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Quelle démarche méthodologique pour appréhender des

systèmes complexes et évolutifs ?

L’étude comparée des hortillonnages et des chinampas s’appuie sur trois impératifs : ‐ comprendre l’organisation et le fonctionnement de ces systèmes ;

‐ identifier les dynamiques de l’occupation du sol sur chacun des sites pour pouvoir ensuite proposer des scénarios prospectifs d’évolution ;

‐ mettre en parallèle les résultats de façon à faire ressortir les éléments communs et les spécificités locales, tant dans la nature des changements que dans leur vitesse.

Pour rendre cette comparaison pertinente, il est indispensable de définir au préalable une méthodologie d’analyse commune aux deux terrains qui repose sur l’adéquation des outils et des données en fonction des sites étudiés et des thématiques abordées.

Chapitre 3 – Quelle démarche méthodologique pour appréhender des espaces complexes et évolutifs ?

1. Définition d’un système de référence spatio-temporel

Le mot « système » est dérivé du grec « systema », signifiant « ensemble organisé ». Selon De Rosnay (1975, p. 93), c’est « un ensemble d'éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d'un but ». Un système est dit « complexe » lorsqu’il se compose d’une grande variété de composants et de liaisons (souvent non linéaires) qui rend son comportement difficilement prévisible (De Rosnay, 1975, p. 96).

1.1. Hortillonnages et chinampas : des systèmes complexes

« Système d’agriculture sur l’eau », « système économique traditionnel », « système patrimonial complexe1», les références au terme « système » ne manquent pas pour qualifier les hortillonnages et les chinampas. Ils sont assimilés à des systèmes ouverts en relation permanente avec leur environnement et complexes par la diversité des éléments et des interactions qui les compose.

1.1.1. Organisation d’un système : aspect structural et fonctionnel

Un système se définit par l’organisation spatiale de ses composants (aspect structural) et par son organisation temporelle (aspect fonctionnel). La première correspond à la structure du système et comprend quatre éléments fondamentaux (De Rosnay, 1975, p. 98) :

‐ les limites (ou frontières) qui permettent d’identifier et de circonscrire le système dans son environnement (par exemple les limites physiques ou officielles des hortillonnages et des chinampas) ;

‐ les éléments (ou composants) qui peuvent être dénombrés et regroupés dans des catégories (habitants, exploitants, végétation, etc.) ;

‐ les réservoirs dans lesquels ces éléments sont rassemblés et où sont stockés l’énergie, l’information et les matériaux. Ils peuvent être naturels (atmosphère, plan d’eau) ou anthropiques (hangar, centre de formation, village, etc.) ;

‐ les réseaux de communication permettent l’échange d’énergie, d’information et de matériaux entre les éléments du système et entre les réservoirs (routes, canaux, lignes électriques, etc.). L’aspect fonctionnel correspond aux modifications des flux d'énergie, de matière ou d'information qui traversent le système. Ce dernier dispose d’une multitude de processus qui permet la transformation des entrées (qui résultent de l’influence de l’environnement sur le système) en sorties (actions du système sur l’environnement). Son fonctionnement repose sur le jeu combiné des flux, des réservoirs et des boucles de rétroaction, ces dernières jouant un rôle déterminant.

La « rétroaction » est le mécanisme qui renvoie des informations issues des résultats d’une action vers l'entrée du système (De Rosnay, 1975, p. 103). Si ces nouvelles données accélèrent la transformation dans le même sens que le précédent, la boucle de rétroaction est dite positive. Le terme « positif » doit être pris dans le sens d’un effet cumulatif (effet « boule de neige ») qui accentue les divergences, et non d’un jugement de valeur. La surfréquentation touristique, qui accélère les dégradations de l’environnement, est un exemple de rétroaction positive. À l’inverse, la boucle de rétroaction négative joue un rôle régulateur et stabilisateur : toute variation vers le plus entraîne une correction vers le moins et inversement. Le système oscille autour d’un point d’équilibre et parvient à se maintenir au cours du temps (« stabilité dynamique »). En reprenant l’exemple précédent, les recettes financières

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issues du tourisme et utilisées pour restaurer les sites, et donc ralentir leur dégradation, sont considérées comme une boucle de rétroaction négative.

