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Dégradation de la géométrie de l’écriture sous l’effet d’une vitesse imposée

A notre connaissance, les effets de la vitesse sur la géométrie de la trace écrite n’ont été que peu étudiés. Pourtant, il nous semble que comprendre ceux-ci nous permettrait d’acquérir une meilleure compréhension de la production de la trace chez l’humain.

Une étude voulant étudier ces effets doit orienter ses recherches selon deux directions. La première, serait d’étudier au cours de l’apprentissage de l’écriture, et en particulier au collège, l’évolution de la forme de l’écriture des sujets face à la nécessité d’écrire toujours plus, toujours plus rapidement. La deuxième serait de tenter d’étudier, pour un sujet adulte la dégradation que subirait un mot si on lui imposait un temps d’écriture minimal. Serait-il capable d’accomplir cette tâche ? A quel prix sur la lisibilité du mot ?

Dans cette section nous proposons des hypothèses pour chacune des directions et pour chacune des hypothèses nous proposons un protocole expérimental. Malheureusement, ces expériences n’ont pas encore été menées ; les résultats ne pourrons donc pas être montrés ici. Les hypothèses qui seront émises ici ne sont pas suffisantes, c’est à dire qu’elles cherchent à rendre compte de certains aspects de la déformation géométrique, mais pas de tous.

4.5.1 Première hypothèse

Danna [2011] a montré qu’au cours de l’apprentissage de l’écriture, le paysage des patrons de coordination préférentiels de l’écriture évolue d’un stade où il y a deux patrons préfé- rentiels de coordination, à 0 et 180˚, vers un stade où il y en a 4, à 0, 45, 120 et 180˚, en passant par un état intermédiaire où il y a trois patrons préférentiels, à 0, 90 et 180˚. Notre hypothèse est qu’au cours de l’apprentissage de l’écriture, du passage de l’état inter- médiaire à l’état final, l’attracteur situé à 90˚ se déplace vers 0˚ au fur et à mesure que la vitesse d’écriture du sujet augmente. Finalement, plus cet état stable est proche de 0˚ et plus le sujet aurait une vitesse d’écriture élevée. Géométriquement, cela se traduit par la règle qui voudrait que moins l’écriture d’un sujet est arrondie, plus il écrit, en général, rapidement.

On pourrait croire que, pour vérifier cette hypothèse, il suffirait de comparer la vi- tesse d’écriture de sujets adultes et d’étudier les pics de phase relative associés. Seulement d’autres paramètres entrent en considération dans la forme de l’écriture, et sa vitesse de trace, comme le montrent les équations 2.20et 2.19. Par ailleurs comme nous pouvons le voir sur les distributions présentées en section précédente (figure 4.13), notre hypothèse n’est pas vérifiable : deux participants parmi les plus lents ont des pics de distribution cor- respondant à des phases relatives les plus faibles. Comme expliquer cela ? Si l’on considère

que nous ne sommes pas tous égaux en matière de vitesse de mouvement, on peut supposer que les personnes les plus intrinsèquement lentes ont besoin, au cours de l’apprentissage de l’écriture, de plus décaler leur attracteur vers zéro pour compenser cette lenteur relative.

Il nous faudrait donc faire des comparaisons, pour chaque sujet, à différents stades de leur apprentissage de l’écriture. Le protocole serait alors le suivant :

Protocole Sur N sujet, tous les 6 mois de 7 à 18 ans, on réalise l’expérience de scanning présentée par Athènes et al. [2004], voir section 4.2.1. Puis les sujets doivent ensuite réa- liser l’expérience présentée en section4.4. L’hypothèse serait alors vérifiée si pour chaque sujet, l’apprentissage de l’écriture et, en particulier, l’augmentation de la vitesse de tracé, s’accompagne d’un décalage progressif d’un attracteur de 90˚ vers 0˚. Ce décalage devrait être d’autant plus prononcé pour les sujets ayant eu le plus fort accroissement de vitesse d’écriture par rapport à leur vitesse initiale.

4.5.2 Seconde hypothèse

Pour cette hypothèse nous nous intéressons à la déformation géométrique que subit l’écri- ture si on "force" un sujet à écrire un mot à une vitesse plus élevée que sa vitesse maximale habituelle. Des observations, effectuées sur trois sujets, laissent penser qu’il est difficile d’augmenter sa vitesse d’écriture. En effet, il a été demandé à ces sujets d’écrire quelques mots à vitesse spontanée, puis d’écrire ces mêmes mots à vitesse maximale (que l’on nomme vitesse spontanée maximale). Les résultats sont sans appel ; les changements géométriques ainsi que la différence de temps de production de ces mots sont minimes. Les mots écrits à vitesse maximale spontanée l’étaient dans une durée rarement inférieure à 70% de la durée associée à la vitesse spontanée.

L’idée est alors de "forcer" les scripteurs à aller encore plus vite. S’ils y arrivent vrai- ment, alors on suppose qu’il y aura une déformation dramatique de la trace. Dans le cas contraire, on suppose que la trace ne sera simplement pas terminée et aura l’aspect, pour la partie effectuée, de la géométrie associée à la vitesse maximale spontanée.

