• Aucun résultat trouvé

1. L ES DIFFICULTÉS “ ORDINAIRES ” D ’ APPRENTISSAGE

1.3 Délimitation du construit

Même si notre développement nous a conduit à la circonscription de la notion de difficultés “ordinaires” d’apprentissage, nous devons admettre qu’il demeure encore instable en certains points. Les zones d’ombre qui subsistent, concernant ses limites notamment, nous contraignent à pousser notre réflexion un peu plus loin.

1.3.1 Une question de sens

Si nous reconnaissons l’existence de difficultés ordinaires en contexte de classe, devons-nous admettre que certaines difficultés pourraient avoir un statut “extraordinaire” ? Quel sens donner à l'adjectif “ordinaire” ? Ordinaire : est-ce normal, automatique, pour tous les élèves, pour toutes les disciplines, pour toutes les situations d'apprentissage ? Comment différencier une difficulté banale, normale d’une difficulté plus importante, voire préoccupante qui conduit parfois à l’échec ? Pouvons-nous délimiter précisément le construit de difficultés “ordinaires” d’apprentissage ? Il s’agit de questions épineuses auxquelles nous allons tenter de répondre.

Si nous nous référons une nouvelle fois aux travaux de Benoît (2005), notre objet de recherche s’inscrit davantage dans une approche psychopédagogique. Dans cette perspective, l’adjectif “ordinaire” fait explicitement référence au sens premier de ce terme : « conforme à l'ordre normal, habituel des choses ; sans condition particulière » (Le Petit Robert, 2015). La difficulté est ordinaire dans la mesure où elle est considérée comme un moment normal, courant et coutumier de l’apprentissage. Les difficultés rencontrées font « partie de l’ordinaire de l’apprentissage » (Guyot, 2001, p. 78), indépendamment des troubles, des handicaps pouvant affecter l’élève. Si nous nous plaçons à présent du côté d’une approche psychopathologique, telle que Benoît (2005) la définit, l’adjectif “ordinaire” pourrait être entendu différemment. Sous cet angle, rappelons-le, les difficultés sont intrinsèques à l’élève. Il est question de repérer le trouble, la déficience ou le dysfonctionnement pouvant affecter l’apprentissage. Dans cette perspective, le terme “ordinaire” pourrait être entendu dans son deuxième sens : « dont la qualité ne dépasse pas le niveau moyen le plus courant, qui n'a aucun caractère spécial » (Le Petit Robert, 2015), en opposition à d’autres difficultés d’une gravité plus importante. En effet – en prenant toutes les précautions qui s’imposent, tant les difficultés et les troubles d’apprentissage recouvrent un ensemble de problèmes très divers (Saint-Laurent, 2008) et sont soumis à de multiples interprétations (Perraudeau, 2006) –, nous pourrions envisager une différenciation des difficultés d’un point de vue qualitatif : de la difficulté légère d’apprentissage aux

grandes difficultés. Quelques remarques s’imposent alors. Premièrement, dans le sens où nous l’entendons, l’adjectif “ordinaire” ne désigne pas la difficulté dans son versant qualitatif. Si tel était le cas, nous devrions ordonner sur une échelle les différentes difficultés repérées au cours de l’apprentissage (parmi celles mentionnées en introduction par exemple) en fonction de leur gravité, tout en fixant une norme. Nous n’envisageons pas d'attribuer à la difficulté “ordinaire”, une valeur quelconque ou une qualité spécifique. Cela n’aurait aucun sens. Comment savoir si, ne pas accorder un verbe dans une phrase relève d’une difficulté plus importante, que celle d’écrire 10020 à la place de 120 ? Cet exercice est voué à l’échec. En quoi aiderait-il l’enseignant à accompagner l’élève dans ses apprentissages ? Deuxièmement, nous devons admettre que le qualificatif “extraordinaire” est peu approprié pour évoquer la notion de difficultés d’apprentissage. Si nous souhaitons désigner des difficultés plus conséquentes, les termes de grandes difficultés, de troubles, voire d’échec scolaire semblent être les plus appropriés. D’ailleurs, les écrits professionnels, ministériels et scientifiques font le plus souvent appel à ces termes pour décrire ces phénomènes.