1.1.2. De la complexité vers la dynamique

L’approche systémique est fondée sur plusieurs concepts fondamentaux dont trois sont ici présentés en liaison avec la problématique de cette recherche :

‐ la complexité : un système complexe est caractérisé par une grande variété d’éléments organisés en niveaux hiérarchiques, eux-mêmes reliés par une grande variété de liaisons. De cet assemblage résulte une haute densité d’interconnexions. L’analyse séparée de chaque composant (par exemple le tourisme et l’agriculture) ne permet pas de comprendre le fonctionnement du système (hortillonnages ou chinampas). Pour y parvenir, il faut raisonner à une échelle plus vaste en abordant le système de façon globale ;

‐ la globalité exprime à la fois l'interdépendance des éléments du système et la cohérence de l'ensemble. Un système n’étant pas la somme de ses composants, il ne suffit pas d’analyser tous les éléments qui le constituent. Il faut également appréhender le système dans sa globalité pour savoir comment fonctionne chaque composant et comment il s’intègre à l’intérieur de celui-ci ;

‐ l’interaction fait ressortir les liens de dépendance qui existent à l'intérieur des différents composants d'un système. En général, la relation entre deux éléments n’est pas une simple action causale d’un élément A (par exemple un agriculteur) sur un élément B (l’environnement). Elle comporte une double action de A sur B et de B sur A : l’environnement réagit à l’action de l’agriculteur (par exemple une baisse de la fertilité des sols à cause de l’exploitation intensive) et ce dernier s’adapte à ces transformations (modification des pratiques agricoles).

Pour se maintenir et durer, le système doit donc s’adapter aux modifications de son environnement et évoluer par l’intermédiaire de ses mécanismes de régulation : c’est l’homéostasie, c'est-à-dire la capacité de résistance au changement (De Rosnay, 1975, p. 114). Cette adaptation du système se traduit par une évolution1 progressive, régressive ou cyclique (succession de plusieurs phases contraires). Lorsque cette évolution entraîne un changement résultant d’un jeu de forces, on parle de « dynamique ». L’étude de la dynamique des territoires porte, selon Brunet (1993, p. 171), sur « les changements des organisations territoriales et les forces qui les provoquent et qu’ils contraignent » (changement dans les localisations d’activités, de populations, etc.).

Si le système se transforme de façon brusque avec des changements profonds et structurels qui le font passer d’un état stable vers un autre, cette évolution est qualifiée de « mutation ». Contrairement à la « crise », la « mutation » d’un espace n’est pas forcément quelque chose de négatif puisqu’elle peut aboutir à une nouvelle stabilité. L’évolution du secteur agricole dans les chinampas est considérée comme une « mutation » car la transformation des techniques traditionnelles vers les techniques intensives (en réponse à une baisse de rendement liée à la pollution des sols) a entraîné une nouvelle stabilité entre espace et acteurs. Toute la question est de savoir pour combien de temps ? Cet état stable sera-t-il « durable » ?

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L’évolution est définie comme « un changement graduel de qualité ou de quantité dans le temps » (Brunet, 1993, p. 203).

Chapitre 3 – Quelle démarche méthodologique pour appréhender des espaces complexes et évolutifs ?

Les hortillonnages et les chinampas sont finalement appréhendés comme des systèmes complexes et évolutifs. Ces termes traduisent de façon directe les deux problématiques : la complexité, à travers la multitude d’usages et d’acteurs présents sur les sites et la dynamique, à travers les évolutions récentes de l’occupation du sol. Les composants qui les structurent sont liés les uns aux autres et interagissent à différents niveaux d’organisation et différentes échelles de temps. Pour prendre en compte tous ces éléments, il est nécessaire de se référer à un concept global qui servira à mettre en place une démarche méthodologique adaptée à la problématique.

1.2. Vers une approche conceptuelle à trois entrées

1.2.1. D’une vision naturaliste à une vision anthropique

En géographie, le concept de système, utilisé comme base de réflexion, s’est sans cesse renouvelé au fil des travaux scientifiques. Hérité des approches écologiques russes et allemandes dans les années 1930, le concept d’ « écosystème », centré sur les relations entre les êtres vivants et leur biotope, évolue progressivement en « géosystème ». En 1960, Sochava définit ce dernier comme :

Des systèmes naturels, de niveau local, régional ou global, dans lesquels le substrat minéral, le sol, les communautés d’êtres vivants, l’eau et les masses d’air […] sont interconnectés par des échanges de matière et d’énergie, en un seul ensemble (Rougerie et Beroutchachvili, 1991, p. 59).

