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B. Leur relation à l’homme et la dichotomie du personnage masculin

1. La démystification du western

Malgré la phallocratie ambiante, le genre et ses personnages masculins ne se limitent pas à cette virilité. George Stevens dénonce ce machisme141 mais il en garde

tout de même l’essence masculine. Il minimise l’impact de Leslie et l’implication des autres femmes dans Giant, par rapport au roman d’Edna Ferber dans lequel elles sont encore plus engagées. Beaucoup s’accordent à dire qu’il ne faut pas limiter le genre du western à une chevauchée, cela ne tient que du mythe142 – même si le genre implique

inévitablement une forme de mouvement. Cependant, la terre est associée à la masculinité et c’est une idée qui a été perpétrée à travers les arts et dans la littérature. L’homme émerge de la terre, il est la terre143.

Le western classique, lors du premier âge du genre comme le définit Jean Gili dans Le Western : évolution et renouveau du western (1962-1968), approche toujours les mêmes sujets et le même genre d’intrigue. Les personnages font toujours face à des situations similaires quel que soit le film, si bien qu’ils finissent tous par avoir beaucoup de points communs et se ressemblent plus que de raison. Les spectateurs se retrouvent ainsi face à une attaque de convoi, à un hold-up, à la prise en otage de la fiancée du héros144, qui se trouve n’être qu’une excuse pour que ce dernier parte à l’aventure, seul,

sans qu’elle n’apparaisse plus qu’au tout début et lors du dénouement du film. Les réalisateurs ne portent alors qu’une relative attention à la réalité historique mais ce n’est

141 Berthomieu (2009), op cit., p321.

142 Bazin [1958] (2002.), op cit., pp. 217-229.

143 Neil Campbell et Aladair Kean. “Chapter 5 - Approaches to regionalism : the West and the South.”

American cultural studies, an introduction to american culture, Abingdon-on-Thames, Routeledge,

2011. p150.

pas là un secret. Le genre n’est pas reconnu pour son réalisme145 mais pour le mythe

auquel il donne vie à l’écran et la glorification de la conquête des Américain sur des territoires alors considérés comme sauvages et inexplorés. Pour Jim Kitses, les westerns manquent à l’époque de subtilité et se contentent de représenter un monde dans lequel

men are men.146 C’est-à-dire un univers dans lequel le héros masculin peut justifier sa

sauvagerie car ce qui en ressortira sera de la bravoure. Néanmoins, pour Hervé Mayer, un western parvient à dépeindre fiction et réalité ensemble en mêlant réalité historique et mythe147, et ce western est Shane. Dans ce film, le mythe prend les traits de Shane

mais la réalité n’est pas mise de côté et est représentée avec le fermier. Malgré tout pour Guy Dubois, s’il est vrai que le mythe prend souvent le pas sur l’Histoire, les westerns essaient tout de même de traiter des enjeux sociaux et de « faire revivre une époque.148»

Ces premiers westerns se déroulent entre les années 1860 et les années 1890 c’est-à-dire la phase de conquête de l’Ouest, jusqu’à ce que la Frontière disparaisse entre Est et Ouest. Et les spécialistes du genre s’accordent à dire que cette première phase du western prend fin avec la Seconde Guerre mondiale. Le contexte fait que les films de guerre et de propagande prennent le pas sur les westerns qui glorifient alors la conquête de l’Ouest. Les États-Unis font face à une nouvelle menace il faut donc que le cinéma agisse en conséquence.

Cependant, lors du deuxième âge du western, les personnages se modifient, ils évoluent. Ils sont plus développés, plus travaillés et ont plus de profondeur. Ils ne sont plus limités ni à ce que le public connaît du genre, ni à ce qu’il en attend. C’est pourquoi le héros vieillit, s’enlaidit. Il n’est plus autant « Superman149» et invincible qu’il l’était

avant. Dorénavant, il a l’air de subir son destin et l’aventure qui s’ensuit : un

145 Robert Florey. Hollywood années zéro. Paris, Seghers, 1972. p40. 146 Kitses (1973), op cit., pp327-341.

147 Hervé Mayer. « Dépasser la lecture évolutionniste : le Western comme genre révisionniste. » Journée d’étude Évolution de l’Ouest/Évolution du Western : entre classicisme et modernité. Université de Caen Normandie. 11 Janvier 2019.

