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Chapitre I. Contexte et problématique

3. Transferts de microorganismes

3.3. Comportement spécifique des microorganismes

3.3.2. Déformation des bactéries

Le phénomène de réduction de volume des bactéries a été mis en évidence par de nombreux auteurs ayant étudié la régulation de l’équilibre osmotique entre la cellule bactérienne et le milieu extérieur. En effet, lorsqu’un microorganisme est immergé dans un liquide, à l’équilibre, la pression totale dans la cellule est égale à celle du milieu environnant. Cette pression, de même que celle du liquide environnant, se compose de deux termes, la pression hydrostatique

b P et la pression osmotique b Π (pression résultant de la concentration) : l l b b +P =Π +P Π éq. I.18

Cette relation d’équilibre signifie que la différence de pression osmotique ∆Π entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule est contrebalancée par la pression de turgescence cellulaire P∆ . Cependant, une modification de la pression exercée sur la cellule ou de la concentration du milieu extérieur entraîne un déséquilibre qui conduit à la mise en place d’un ensemble de mécanismes de régulation, décrit par Kedem et Katachalsky (1958).

Ainsi, une augmentation de la pression osmotique du milieu extérieur est directement reliée à une chute de la pression de turgescence et entraîne dans un premier temps une réponse passive qui consiste en une sortie d’eau de la cellule proportionnelle à ∆Π (flux osmotique) conduisant à une diminution rapide du volume cellulaire. La viabilité de la cellule dépend du volume final atteint qui est déterminé par l’intensité du stress osmotique. La deuxième phase correspond à une réponse biologique active qui s’établit uniquement si la première phase n’a pas trop endommagé la cellule. Cette réponse repose sur la synthèse de solutés ainsi que sur l’importation d’eau externe de façon à augmenter la pression osmotique interne de la cellule jusqu'à équilibrer celle du milieu extérieur, tout en restaurant le volume initial de la cellule (Martinez de Maranon et al. 1996).

Cet effet de la pression osmotique sur la taille et la viabilité de bactéries telles que E. coli, a été étudié en détail par Mille et al. (2002). Les photographies obtenues par microscopie électronique à transmission, de bactéries placées pendant 30 minutes en contact avec un milieu de pression osmotique variable, sont présentées sur la figure I.9.

(a) (b)

(a) (b)

figure I.9 : Observations au microscope électronique à transmission de E. coli placé dans un milieu (a) isoosmotique et (b) à 40 MPa.

Source : Mille et al. (2002).

Elles montrent qu’une pression de 40 MPa entraîne une forte réduction de la taille des microorganismes, par rapport à leur dimension à l’équilibre (milieu isoosmotique). Par ailleurs, les tests de viabilité menés en parallèle de ces observations ont montré que plus de 20% de la population bactérienne demeure viable sous ces conditions.

Ces résultats démontrent que sous l’action d’une contrainte extérieure, ici la pression osmotique, les bactéries sont susceptibles de réduire leur volume de façon non négligeable tout en maintenant la viabilité cellulaire.

Dans l’hypothèse où la contrainte extérieure est une contrainte mécanique (compression), il s’avère que certaines microorganismes tels que les levures sont également susceptibles de se vider d’une partie de leur liquide intracellulaire. Cette réduction de volume est accompagnée d’une déformation de la cellule dont l’ampleur est déterminée en partie par les propriétés mécaniques de la cellule dont l’élasticité de sa paroi.

Dans ce contexte, Smith et al. (2000b) ont mis en œuvre des essais de compression sur des levures Saccharomyces cerevisiae afin d’en mesurer les propriétés mécaniques dont en particulier le module d’Young. Ce paramètre qui définit l’amplitude avec laquelle un matériau peut se déformer en réponse à une force appliquée, peut être déduit des couples force/déformation relevés expérimentalement. Pour cela, ces derniers sont analysés à l’aide d’un modèle mathématique de compression des cellules développé par ces auteurs qui assimile les cellules à des sphères remplies de liquide dont la paroi est perméable et parfaitement élastique (Smith et al. 1998, 2000a et 2000b). Ce modèle permet d’extraire le module de surface de la paroi cellulaire à partir de données expérimentales. Le module d’Young de la paroi est alors obtenu en divisant le module de surface par l’épaisseur de la paroi évaluée parallèlement par microscopie électronique à transmission. Dans le cas des levures Saccharomyces cerevisiae, la valeur numérique obtenue est de 110 MPa.