Le géosystème s’enrichit donc d’une dimension spatiale plus vaste que celle de l’écosystème et étudie l’espace géographique à l’échelle de ses sous-ensembles en fonction des objectifs de recherche (locale, régionale ou globale). Cette approche aborde un milieu sous trois angles complémentaires : dans sa structure spatiale à la fois horizontale et verticale, dans son fonctionnement et dans ses changements d’états (Beroutchachvili et Bertrand, 1978, p. 62). En s’inscrivant dans l’espace et dans le temps, le géosystème devient un « concept territorial ».

L’École de Toulouse y ajoute ensuite la prise en compte d’un facteur d’évolution jusque-là négligé, l’action anthropique passée et actuelle. Le géosystème est ainsi caractérisé par trois éléments (Figure 22) : l’abiotique (lithomasse, hydromasse, aéromasse), le biotique (biomasse) et l’anthropique (Beroutchachvili et Bertrand, 1978, p. 64). C’est un système hybride (résultat du croisement de données naturelles et anthropiques), dynamique (qui subit des modifications) et ouvert (en interaction avec d’autres géosystèmes).

Certains auteurs s’interrogent sur l’utilité actuelle du géosystème et lui reproche de trop s’orienter vers le milieu naturel et physique. Dans la continuité des travaux menés depuis la fin des années 1970 par le programme « Environnement » du CNRS, Lévêque (2003) propose le concept d’ « anthroposystème » pour mieux prendre en compte l’influence des sociétés. Toujours dans le cadre d’une approche systémique, l’anthroposystème, entité structurelle et fonctionnelle, intègre sur un même espace des sous-systèmes naturels et sociaux. Son analyse privilégie les interactions et les rétroactions. La dimension temporelle est également présente puisque le système évolue à des échelles de temps et d’espace variées.

Il semble que le concept d’anthroposystème soit une avancée supplémentaire dans l’analyse systémique en géographie, comme l’a été, en son temps, le géosystème pour l’écosystème. En s’adaptant à l’évolution des sociétés et aux préoccupations actuelles centrées sur l’environnement, il intègre de nouvelles dimensions axées sur l’impact de l’homme et de ses activités sur le milieu.

Figure 22 : Représentation schématique du concept de géosystème

1.2.2. Une vision systémique associant système naturel, anthropique et

culturel

Malgré l’arrivée de l’anthroposystème, l’approche géosystémique n’a pas pour autant disparu. Au contraire, elle s’est encore enrichie pour mieux tenir compte de la dimension anthropique. Après avoir évolué d’un « système territorial naturel » à un « espace-temps anthropisé », elle aboutit aujourd’hui au « système GTP : géosystème, territoire, paysage » (Bertrand et Bertrand, 2002, p. 281). En plus de la dimension spatiale, temporelle et anthropique, ce concept ajoute un nouveau paramètre : l’approche culturelle. Le système GTP appréhende ainsi l’environnement par la combinaison de trois entrées en interaction les unes avec les autres (Figure 23) :

- le Géosystème correspond à l’objet matériel, hérité de l’interaction entre les facteurs naturels et les aménagements humains. Il permet d’analyser la structure et le fonctionnement d’un espace ;

- le Territoire intègre les facteurs socio-économiques qui contribuent, à travers l’exploitation et la gestion des ressources, à l’évolution des formes paysagères. Il permet d’analyser les répercussions de ces facteurs sur un espace ;

- le Paysage englobe la dimension subjective relevant du socio-culturel (patrimoine, identité, représentation, etc.) et appréhende le côté immatériel de l’espace. Le processus d’« artialisation », analysé par A. Roger, montre que le regard paysager, et en particulier la perception esthétique du paysage, est en réalité une construction culturelle étroitement liée à une opération artistique : « il n’y a pas de beauté naturelle ou, plus exactement, la nature ne devient belle à nos yeux que par le truchement de l’art » (Roger, 1997).

Chapitre 3 – Quelle démarche méthodologique pour appréhender des espaces complexes et évolutifs ?

Le système GTP est donc une construction systémique qui permet d’appréhender la complexité d’un espace tout en respectant sa diversité et ses interactions (Bertrand et Bertrand, 2002, p. 280). Pour aborder ce système tripolaire, l’approche doit nécessairement être globale et systémique en s’appuyant sur différents vecteurs d’analyse.

