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Les méthodes comparatives

3.2 Ma démarche : critère de comparaison, échantillons et analyse

3.2.1 Le critère de comparaison

Contrairement à ce qu’affirment certains chercheurs qui postulent l’équivalence des systèmes de domination (de race, de la classe, de genre, etc.), la position que j’ai adoptée est d’avoir d’emblée postulé le primat des rapports de genre et de race en posant l’hypothèse que les femmes autochtones au Canada et les femmes noires aux États-Unis furent davantage stérilisées que les autres populations tout en reconnaissant la manière dont ils construisent les rapports de classe. La comparaison que je me propose d’établir sera alors basée sur ce critère de comparaison, c'est-à-dire, la racialisation des sexualités de populations féminines. Celui-ci me permettra de tester mon hypothèse qui, je le rappelle est la suivante : les valeurs et présupposés « scientifiques » sous-jacents à

l’élaboration des politiques de stérilisation ont mené à des stérilisations forcées de certains groupes minorisés.

3.2.2 Le choix des échantillons

La démarche entreprise dans ce mémoire est avant tout déductive puisque mes recherches ont été amorcées dans l’optique de démontrer que certaines populations de femmes racialisées furent contraintes à la stérilisation dans le cadre des lois adoptées au Canada et aux États-Unis. Les échantillons ont été choisis a priori à partir de données recensées dans la littérature. Le mouvement féministe anti-raciste aux États-Unis, qui commença à fleurir dans les années 1970, permit le foisonnement des écrits problématisant comment le racisme, le sexisme et le classisme ont construit, et construisent encore aujourd’hui, l’expérience des femmes africaines-américaines. Les discriminations multiples et simultanées liées à ces systèmes de domination ont historiquement, fait en sorte de poser la sexualité des femmes noires comme étant déviante et problématique. Ce faisant, plusieurs auteurs se sont penchés sur les abus commis à l’encontre des droits reproductifs des femmes noires aux États-Unis (Roberts, 1997a; 1997b; Shapiro, 1985; Ladd-Taylor, 1997). Les données permettant de tester mon hypothèse étaient ainsi relativement accessibles. Bien que les femmes noires aux États-Unis n’aient pas été le seul groupe soumis à des stérilisations forcées, j’ai choisi cette population puisqu’historiquement, la population africaine-américaine fut particulièrement oppressée et discriminée en raison du passé esclavagiste et ségrégationniste du pays. Ainsi, même si d’autres groupes de femmes furent également stérilisés en raison de leur « race », les femmes noires représentent le groupe qui fut le plus visé et le plus largement touché. Elles représentent en quelque sorte un « idéal- type » lequel fonctionne selon une logique de contraste et agit à titre d’instrument heuristique permettant de décrire, de mesurer et d’expliquer (Vigour, 2005). J’utiliserai les États-Unis comme cas directeur. Tel que l’explique Weber, l’objectif sera alors de faire

« […] la synthèse des éléments distincts qui la composent, tels qu’ils se présentent dans la réalité historique. En opérant de la manière suivante : les traits individuels qui dans la réalité historique sont à l’œuvre, multiplement médiatisés, morcelés, plus ou moins cohérents et entiers, plus ou moins mêlés à des traits différents et hétérogènes, nous les sélectionnons dans leur profil le plus marqué, le plus conséquent, nous les combinons en fonction de leur apparentement et

50 ainsi nous construisons un concept « idéaltypique », c’est-à-dire une

formation de pensée, dont l’histoire en ses contenus factuels moyens

s’approche très diversement. » (Weber, 2003[1904] : 419)

La construction d’un idéaltype à partir des États-Unis me permettra, notamment d’évaluer si les stérilisations des femmes autochtones au Canada peuvent être expliquées par des causes communes à celles rencontrées aux États-Unis.

Le choix de mon échantillon canadien fut motivé par la question suivante : quelle population fut particulièrement racialisée au Canada? La réponse à cette question fut le fruit d’une démarche, encore une fois, avant tout déductive. La construction de mon cadre théorique a orienté ma réflexion autour du passé colonial canadien. En effet, comme il l’a été exposé au chapitre I, l’identité sexuelle des populations indigènes – autant homme que femme – fut avant tout construite autour de la notion de « race ». Cette conception colonialiste et racialisée des Premières Nations structura (et structure encore aujourd’hui) nos rapports à ces populations.

Le premier échantillon agira à titre de cas directeur puisque les données canadiennes sur la stérilisation sont beaucoup moins nombreuses que chez nos voisins du Sud. Comme l’expliquent Grekul et al. (2004), les archives albertaines ont été presque entièrement détruites (à 80%) en raison - du moins officiellement - du manque d’espace pour les entreposer. En ce qui a trait aux archives de Colombie-Britannique qui permettraient de retracer des informations quant aux stérilisations perpétrées sous la loi sur la Stérilisation Sexuelle, elles ont été soit perdues ou détruites (McLaren, 1990). J’ai donc jugé opportun de mobiliser deux cadres nationaux différents (le Canada et les États- Unis) pour ma comparaison afin d’évaluer si des déterminations structurelles communes aux deux pays peuvent être observées afin d’expliquer le phénomène à l’étude – la stérilisation forcée des femmes autochtones et des femmes noires – ce qui me permettra de poursuivre mon objectif de recherche, c'est-à-dire, évaluer si des dynamiques de genre, de race, de classe, de nation et de handicap communes aux deux pays peuvent expliquer le phénomène du contrôle des capacités reproductrices des femmes.

J’ai choisi également de mettre de l’avant une analyse de type « contraste contextuel » puisque cette approche permet de tenir compte de la spécificité de chacun des cas à l’étude. Le chapitre IV décrira donc en détail mes deux échantillons et présentera les données me permettant d’explorer la pertinence de l’hypothèse émise. Finalement, ma démarche intégrera également l’approche de « test parallèle de théories » afin de tester la validité des assises théoriques construites aux chapitres I et II. Ainsi, les résultats seront interprétés à la lumière de leviers théoriques déjà constitués, c’est-à-dire, les concepts issus des ouvrages de Foucault, les théorisations féministes sur la construction des frontières nationales au sein des colonies à partir de l’appropriation des sexualités des femmes et l’intersectionnalité; ce que je m’emploierai à faire au chapitre V.

Chapitre IV

La stérilisation forcée : Une domination de race, de genre, de classe et