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Déformer le langage

Dans le document violence R afa _ Marie-France Hirigoyen (Page 103-107)

On retrouve chez les pervers, quand ils communiquent

avec leur victime, une voix froide, blanche, plate, monocorde.

C'est une voix sans tonalité affective, qui glace, inquiète, laissant affleurer dans les propos les plus anodins le mépris ou la déri- sion. La tonalité seule implique, même pour des observateurs

neutres, des sous-entendus, des reproches non exprimés, des

menaces voilées.

Celui qui a déjà été la cible d’un pervers reconnaît d'emblée cette tonalité froide qui le met sur le qui-vive et déclenche la peur. Les mots n’ont aucune importance, seule importe la menace. Les enfants victimes d’un parent pervers moral décri- vent très bien le changement de ton préalable à une agression :

« Parfois, lors du dîner, alors qu’il s'était adressé gentiment à mes sœurs, sa voix devenait blanche, cassante. Je savais immédiatement qu’il s'adresserait à moi pour me dire une parole blessante. »

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Le harcélement moral

Même lors d'échanges violents le ton ne s'élève pas, laissant lautre s’énerver seul, ce qui ne peut que le déstabiliser :

« Décidément, tu n’es qu’un hystérique qui crie tout le temps ! » Très souvent, le pervers ne fait pas l’effort d’articuler ou bien grommelle quelque chose quand l'autre est dans une autre pièce.

Cela met l'autre dans l'obligation de se déplacer pour entendre ou bien d’être en position de demandeur en faisant répéter. Il est facile ensuite de lui faire remarquer qu'il n’écoute pas.

Le message d’un pervers est délibérément flou et imprécis, entretenant la confusion. Il peut dire : « Je n'ai jamais dit cela », et éviter tout reproche. En utilisant des allusions, il fait passer des messages sans se compromettre.

Offrant des propos sans lien logique, il entretient la coexis- tence de différents discours contradictoires.

Il peut aussi ne pas terminer ses phrases, laissant des points de suspension qui ouvrent la voie à toutes les interprétations et à tous les malentendus. Ou bien il envoie des messages obscurs et refuse de les expliciter. A la demande de service anodin d’une belle-mère à son gendre :

« Non, ce n’est pas possible!

— Pourquoi?

— Vous devriez le savoir!

— Non, je ne comprends pas !

— Eh bien, cherchez! »

Ces propos sont agressifs mais dits sur un ton normal, calme, presque détendu, et l’autre, dont la réponse agressive est désamorcée, a l'impression de réagir « à côté ». Devant de telles insinuations, il est logique de chercher ce qu'on a dit ou fait de mal, et de se culpabiliser, à moins de se fâcher et d’ouvrir le conflit. Cette stratégie tombe rarement à plat, car on n'échappe pas à la culpabilisation, sauf à être pervers soi-même.

Les allusions déstabilisantes n'apparaissent pas de façon évi- dente. C'est une mère disant à sa fille qui essaie vainement d’avoir un enfant : « Écoute, je m'occupe de mes enfants comme je veux, tu t’occupes des tiens comme tu veux ! »: simple lap-

sus, penserait-on, si cette remarque était suivie d'embarras, de

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La communication perverse

regrets ou d'excuses. Mais il s'agit d'une petite pierre jetée parmi d’autres pierres çà et là sans états d'âme.

Un autre procédé verbal habituel des pervers est d'utiliser un langage technique, abstrait, dogmatique, pour entraîner l'autre dans des considérations auxquelles il ne comprend rien, et pour lesquelles il n'ose pas demander d'explications de peur de passer pour un imbécile.

Ce discours froid, purement théorique, a pour effet d’em- pêcher celui qui écoute de penser et donc de réagir. Le pervers, en parlant dun ton très docte, donne l'impression de savoir, même s'il dit mimporte quoi. Il impressionne son auditoire avec une érudition superficielle, utilisant des mots techniques sans se préoccuper de leur sens. Lautre dira plus tard : « Il m’a baratiné, je ne comprends pas pourquoi je n'ai pas réagi ! »

Ce qui importe dans le discours du pervers, c'est la forme plutôt que le fond, paraître savant pour noyer le poisson. Pour répondre à sa femme qui souhaitait parler de leur couple, un mari prend un ton docte: «Tu présentes une problématique typique des femmes castratrices qui projettent sur les hommes leur désir de phallus ! »

Ces interprétations psychanalytiques sauvages réussissent à désorienter l’autre, qui est rarement en état de répliquer pour renverser la situation à son avantage. Les victimes disent sou- vent que les arguments de leur agresseur sont tellement inco- hérents qu'elles devraient en rire, mais tant de mauvaise foi les met en colère.