1.3. Les vecteurs d’analyse du système Géosystème-Territoire-Paysage

L’interaction des trois composantes du système GTP s’inscrit dans l’espace à travers des types différents d’occupation du sol et de leur paysage construit et « représenté ». C’est donc naturellement vers ces thématiques que se dirige l’analyse spatiale menée dans cette recherche.

1.3.1. Occupation et utilisation du sol : une « réalité concrète »

Bien qu’apparemment similaires, les termes « occupation » et « utilisation » du sol ont chacun leur propre définition qui renvoie à des problématiques et des outils d’analyse différents. Le premier fait référence aux propriétés physiques de la surface terrestre alors que le second renvoie aux fonctions économiques et sociales (Corgne, 2004, p. 13).

L’occupation du sol peut être assimilée au côté matériel du paysage. De celui-ci, elle conserve sa nature systémique à la croisée de multiples facteurs. Beaujeu-Garnier (1997) la définit comme la « résultante qui exprime spatialement un état d’équilibre entre les données du milieu et l’action humaine complexe ». On peut s’interroger sur cette notion d’équilibre à prendre avec précaution mais la définition même de l’occupation du sol est là : c’est le résultat à un instant t d’un produit entre des facteurs « naturels » (topographie, climat, végétation, etc.) et anthropiques. Cette approche « matérielle » s’appuie sur l’exploitation d’outils à vision verticale (Wieber, 1987).

Mais l’analyse de l’occupation du sol à travers les données-images ne rend pas entièrement compte de toutes les utilisations. Certaines d’entre elles ne s’inscrivent pas physiquement dans l’espace et sont donc « invisibles ». Les usages passifs comme l’observation de la nature ou la promenade ne sont par exemple pas décelables sur une image satellite ou photographique. Pour que l’analyse soit cohérente, il est donc nécessaire d’intégrer un nouveau paramètre : la notion d’utilisation du sol ou d’usage.

Contrairement à l’occupation, l’utilisation du sol apparaît plus immatérielle. Elle correspond à la fonction économique d’un espace en indiquant précisément l’activité présente et renvoie à la manière dont il est exploité (Brown et Duh, 2004). Ces distinctions sémantiques se retrouvent dans le système de classification des unités spatiales. Lorsque les classes d’occupation du sol correspondent à des attributs généraux tels que « arbres », « bâti » ou « eau », celles de l’utilisation du sol précisent davantage l’information (« vergers » ou « bosquets », « bâti résidentiel » ou « bâti industriel », « canaux » ou « lagune »). Les objectifs de recherche et la démarche méthodologique (acquisition et exploitation des données) sont donc totalement différents d’un cas à l’autre. L’analyse de l’occupation du sol établit des cartes de « couverture des sols » qui peuvent par la suite être intégrées dans des modèles numériques pour déterminer des tendances évolutives. Les données relatives à l’utilisation du sol sont plutôt utilisées comme des outils d’aide à la décision afin d’élaborer des plans d’aménagement et de gestion du territoire (Corgne, 2004).

Bien que les définitions et les objectifs soient différents, les deux termes sont étroitement liés et nécessairement complémentaires. La création de cartes d’occupation du sol (à partir d’images satellites et/ou photographiques) constitue la première étape pour établir un état des lieux. Par la suite, l’ajout de données vectorielles et alphanumériques affine les résultats pour parvenir à une meilleure

compréhension des dynamiques. Les deux approches sont donc indissociables pour une analyse pertinente des transformations spatio-temporelles.

1.3.2. Le paysage : une « réalité immatérielle »

Le terme « paysage » a toujours occupé une place particulière dans les recherches en géographie. Tour à tour estimé puis méprisé, notion vague pour certains, concept fondamental pour d’autres, il a profondément divisé les géographes.

Le mot viendrait de l’italien paesaggio, apparu à la Renaissance à propos de la peinture et signifiant « ce que l’on voit du pays ; ce que l’œil embrasse d’un seul coup d’œil » (Brunet, 1993, p. 373). Cette définition a largement inspiré les dictionnaires actuels de la langue française qui insistent sur l’importance de la vision et donc d’un observateur. Cette caractéristique est un des critères qui a longtemps desservi le concept de paysage. Dans les années 1960-1970, celui-ci est considéré comme un « terme désuet et imprécis, donc commode que chacun utilise à sa guise » (Bertrand, 1968, p. 249). Jugé trop subjectif, il ne peut être perçu de façon neutre et objective par le géographe. Son existence en tant qu’objet d’analyse est donc profondément remise en cause. Pourtant, après les années 1970, le paysage est remis au goût du jour. D’après Gérard Granier (2004, p. 157), ce revirement est rendu possible par le retour des questions environnementales. La définition évolue d’ailleurs dans ce sens dans le dictionnaire de Lévy et Lussault, en 2003 :