L’obtention d’une valeur numérique pour le module d’Young ne constitue pas le seul intérêt qu’offre le modèle développé par ces auteurs. En effet, l’avantage principal de ce dernier repose sur le fait qu’il décrit la déformation de cellules biologiques sous l’effet d’une contrainte mécanique en prenant en considération à la fois l’élasticité des cellules et la régulation de l’équilibre osmotique entre la cellule et le milieu extérieur. Cette description réaliste peut donc être transposée au cas de la filtration sur membrane de fluides biologiques comme proposé par Meireles et al. (2004). En effet, cette étude s’inspire

des travaux de Smith et al. (1998, 2000a et 2000b) pour décrire et modéliser le dépôt formé lors de la filtration sur membrane de particules biologiques déformables (levures

Saccharomyces cerevisiae).

Si l’on suppose que le comportement des bactéries en filtration peut être identique à celui des levures, cela pourrait permettre le passage de cellules bactériennes déformées dont le diamètre initial est supérieur à celui du pore membranaire.

C’est sur cette hypothèse que Suchecka et al. (2005) s’appuient afin de justifier les fuites en

Brevundimonas diminuta qu’ils ont mises en évidence lors d’une étude antérieure sur des

membranes de microfiltration. Par ailleurs, des observations au microscope électronique à balayage leur ont permis de vérifier cette hypothèse, dans le cas de globules rouges, cellules anucléés particulièrement souples et déformables, qui sont ici utilisées en tant que modèle de Cryptosporidium parvum (cf. figure I.10).

figure I.10 : Globule rouge traversant une membrane en acétate de cellulose (a) et en polycarbonate (b) de diamètres de pore nominal respectifs 0,3 µm et 0,4 µm.

Source : Suchecka et al. (2005).

Le mécanisme de déformation qu’ils proposent est le suivant : lorsqu’une cellule est située à l’entrée d’un pore membranaire elle est écrasée contre celui-ci par la surpression appliquée coté rétentat et aspirée par la dépression coté perméat (cf. figure I.11).

figure I.11 : Rôle de la pression transmembranaire sur la déformation des cellules.

Source : Suchecka et al. (2003).

Ce phénomène conduit la cellule à se déformer tout en se vidant d’une partie de son liquide intracellulaire (cytoplasme) par diffusion à travers la paroi, permettant ainsi son passage à travers le pore membranaire.

Dans ce contexte, ils ont analysé théoriquement la pénétration d’une cellule sphérique dans un pore cylindrique significativement plus petit. Cette analyse a été effectuée sur la base de considérations géométriques complétées par un bilan de quantité de matière sur le volume de liquide intracellulaire, en supposant que la surface de la cellule demeure constante malgré la réduction de volume résultant de l’expulsion du cytoplasme. Ils ont ainsi développé un modèle de déformation des cellules permettant d’obtenir un ordre de grandeur du temps nécessaire au passage de celles-ci à travers le pore membranaire. Dans le cas d’un pore de microfiltration de 15 µm de longueur et de 1 µm de diamètre et d’une cellule de diamètre proche des dimensions des microorganismes (de 4 à 10 µm), l’ordre de grandeur obtenu est de quelques minutes (cf. figure I.12).

figure I.12 : Temps théorique nécessaire au passage d’une cellule à travers un pore membranaire pour différents rayons initiaux de la cellule en fonction du rayon de pore de longueur 15 µm.

Source : Suchecka et al. (2005).

Dans ce modèle, les paramètres clefs qui se dégagent sont le diamètre de la cellule et celui du pore membranaire, la perméabilité de la paroi cellulaire ainsi que la pression transmembranaire appliquée. Cependant, ces auteurs n’ont pas pris en compte l’élasticité de la paroi cellulaire, alors que l’on peut supposer qu’en fonction de la valeur prise par ce paramètre, la déformation peut être plus ou moins facilitée. Dans le cas de cellules très peu élastiques, le transfert ne pourrait être alors envisagé sans rupture de la paroi cellulaire et perte de viabilité.

Si très peu d’études se sont intéressées au comportement en filtration de microorganismes tels que les bactéries ou les levures, il n’en va de même pour d’autres cellules biologiques telles que les globules rouges. En effet, dans le secteur biomédical, l’importance de la compréhension de l’écoulement du sang dans le système vasculaire (et dans une moindre mesure en circulation extracorporelle) a conduit à une masse importante de travaux expérimentaux et théoriques sur cette problématique.