148 Royot (1984), op cit. 149 Gili (1969), op cit., p244.

« aventurier malgré lui » comme le dit Jean Gili150. Gili le définit aussi comme un

homme « seul » qui traîne son passé derrière lui. Et cette solitude, il ne semble pas pouvoir y échapper. Mais il peut aussi être un preux chevalier ou bien il joue avec la mort. Cette proximité avec la mort et un point sur lequel André Bazin s’accorde dans

Les Cahiers du cinéma. Il ajoute aussi que pour lui le genre s’approche alors de la

tragédie et c’est une ère du genre qu’il nomme le « sur-western.151» Les ennemis

changent aussi. Ce fut d’abord les Indiens, désormais les protagonistes font face à d’autres communautés : les Noirs, les Mexicains ; les Indiens ne sont plus les boucs émissaires et apparaissent maintenant sous les traits d’un chef de tribu noble, juste et respectable avec lequel une entente va se créer pour qu’il puisse être l’égal de l’homme Blanc. De plus, après la guerre, l’ennemi est ailleurs pour les États-Unis. Maintenant que l’Ouest est conquis, c’est aussi une guerre contre le communisme152 qui prend place

avec le MacCarthysme notamment comme cela peut être vu dans Johnny Guitar qui est considéré comme une « allégorie anti-Maccarthyiste.153» De plus, dans les années

soixante, entre la guerre du Vietnam, les mouvements de libération et les problèmes raciaux, la jeunesse est en pleine rébellion. Une jeunesse qui représente environ soixante-dix pour cent de la fréquentation des salle de cinéma. Ainsi, il faut répondre à de nouvelles attentes. C’est pourquoi les films montrent la cruauté des Blancs par exemple. Il faut se montrer critique envers les États-Unis après n’avoir fait que les glorifier : il faut en fait le procès154. La télévision est aussi de plus en plus populaire il

faut donc faire des superproductions pour attirer les gens dans les cinémas donc les films abordent les sujets qui touchent et intéressent les jeunes. D’où des films tels East

of Eden (Elia Kazan, Warner Bros, US, April 1955) ou Rebel Without a Cause (Nicholas

Ray, Warner Bros, US, Octobre 1955), tous deux avec James Dean.

150 Ibid. p245.

151 Aziza et Tixier (2015), op cit. 152 Royot (1984), op cit.

153 Jennifer Peterson. “The Competing tunes of ‘Johnny Guitar’: liberalism, sexuality, masquerade.”

Cinema Journal, vol. 35, no. 3, 1996. JSTOR. p3. <www.jstor.org/stable/1225762>. Consulté le 5 Mai 2019.

Ces changements qui apparaissent dans le genre sont ce qui marque la démystification du western. Fut un temps, il était vu comme a worship of the phallus155,

et aussi comme un endroit où les hommes domptent la terre – et les femmes. On s’éloigne de son ère classique, de ses codes et de ses rouages pour se diriger vers l’apparition d’un nouveau héros. Un nouveau héros plus dans l’air du temps. En effet, après la période de trouble que fut la Seconde Guerre mondiale, il n’est plus possible de représenter un héros invincible, qui n’a peur de rien et qui est victorieux dans tout ce qu’il entreprend. Il faut qu’il réponde davantage à l’état d’esprit du public américain, à ses interrogations et à ses peurs. Alors le héros doit douter, échouer, gagner en humanité. La démystification du genre implique que le héros soit rabaissé au même niveau que celui du spectateur156, qui lui, doit pouvoir s’identifier.

Lorsqu’il s’agit de solitude, Jett en est un bon exemple. En tant que l’homme de main du ranch Benedict il est regardé de haut, souvent à l’arrière-plan, et Luz et Bick lui disent quoi faire. Il reste un employé, en aucun cas il n’est un ami, il n’en a pas non plus. Lorsqu’il acquiert sa propre parcelle de terre, il est plus seul que jamais. Seule Leslie le considère comme son ami, et lui, s’accroche désespérément à elle, dont il est fou amoureux. Et pour ce qui est du renouveau du genre, il est indéniable dans Duel in

the Sun. Il est l’un des représentants des nouveaux westerns d’après-guerre dans

lesquels le public découvre un nouveau rapport entre hommes et femmes et de nouveaux héros, avec le métissage de Pearl, personnage principal, ou dans un fils qui se rebelle face à l’autorité de son père, avec Jesse.