Dans le cas où il y a déformation majeure de la trace, notre hypothèse est que l’un des aspects de cette déformation est donnée par la disparition du patron préférentiel de coordination autour de 45˚ et que la phase relative associée au tracé se trouve alors attirée par l’attracteur 0˚, comme dans le cas de la coordination bimanuelle (voir section4.1.2). Une simulation de notre hypothèse sur une trace "umbrella" écrite à vitesse spontanée est présentée en figure 4.14. Plus la phase relative se contracte, plus la trace perd ses spécificités. En particulier les boucles disparaissent, les "pics" et les "ponts" deviennent semblables. Seule l’amplitude des lettres semble encore permettre de les différencier. Nous ne formulons aucune hypothèse sur cette dernière, mais, il semble clair que la vitesse de l’écriture a aussi un impact sur celle-ci. Il parait aussi naturel que le nombre d’oscillations utilisées pour écrire le mot chute (entraînant la disparition de lettres ou de parties de lettres). Il pourrait être intéressant de tenter de prédire quelles oscillations correspondant à quelles lettres sont impactées.

Protocole Pour N sujet, il s’agit d’étudier l’évolution de la phase avec la vitesse de tracé. On choisit M mots et pour chaque mot, on commence par demander au sujet de le tracer à vitesse maximale spontanée. Puis, on "force" le sujet à écrire le mot de plus en plus vite, une dizaine de fois. A chaque itération le temps autorisé pour écrire ce mot est réduit de 5% par rapport à la vitesse maximale spontanée. Pour "forcer" un sujet à écrire sa trace dans un temps imparti, et pour qu’il ait une idée du temps qu’il lui reste, on peut utiliser un signal sonore dont la variation en fréquence suit toujours le même schéma. On enregistre

0 1000 2000 3000 4000 5000 6000 100 0 100 200 200 300 400 500 600 700 800 900 300 350 400 450 500 200 300 400 500 600 700 800 900 300 350 400 450 500 200 300 400 500 600 700 800 900 250 300 350 400 450

Figure 4.14 – Simulation de la déformation d’une trace écrite à vitesse spontanée (en haut à droite). En bas à gauche la trace à été reconstruite par contraction de la phase relative de 30%, en bas à droite, la trace à été reconstruite en utilisant une phase relative nulle. Les profils de phase relative correspondant sont présentés en haut à gauche.

par ailleurs le temps de tracé de chaque trace. Notre hypothèse sera vérifiée si l’on observe une uniformisation topologique de la trace (disparition des boucles, des pics ...) associée, ou non, à la disparition de certaines oscillations. Enfin, il pourrait être intéressant de vérifier si les différentes déformations successives surviennent par paliers (par rapport à la vitesse) plutôt que de manière progressive. C’est d’ailleurs le cas, dans la coordination bimanuelle où la transition du mode en anti-phase vers le mode en phase se fait d’un coup.

Reconnaissance off-line de l’écriture

manuscrite cursive, un modèle

interactiviste

5.1

Introduction

Les deux chapitres précédents ont principalement présenté un modèle de production de l’écriture manuscrite continu et basé sur des processus oscillatoires. Le problème de la construction d’un modèle de perception associé pourrait sembler être d’une toute autre nature, le thème d’un nouveau travail radicalement différent.

Pourtant, nous allons essayer de montrer qu’au contraire, les processus de production d’une activité par un sujet et ceux de perception de cette activité par le sujet sur lui- même ou sur d’autres sont intimement liés, quelles que soient les modalités perceptives ou d’activité, au point que nous ferons l’hypothèse qu’ils sont en grande partie communs. Nous ébaucherons alors une méthode de perception d’une trace écrite basée sur ces principes. En bref, nous défendrons la thèse que lire et écrire, pour l’écriture manuscrite cursive, sont deux facettes d’un même processus.

Nous commencerons d’abord par examiner dans la littérature les preuves de ces rap- ports étroits entre activité et perception, pour toutes les modalités sensorielles et dans de nombreux types d’activités, en détaillant en particulier la production et la perception de l’écriture manuscrite.

Nous présenterons ensuite les cadres théoriques dans lesquels doivent s’inscrire de tels modèles de production/perception d’une activité. Les cadres computationnels classiques sont en effet inadaptés à ce type de formulation, principalement par le fait qu’ils séparent les étapes de perception et d’action à deux extrémités d’une chaine de traitement sensori- motrice, séparation mise en cause par des auteurs de plus en plus nombreux. Nous pré- senterons le cadre interactiviste proposé par Bickhard [2008] qui, au contraire, considère l’interaction comme la forme fondamentale de représentation d’un agent, sous la forme de processus proactifs et anticipateurs. Nous montrerons avec Bickhard que ces hypothèses permettent de résoudre ou de dissoudre plusieurs problèmes théoriques anciens liés à la perception et à la représentation.

À l’intérieur de ce cadre interactiviste, nous présenterons alors un modèle de produc- tion/perception qui utilise principalement la notion de simulation de l’action, la perception consistant ainsi à utiliser les processus de production disponibles pour recréer de façon interne une trace compatible avec les éléments sensoriels. Nous présenterons enfin deux implémentations préliminaires de ce modèle pour résoudre un problème de reconnaissance

off-line d’une trace écrite. Nous donnerons quelques exemples : l’un illustrera notamment la capacité de ce modèle à séparer la forme du fond (lorsque la trace est bruitée ou mélangée à d’autres traces).

Ce travail sur la perception est un point de départ, une tentative dans une nouvelle direction de recherche. Les premiers résultats semblent prometteurs et montrent les voies à suivre dans des travaux ultérieurs pour le compléter et l’améliorer.

5.2

Les rapports entre activité et perception