule. De plus, l’augmentation du signal γH2AX lors des expériences d’immunofluorescence témoigne de la capacité de la molécule à entrer dans les cellules. Ainsi, il se peut que les conditions de tests in vitro ne soient pas adaptées à la caractérisation de cette molécule. En effet, les porphyrines ont démontré dans certaines conditions de réaction, des activités de clivage de l’ADN et en particulier par une activation par la lumière (Han et al., 1999; Shi et al., 2001) ou en présence d’un agent oxydant (Vialas et al., 2000), caractéristique utilisée pour visualiser son mode de fixation sur les G4. La présence d’un réducteur dans le milieu aurait également pu affecter l’état d’oxydation du cation Mn3+ et ainsi le rendre instable, résultant de dégradation d’ADN. Cependant, aucune espèce susceptible de provoquer un changement dans l’état d’oxydation du cation n’a été mise en évidence dans la composition du tampon. De même les capacités de clivage de la molécule ID3-010 avaient été évaluées par Carmen Romera et elle n’en avait trouvé aucune. Ainsi, la disparition de l’ADN génomique dans le test de structuration du simple brin télomérique in vitro n’est pas encore élucidée.

La formation d’adduits semble être dépendante de la présence de séquences riche en A-T. En effet, Carmen Romera a suggéré la formation d’adduits suite à une interaction avec un oligonucléotide riche en A-T. De plus, dans l’expérience de structuration de l’ADN simple brin télomérique, la sonde utilisée est une séquence complémentaire du simple brin télomérique, à savoir 5’-AATCCC-3’ qui présente donc des boites A-T, et l’interaction de plusieurs molécules ID3- 010 avec cette séquence pourrait être responsable de la formation des complexes incapables de pénétrer dans le gel. De même, dans le gel retard avec la protéine POT1, l’interaction de la molécule avec les boites TTA des oligonucléotides pourrait suffire à former les adduits incapables de migrer dans le gel. Dans ce sens, on peut même émettre l’hypothèse que l’interaction de cette

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molécule avec les G4 aurait lieu par l’intermédiaire de la boucle 5’-TTA-3’ présente dans la structure en G4. Cette hypothèse est actuellement en cours de vérification par Carmen Romera. Tous ces résultats ne sont pas en accord mais il semble que cette molécule ne soit pas apte à être développée en vue d’une application thérapeutique puisque ses effets au niveau des cellules cancéreuses ne sont que faiblement efficaces et son action moléculaire n’est encore pas élucidée.

Les investigations concernant l’amélioration de cette molécule continuent. En effet, Carmen Romera a synthétisé de nouvelles molécules qui possèdent d’autres cations centraux, tels que l’or.

Une étude réalisée sur la molécule TMPyP4 avait déjà démontré l’importance du cation central. En effet, un travail regroupe les tests de molécules TMPyP4 avec toute une série d’ions centraux différents et ils évaluent la capacité de ces molécules à inhiber la télomérase dans des tests TRAP (Shi et al., 2001). Il semble que l’ion Mn(III) de géométrie octahédrale, puisse déstabiliser les interactions d’empilement contrairement à l’ion Au(III), de géométrie plane. Ainsi l’importance de l’ion central peut être reliée aux interactions d’empilement nécessaires à l’interaction entre les molécules porphyriniques et les G4. En effet, l’équipe de Geneviève Pratviel envisage que la molécule ID3-010 se lie aux G4 par des interactions d’empilement avec le cœur porphyrinique et que les bras cationiques pourraient potentialiser l’affinité pour les G4 en interagissant avec les sillons ou les boucles du G4 (Dixon et al., 2007; Shi et al., 2001). Cependant, même s’il a été prouvé que le nombre de charges présentes sur la molécule ligand était important pour l’inhibition de la télomérase in vitro (Shi et al., 2001), une étude récemment publiée a montré que l’ajout de bras cationiques n’avait pas d’incidence sur l’affinité de la porphyrine TMPyP4 pour les G4 (Wei et al., 2009). Les investigations doivent être poursuivies pour améliorer les bras cationiques pour une meilleure affinité.

La stratégie ciblant les G4 s’avère être une stratégie thérapeutique prometteuse.

Premièrement, contrairement à la stratégie ciblant la télomérase, cette stratégie peut s’avérer efficace pour inhiber la prolifération cellulaire dans les cellules télomérase-positives et également dans les cellules utilisant le mécanisme ALT pour maintenir la longueur télomérique. En effet, si les cellules ALT maintiennent la longueur télomérique par des mécanismes de recombinaison et de réplication, la formation et stabilisation de G4 semblent capables d’inhiber

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ces mécanismes (Crabbe et al., 2004). Cette stratégie pourrait cibler un panel plus large de cellules cancéreuses.

De plus, comme nous l’avons vu dans l’introduction, les G4 sont présents dans des régions clés du génome. Ainsi, un traitement par un ligand des G4 devra avoir plusieurs incidences au niveau du métabolisme cellulaire. Il a été montré que l’utilisation de G4 provoquait la diminution de la transcription de certains oncogènes comme c-kit (Hsu et al., 2009), c-myc, …. De plus, le promoteur de la télomérase elle-même possède la capacité de former des G4, provoquant une diminution de son expression (Palumbo et al., 2009). Et l’utilisation d’un ligand de G4 a été démontrée comme agissant sur l’épissage alternatif de hTERT (Gomez et al., 2004a), aboutissant à une diminution de l’activité de la télomérase. Les cellules cancéreuses sont des cellules en forte prolifération, elles nécessitent donc une importante production protéique, par l’intermédiaire des ribosomes. Or, l’ADN ribosomal est composé d’une séquence riche en G et est susceptible de former des G4 (Hershman et al., 2008). La stabilisation des G4 par une molécule ligand provoque l’inhibition de la transcription des ARNr et induit l’apoptose des cellules (Drygin et al., 2009). Ainsi, lorsqu’une molécule stabilisant les G4 est testée in cellulo, il serait intéressant de pouvoir évaluer l’ensemble des voies altérées. Une étude réalisée en 2002, montre une action combinée sur la transcription de l’oncogène c-myc et sur l’expression de la sous-unité hTERT de la télomérase, reflétant les actions multiples que peuvent avoir un traitement cellulaire par un ligand des G4 (Grand et al., 2002). Cependant, ce traitement multiple pourrait diminuer la sélectivité de la molécule thérapeutique par rapport aux cellules cancéreuses. Actuellement, il semble que certaines molécules reconnaissent ou induisent la formation d’un seul type de structure de G4. Par exemple, la molécule TMPyP4 induit le changement d’une structure parallèle en une structure antiparallèle (Zhang et al., 2009) et peut également déstabiliser certaines structures (Weisman-Shomer et al., 2003).

Ainsi, on peut envisager la synthèse d’une molécule ciblant un seul de type de structure qui aurait une sélectivité plus importante pour les G4 d’une cellule cancéreuse. Il se peut en effet, étant donné les changements de métabolisme dans une cellule cancéreuse par rapport à une cellule saine, que les G4 aient une structure différente, ce qui permettrait de cibler spécifiquement les cellules cancéreuses.