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1. L ES DIFFICULTÉS “ ORDINAIRES ” D ’ APPRENTISSAGE

1.2 Exploration du construit

1.2.3 Causes, déclenchement : les obstacles et les facteurs influents

Est-il envisageable d’aborder le construit de difficultés “ordinaires” d’apprentissage sans se préoccuper des éléments qui les déclenchent ? Plusieurs des écrits étudiés explorent cette dimension. Perraudeau (2005, 2006) se focalise sur l’élève et s’attache à décrire les différentes sources de difficultés (structurales ou procédurales) auxquelles ce dernier peut

être confronté. En s’intéressant aux difficultés cognitives, Villepontoux (1997) accorde une place de premier plan à la notion d’obstacles. Son étude met d’ailleurs l’accent sur la variété des causes des obstacles, tant du côté des savoirs, de l’élève, que celui de l’enseignant. Pour cette raison, il les décline en obstacles épistémologiques ou méthodologiques. En définitive, au regard des différents textes explorés, la notion d’obstacle semble constituer une entrée privilégiée dans la justification des causes des difficultés éprouvées par les élèves. Ceci n’est pas très étonnant. Selon Le Dictionnaire de l’Académie française (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, 1992), le terme “difficulté”, au sens “d'opposition, objection” est emprunté au latin difficultas, -atis et signifie : “obstacle, embarras”, “humeur difficile”. La notion d'obstacle apparaît comme fondamentale pour « poser le problème de la connaissance scientifique » affirme Bachelard (1934/2002, p. 16). Dans le même ordre d’idées, il « est inévitable que l'apprentissage et, a fortiori, l'enseignement surtout quand il est axé sur la compréhension des notions communiquées, fasse surgir des obstacles cognitifs » (Brousseau, 1986, p. 277).

Les travaux de Brousseau (1998) nous paraissent incontournables pour aborder la notion d’obstacles dans le domaine de l’apprentissage et de l’enseignement. En s’intéressant aux didactiques des mathématiques, ce chercheur examine et discute la notion d’obstacle épistémologique forgée par Bachelard (1934/2002). Il arrive ainsi à déterminer les obstacles qui se présentent dans le système didactique. Les obstacles rencontrés par les élèves à l’appropriation des connaissances peuvent être attribuables, selon lui, à plusieurs causes. Pour cette raison, précise-t-il, « la notion d'obstacle épistémologique tend à se substituer dans certains cas à celle d'erreur d'enseignement, d'insuffisance du sujet ou de difficulté intrinsèque des connaissances (Brousseau, 1998, p. 8) ». Les obstacles d'origine ontogénique se manifestent du fait des limitations du sujet à un stade de son développement. Les obstacles d'origine didactique « sont ceux qui semblent ne dépendre que d'un choix ou d'un projet du système éducatif » (Brousseau, 1998, p. 8). Enfin, les obstacles d'origine proprement épistémologique « sont ceux que l’on peut retrouver dans l’histoire des concepts eux-mêmes » (Ibid., p. 8). Ils jouent un rôle important dans la constitution d’une connaissance donnée. Avec cet auteur, nous mesurons la complexité de la

notion d’obstacle appliquée au domaine de l’enseignement et de l’apprentissage et la prudence avec laquelle nous devons avancer si nous souhaitons tirer parti de ce concept. Pourtant, il nous paraît fondamental et tout à fait éclairant dans la compréhension des difficultés que les élèves peuvent rencontrer dans leurs apprentissages. Nous comprenons que la notion d’obstacle est multidimensionnelle et inhérente à l’apprentissage. En définitive, les obstacles touchent à la fois, aux savoirs visés (concepts), aux situations d’enseignement- apprentissage visant leur appropriation et à l’élève qui apprend. En conséquence, cette variable pourrait nous permettre de circonscrire encore davantage notre objet de recherche. En effet, à l’appui des arguments que nous venons de développer, il serait sans doute pertinent de limiter notre étude aux seules difficultés “ordinaires” d’apprentissages déclenchées par un obstacle (Brousseau, 1998) dans le cadre d’une situation d’enseignement-apprentissage donnée, du type situation-problème (Astolfi, 1993). La notion d’obstacles, telle que ce chercheur l’entend, éloigne inévitablement le praticien d’une conception trop classique de l’apprentissage. Dans cette perspective, les situations problématiques jouent un rôle fondamental. Sous la conduite de l’enseignant, l’élève, va pouvoir prendre part à une suite d’échanges, en collaboration avec ses pairs sur ce qui lui fait obstacle, et à partir desquels « il va prendre appui pour s'approprier, ou construire, une connaissance nouvelle » (Ibid., p. 9). L’activité de l’élève, sa motivation seront provoquées et entretenues par le problème lui-même.