Un autre procédé pervers consiste à nommer les intentions de l'autre ou à deviner ses pensées cachées, comme si on savait mieux que lui ce qu'il pense : « Je sais très bien que tu détestes les Untel et que tu cherches un moyen de ne pas les rencontrer ! »

Mentir

Plus souvent qu'un mensonge direct, le pervers utilise d’abord un assemblage de sous-entendus, de non-dits, destiné à créer un malentendu pour ensuite l’exploiter à son avantage.

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Le harcélement moral

Dans son traité L'Art de la guerre, rédigé vers le ve siècle avant J.-C., le Chinois Sun Tse enseignait : « Lart de la guerre est Fart de duper, et en donnant toujours l'apparence contraire de ce que l’on est, on augmente les chances de victoire 4. »

Les messages incomplets, paradoxaux, correspondent à une peur de la réaction de l'autre. On dit sans dire, espérant que l'autre aura compris le message sans que les choses aient besoin d’être nommées. Ces messages ne peuvent être décodés la plu- part du temps qu’a posteriori.

Dire sans dire est une facon habile de faire face a toute situation.

Ces messages indirects sont anodins, généraux, ou indirecte- ment agressifs — « Les femmes sont redoutables ! » « Les femmes qui travaillent ne font pas grand-chose dans une maison ! » —, ce qui est ensuite corrigé si le partenaire proteste : « Je ne disais pas ça pour toi. Ce que tu peux être susceptible ! »

Il s’agit d’avoir le dessus dans l'échange verbal. Un procédé trop direct amènerait le partenaire à dénoncer l’autoritarisme de l'agresseur. Au contraire, des techniques indirectes le déstabi- lisent et amènent à douter de la réalité de ce qui vient de se passer.

Un autre type de mensonge indirect consiste à répondre de façon imprécise ou à côté, ou par une attaque qui fait diversion.

À une femme qui exprimait ses doutes concernant la fidélité de son mari : « Pour dire quelque chose comme ça, il faut que, toi, tu aies quelque chose à te reprocher! »

Le mensonge peut également s'attacher aux détails: a sa femme qui lui reproche d’être allé huit jours à la campagne avec

une fille, le mari répond : « C'est toi la menteuse, d'une part ce n’était pas huit jours mais neuf, et d'autre part il ne s'agissait pas d’une fille mais d’une femme! »

Quoi que l’on dise, les pervers trouvent toujours un moyen d’avoir raison, d'autant que la victime est déjà déstabilisée et

4. Sun Tse, L'Art de la guerre, traduit du chinois par le père Amiot, Didot l'Aîné, 1772 ; rééd. Agora classiques, Paris, 1993.

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La communication perverse

n'éprouve, au contraire de son agresseur, aucun plaisir a la polé- mique. Le trouble induit chez la victime est la conséquence de la confusion permanente entre la vérité et le mensonge.

Le mensonge chez les pervers narcissiques ne devient direct que lors de la phase de destruction, comme nous pourrons le voir dans le chapitre suivant. C'est alors un mensonge au mépris de toute évidence. C'est surtout et avant tout un mensonge convaincu qui convainc l’autre. Quelle que soit l'énormité du mensonge, le pervers s’y accroche et finit par convaincre l’autre.

Vérité ou mensonge, cela importe peu pour les pervers : ce qui est vrai est ce qu'ils disent dans l'instant. Ces falsifications de la vérité sont parfois très proches d’une construction déli- rante. Tout message qui n’est pas formulé explicitement, même s'il transparaît, ne doit pas être pris en compte par l'interlo- cuteur. Puisqu’il n’y a pas de trace objective, cela n'existe pas.

Le mensonge correspond simplement à un besoin d'ignorer ce qui va à l'encontre de son intérêt narcissique.

Cest ainsi que lon voit les pervers entourer leur histoire d'un grand mystère qui induit une croyance chez l'autre sans que rien n’ait été dit : cacher pour montrer sans dire.

Dans le document violence R afa _ Marie-France Hirigoyen (Page 103-107)