Les globules rouges ou érythrocytes sont des cellules anucléés d’environ 8 µm de diamètre, de forme biconcave et dont la paroi, constituée d’une bicouche lipidique, peut

supporter des déformations de grande amplitude (Evans, 1973). Dans ces conditions, la déformation des globules rouges en écoulement libre ou à travers des capillaires a été très largement étudiée, ce qui a permis d’acquérir de nombreuses données sur les propriétés rhéologiques et mécaniques de ce type de cellules (Drochon et al. 1990). A noter que du fait de certaines pathologies telles que la septicémie (Oguz, 1998) ou sous l’action de composés chimiques (Drochon et al. 1993), ces propriétés sont susceptibles d’être altérées.

Dans ces conditions, diverses méthodes ont été développées afin de permettre la mise en évidence d’une rigidité anormale dans le cadre d’un diagnostic clinique. L’une d’elle repose sur la filtrabilité des globules rouges à travers des pores membranaires dont le diamètre est inférieur à celui des érythrocytes. Une augmentation du temps de transfert ou de la pression appliquée est alors considérée comme un indicateur de la baisse de la déformabilité qui résulte d’un durcissement de la paroi cellulaire (Frank et Hochmuth, 1988). Par ailleurs, Reinhart et al. (1984) ont étudié l’effet du diamètre des pores sur la résistance au transfert des globules rouges. Ils ont ainsi pu montrer que, dans une gamme de diamètres compris entre de 2,6 à 6,9 µm, la meilleure sensibilité vis-à-vis de la détection de cellules altérées est obtenue avec les membranes possédant les pores de plus faible diamètre, ce qui correspond à un diamètre 3 fois plus faible que celui des cellules biologiques filtrées.

De nombreuses études ont également été menées sur la forme prise par les globules rouges lors de leur passage à travers des capillaires de faibles dimensions (Skalak et Branemark 1969). Ainsi les érythrocytes adoptent une forme caractéristique dite « en parachute » qui a pu être observée lors d’essais réalisés à l’aide de micro-canaux transparents et d’une caméra haute vitesse (Tsudaka et al. 2001).

A noter que dans le cas des microorganismes tels que les bactéries, la taille réduite de ces cellules biologiques (de l’ordre de 1 µm) constitue une limitation à l’acquisition de ce type de données.

En parallèle de ces études expérimentales, de nombreuses études théoriques ont également été menées dans le but de décrire la déformation d’un globule rouge soumis à un écoulement cisaillé (Pozrikidis 2003) ou pour simuler leur déplacement à travers des micropores (Secomb et Hsu 1996). Les résultats des simulations numériques effectuées par les auteurs de ces deux études sont cohérents avec les tendances expérimentales obtenues respectivement par Goldsmith et Marlow (1972) et par Frank et Hochmuth (1988).

Plus particulièrement, les travaux de Secomb et Hsu (1996) montrent que dans le cas de la filtration de globules rouges à travers des pores cylindriques de différents diamètres (de 3,6 à 6,3 µm), les temps de passage obtenus par calcul sont de l’ordre de la dizaine de millisecondes. De plus, le temps nécessaire à l’entrée de la cellule biologique dans le pore représente 50 à 75 % du temps total nécessaire à son passage.

A noter que le temps de passage dépend des mêmes paramètres clefs que ceux mis en évidence par Suchecka et al. (2005), à savoir qu’il augmente lorsque le volume de la cellule augmente ou lorsque le diamètre de pore diminue et qu’il diminue lorsque la pression appliquée augmente. Cependant, à la différence du modèle théorique proposé par Suchecka et al. (2005), celui proposé par Secomb et Hsu (1996) prend en compte les caractéristiques mécaniques et rhéologiques de la paroi cellulaire. Les résultats montrent que, sur la gamme de valeurs étudiées, le temps de passage est peu sensible à l’élasticité de la paroi, excepté dans le cas des pores de plus petit diamètre. Enfin, le dernier paramètre susceptible d’influencer le temps de passage que ces auteurs ont étudié concerne la géométrie de l’entrée du pore membranaire. En effet, il semblerait que le temps de passage est d’autant plus élevé que les bords du pore sont droits.

Par ailleurs, les particules biologiques telles que les globules rouges ou même les microorganismes peuvent être un considérées comme un cas particulier des capsules naturelles et artificielles. En effet, les capsules sont définies comme des particules composites constituées d’un liquide interne entouré par une membrane plus ou moins déformable. Cette définition couvre donc une large gamme de particules qui vont des

capsules artificielles jusqu’aux cellules biologiques en passant par les gouttes de liquide, les différences entre ces particules se situant principalement au niveau des propriétés rhéologique et mécanique de leur membrane.