Représentation territorialisée de l’environnement, qui est situé géographiquement et caractérisé par des composantes matérielles qui ont aussi une valeur culturelle. De nombreux auteurs appréhendent le paysage comme une interface entre deux systèmes : système matériel (objectif) et système de représentation (subjectif). Cette conception fut reprise et développée par l’École de Besançon avec le concept de paysage visible qui représente « non pas le paysage en soi mais le paysage vu si quelqu’un le regarde » (Wieber, 2002). Il est ainsi constitué d’une infinité d’images puisque chaque objet renvoie des images différentes selon le point d’observation (Rougerie et Beroutchachvili, 1991, p. 99). Le but de l’analyse paysagère est de mettre en évidence les degrés d’adéquation entre ces images et les objets auxquels elles semblent renvoyer. Chaque individu a en effet sa propre représentation du paysage en fonction des rapports qu’il entretient avec son territoire. Un agriculteur, un promeneur ou un chasseur n’auront ainsi pas la même image d’un espace pourtant identique.

Dans l’approche de R. Brunet (1974), le paysage est abordé sous un angle sémiologique et doit être analysé comme « un ensemble de signes représentant des systèmes » (Figure 24). On retrouve dans ce schéma le pôle objectif du paysage (le « système » qui coïncide avec le « système producteur » de l’École de Besançon) et le pôle subjectif (les perceptions).

Entre les deux, à la place du paysage visible, deux éléments se chevauchent : les structures spatiales et le paysage qui est le reflet, « incomplet et déformé », de ces dernières. Incomplet, car les éléments qui constituent un espace (systèmes de productions, flux, structures sociales, etc.) ne s’inscrivent pas tous visuellement dans le paysage. Déformé, car le paysage combine des phénomènes de rémanence (il intègre des traces d’anciens systèmes disparus, par exemple la présence de taillis démontre une utilisation forestière), de convergence (une même forme peut être le résultat de mécanismes différents) ou de divergence (un même mécanisme peut engendrer des formes différentes).

Chapitre 3 – Quelle démarche méthodologique pour appréhender des espaces complexes et évolutifs ?

Figure 24 : Le paysage, vu sous son angle sémiologique

À cette définition, R. Brunet ajoute une série de valeurs auxquelles est rattaché le paysage :

- valeur d’usage : le paysage « donne des repères, une familiarité avec les lieux » et a par conséquent une dimension affective ;

- valeur marchande : il est considéré comme un élément du cadre de vie et, à ce titre, peut augmenter ou réduire le prix d’un objet selon sa qualité (notamment esthétique) ;

- valeur de conservation : les paysages considérés comme « beaux » ou « de qualité » par certains individus font l’objet de mesures de protection afin d’éviter toute transformation. Ces valeurs renvoyant à des critères subjectifs, l’importance accordée à un paysage va donc varier selon les groupes d’acteurs et, parfois même, à l’intérieur de chaque groupe en fonction des individus. Les différentes recherches sur le concept de paysage s’accordent ainsi à le définir comme l’association de deux types de réalités : des réalités matérielles constituées par des éléments géographiques naturels ou anthropiques (reliefs, falaises, haies, constructions, etc.) et des réalités immatérielles relevant de la perception. Dans cette étude, le paysage n’est appréhendé qu’à travers ces dernières, les premières étant analysées par les vecteurs d’occupation et d’utilisation du sol.

L’objectif est de comprendre, à travers la mise en place d’enquêtes, comment les acteurs perçoivent et se représentent leur environnement. Les hortillonnages et les chinampas sont des espaces multifonctionnels où cohabitent de multiples usages et acteurs (agriculteurs, touristes, propriétaires, etc.). Leur gestion est donc complexifiée par cette multiplicité d’images et par l’importance qui leur est accordée selon les individus : quel paysage souhaite-t-on protéger ? Pour qui ? Comment ?

Le système GTP est ainsi appréhendé à travers ses trois composantes : le « géosystème », le « territoire » et le « paysage ». Ces derniers interagissent entre eux de manière complexe et contrastée dans le temps et dans l’espace. Pour prendre en compte cette variabilité, la méthode d’analyse se doit