Afin d’illustrer cette présentation, nous proposons une schématisation (figure 2, page suivante). Elle se donne pour vocation de mettre en relation la notion d’obstacles aux éléments que nous venons d’évoquer : l’élève, l’enseignant et le savoir.

Dans cette schématisation, nous nous limiterons à emprunter à Houssaye (1988) les trois pôles du triangle pédagogique qu’il utilise pour décrire la situation pédagogique pour mieux asseoir les trois sources d’obstacles définis par Brousseau (1998). Nous avons pris l’initiative de les inscrire dans trois cercles afin de faire chevaucher les différents types d’obstacles. Nous voulons ainsi suggérer l’idée d’interactions mutuelles, d’influences, d’enchevêtrements ; la frontière qui les sépare les uns des autres ne semble pas être aussi

étanche que cela. Cette conception pourrait d’ailleurs être mise en parallèle avec les perspectives de recherche dégagées par Duplessis (2007).

Figure 2. Les obstacles dans le système didactique

À l’appui du triangle didactique de Chevallard (1985), cet auteur définit les trois grands domaines d’investigation de la didactique :

- La dimension épistémologique : axe 1, savoir-enseignant (élaboration didactique des contenus d’enseignement) ;

- La dimension psychologique : axe 2, élève-savoir (appropriation des contenus par les élèves) ;

- La dimension praxéologique : axe 3, enseignant-élève (interventions didactiques).

Figure 3. Les trois heuristiques de la recherche didactique

D’autres facteurs peuvent influer sur l’émergence des difficultés éprouvées par les élèves. Pour Villepontoux (1997), les facteurs conatifs (les traits de personnalité, les représentations que l’enfant se fait de lui à l’école, les intérêts et les motivations pour le travail scolaire) influent sur les apprentissages scolaires et notamment lorsque la difficulté cognitive se manifeste. En outre, cet auteur rappelle que les facteurs affectifs sont susceptibles de jouer un rôle important dans l’émergence des difficultés cognitives. De même, le retentissement des problèmes familiaux peut avoir une influence sur l’investissement dans les apprentissages scolaires. L’éloignement de la culture écrite de certains enfants, issus de classes socioculturellement défavorisées notamment, peut aussi expliquer certaines difficultés. Selon Perraudeau (2006), la difficulté peut être essentiellement liée à l’élève dans les rapports complexes entre le développement de sa pensée et les savoirs à acquérir (source individuelle). Elle peut aussi être sociale. Dans ce cas, « elle positionne l’élève dans ses relations aux autres, à travers deux dimensions, l’une macrosociale (famille, culture), l’autre microsociale (relations aux autres élèves, aux professeurs, au contexte d’apprentissage) » (Ibid.). De fait, il est intéressant d’aborder la difficulté d’apprentissage au-delà des seules caractéristiques individuelles de l’élève (Gouvernement du Québec, 2003). Dans cette perspective, sa situation est abordée dans

une vision systémique, où les facteurs individuels (état de santé, profil cognitif et affectif, motivation, style d’apprentissage, entre autres), scolaires (pratiques pédagogiques, mode d’organisation de la classe et de l’école, relations interpersonnelles, par exemple), familiaux ou sociaux (niveau socio-économique, langue et culture, notamment.) sont tous pris en compte pour analyser les difficultés d’apprentissage éprouvées par l’élève. Même si nous reconnaissons l’importance de tous ces facteurs dans l’explication des difficultés éprouvées par les élèves (et notamment les difficultés “ordinaires” d’apprentissage), nous devons admettre que notre étude pourra difficilement s’y attarder. Dans une moindre mesure, nos travaux pourraient partiellement rejoindre les facteurs scolaires tels que le Gouvernement du Québec (2003) les identifie. En tout état de cause, nous n’envisageons pas l’exploration des autres facteurs (individuels, familiaux et sociaux) ni l’analyse de leurs interactions, qui interviennent dans le déclenchement des difficultés d’apprentissage ; nous risquerions de nous éloigner de notre objet d’étude. Ce positionnement permet de nous rapprocher du type de phénomènes auquel nous nous intéressons.

Toujours en lien avec les facteurs influents, Villepontoux (1997) suggère de se préoccuper du contexte général de la classe, afin de mieux interpréter les difficultés éprouvées par les élèves. À cet effet, cet auteur fournit une liste d’indicateurs susceptible d’éclairer le praticien dans sa pratique. Nous les avons disposés dans le tableau 4 inséré à la page suivante afin d’en avoir une vision globale. Au même titre que les autres facteurs influents, ces indicateurs peuvent alerter l’enseignant dans sa gestion des difficultés “ordinaires” d’apprentissage éprouvées par les élèves au quotidien.

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