Dans ces conditions, les travaux effectués sur l’écoulement de capsules artificielles à travers des capillaires sont susceptibles de s’adapter au cas des microorganismes et donc d’améliorer la compréhension des mécanismes mis en jeu. En effet, dans le cas des capsules artificielles, la connaissance des caractéristiques précises du fluide interne et de la membrane à permis le développement de modèles théoriques approfondis tant du point de vue des conditions qui déterminent l’entrée d’une particule dans un capillaire que de l’écoulement lui-même. Ainsi, Quéguiner et Barthés-biesel (1996) ont étudié l’effet de différents paramètres (taille et géométrie des particules, propriétés élastiques de la membrane) sur l’écoulement. Les simulations numériques ont notamment permis de déterminer les champs de vitesses du fluide ainsi que les profils successifs de la capsule déformée au cours de son passage à travers le capillaire (cf. figure I.13).

figure I.13 : Champs de vitesses et profils d’une capsule artificielle sphérique au cours de son passage à travers un tube cylindrique (cas où le rapport du diamètre de la capsule à celui du capillaire est de 1,2).

Deux paramètres de contrôle ont pu être dégagés de leurs résultats : le nombre capillaire (rapport des effets visqueux et de la tension superficielle) et le rapport du diamètre de la particule à celui du tube cylindrique.

Pour des valeurs de paramètres de contrôle identiques, les amplitudes des déformations subies par la capsule obtenues à l’aide de ce modèle sont comparables à celles obtenues lors d’une étude expérimentale menée par Risso et al. (2006). Cependant, les profils théoriques et expérimentaux des capsules déformées sont significativement différents. Risso et al. (2006) ont attribué cet écart au choix de la loi constitutive utilisée pour décrire les propriétés élastiques de la membrane. Par ailleurs, l’étude expérimentale a montré que la vitesse de la capsule était systématiquement supérieure à celle du fluide, mais qu’elle demeurait plus faible que la vitesse maximale du liquide au centre de la conduite (égale à

U

2⋅ avec U la vitesse du fluide).

En ce qui concerne le choix de la loi constitutive, dans les études présentées ci-dessus la membrane étant supposée infiniment mince, des lois constitutives bidimensionnelles ont été utilisées. Cependant, dés que l’épaisseur de la membrane devient non négligeable devant le rayon de la capsule, ce type de lois n’est plus adapté pour décrire les larges déformations subies par la membrane. En effet, au cours de leur étude des propriétés élastiques de capsules artificielles, Rachik et al. (2006) ont identifié la limite à partir de laquelle la membrane ne peut plus être considérée comme infiniment mince. Ainsi, dans les cas où le rapport de l’épaisseur de la membrane au rayon de la capsule n’est pas, à chaque instant et en tout point de la membrane, inférieur à 10 %, une loi constitutive tridimensionnelle doit être utilisée.

A noter que les modèles de déformation proposés dans le cas des globules rouges et des capsules artificielles supposent que la membrane se déforme sans changer de surface. Par ailleurs, à la différence des travaux de Smith et al. (1998, 2000a et 2000b) sur les levures

Saccharomyces cerevisiae, ils ne prennent pas en compte les phénomènes de régulation

Quoiqu’il en soit, l’ensemble de ces études théoriques et expérimentales montre que, dans le cas de la microfiltration, la contrainte générée par la différence de pression transmembranaire appliquée peut conduire au passage de cellules déformées et mettre en défaut le mécanisme de sélectivité basé sur l’exclusion de taille. Dans ce cas, le transfert est très fortement dépendant du rapport entre les dimensions des cellules et des capillaires, des propriétés de la paroi cellulaire et de la contrainte appliquée sur la cellule. On peut alors se demander dans quelle mesure ces conclusions sont transposables à d’autres particules biologiques telles que celles qui nous concernent dans le cadre de cette étude, à savoir les bactéries.

Cependant, si l’hypothèse de la déformation des bactéries permet d’expliquer les fuites observées précédemment sur les membranes de microfiltration (cf. § I.3.1), cette hypothèse semble difficilement applicable aux membranes d’ultrafiltration dont la structure serait intègre. En effet, dans ce cas le rapport de taille entre les diamètres de pores de la distribution principale (de l’ordre de la dizaine de nanomètres) et les dimensions du microorganisme filtré (de l’ordre du micromètre) rend peut probable un transfert des bactéries par déformation. Il est alors nécessaire d’envisager la présence de pore anormalement gros.

Ainsi, à l’issue de cette revue bibliographique, il apparaît donc que deux hypothèses non exclusives peuvent être envisagées afin de justifier les fuites en bactéries mises en évidence précédemment :

- la présence de défauts de la structure membranaire, - la déformation des microorganismes sous contrainte.

Dans ce contexte, la dernière partie de ce chapitre présente la problématique de l’étude et l’approche proposée afin d’y répondre.

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