1.3.2 Une question de non-persistance dans le temps

Rappelons que nous avons circonscrit la notion de difficulté “ordinaire” à son origine (les différents types d’obstacles) et à un type de situation d’enseignement apprentissage : une situation-problème (Astolfi, 1993). Nous pouvons envisager qu’à un moment donné – là encore, nous devons manier la variable “temps” avec beaucoup de précautions – la difficulté éprouvée par l’élève s’estompe. Les gestes professionnels mobilisés par l’enseignant devraient d’ailleurs y contribuer. L’élève serait alors en mesure de réaliser seul la tâche qui lui est demandée. Son côté transitoire et passager en fait une caractéristique élémentaire. La temporalité de la difficulté est une dimension difficilement saisissable, dans la mesure où la difficulté est un événement temporaire qui ne se résout pas forcément dans le cadre d’une seule séance. De fait, il n’est pas rare qu’un élève ait besoin d'être confronté à de nombreuses situations avant de maîtriser un objet visé. En conséquence, nous pourrions formuler l’hypothèse qu’une difficulté cesse d’être ordinaire

dès lors qu’elle persiste dans le temps en dépit de l’accompagnement envisagé par l’enseignant ou, comme le signale Bautier, Bonnéry, Terrail, Bebi, Branca-Roscoff et Lesort (2002) « après l’échec relatif des différentes aides apportées » (p. 85) en classe et qui n’ont pas permis à l’élève de « progresser suffisamment dans ses apprentissages pour lui permettre d’atteindre les exigences minimales de réussite » (Saint-Laurent, 2008, p. 161).

1.3.3 Une question d’appréciation

Là encore, nous devons nuancer notre propos. En effet, il nous semble difficile, voire impossible, d’établir une limite précise des différentes difficultés ordinaires que nous pourrions observer en contexte de classe. À l’instar de Monfroy (2002), nous pensons que le statut attribué à la difficulté dépend avant tout de l’appréciation de l’enseignant dans un contexte donné. La perception de cette notion peut être différente d’un enseignant à l’autre. Elle peut aussi être dépendante d’une situation, d’un contexte, d’une classe, de la connaissance que l’enseignant a de l’élève, ou de la manière dont les enseignants appréhendent ce phénomène. En outre, elle n’apparaît pas d’une manière systématique, régulière ou coutumière. Nous aurions même tendance à croire qu’elle intervient au moment où l’on s’y attend le moins. De fait, il apparaît difficile d’anticiper toutes les formes de difficultés en amont d’une séance d’enseignement-apprentissage. De même, l’enseignant peut être surpris de voir que certains élèves éprouvent des difficultés aux endroits même où il aurait pensé le contraire.

1.3.4 Une question de positionnement quelque peu militant

Derrière cette étude, nous devons l’admettre, se cache un positionnement quelque peu militant. Nos préoccupations rejoignent d’ailleurs celles formulées par les autorités gouvernementales dès lors qu’elles s’insurgent « contre l’idée, trop répandue, que certains enfants seraient prédestinés à la grande difficulté » (Gouvernement de France, 2013b, p. 5). En outre, parce que le système éducatif français est fondé sur le principe de l’école et du

collège uniques, « tous les élèves doivent être accueillis dans des classes hétérogènes et c’est dans ce cadre que les difficultés de chacun doivent être prévenues et surmontées » (Ibid., p. 5). Il est vrai que les dispositifs mis en place pour intervenir auprès des élèves “en difficulté” sont parfois surabondants, absents, voire limités. Cependant, ils restent encore trop coupés « de ce qui se noue et se dénoue dans la classe » (Ibid., p. 5). En réalité, l’essence de nos travaux ne résiderait-elle pas dans cette volonté d’orienter le regard de l’enseignant au-delà des approches dites “pathologisantes” ? De fait, notre approche se situe aux antipodes d’une démarche “médicale” où seules les actions remédiatrices seraient envisagées pour intervenir auprès des élèves éprouvant des difficultés. Et si la classe, les matières scolaires, l’agir professionnel de l’enseignant détenaient tout le potentiel nécessaire au dépassement des difficultés “ordinaires” d’apprentissage sans qu’il soit nécessaire d’externaliser leur prise en charge ou de recourir aux professionnels de soin ? Tel est le pari que nos travaux ont lancé.

Documents relatifs