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1 Pour une définition de l’exotisme

Dans le document Pier Paolo Pasolini (Page 132-148)

Le thème de l’exotique en littérature ou au cinéma renvoie toujours à un ailleurs dont on essaye de se rendre maître. Lié aux voyages, aux découvertes puis à une curieuse combinatoire d’attirance et de répul- sion, il demeure une approche parfois maladroite, le plus souvent poli- tique ou encore utopique de l’Autre (Cf. Hérodote, Marco Polo, Ch. Colomb, A. Thévet et J. De Léry).

Au début du xxe, Victor Ségalen apporte à un genre plus ou moins

florissant une coloration nouvelle. À la différence de Pierre Loti, consi- déré comme le grand écrivain de l’exotisme et marin comme lui, ou de Claude Farrèreson ami, il ne cherche plus la couleur locale chère aux

Romantiques mais la confrontation avec une altérité qui lui demeure impénétrable.

En effet, dès ses premiers écrits (Les Immémoriaux,  et Stèles, ) et surtout dans son Essai sur l’exotisme dont nous n’avons eu connais-

. Dont les romans Les Civilisés () et La Bataille () donnent après Loti une image colorée de la Chine et du Japon.

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sance que tardivement (écrit entre  et  et publié en ), Séga- len exprime ce qu’il nomme « une esthétique du divers » conduisant à l’approche de « la vérité des espaces et des peuples lointains » afin d’en découvrir la différence. Ce respect de l’autre avait de quoi surprendre en pleine période coloniale car il s’articule autour de l’idéalisation de la Chine des origines (la dynastie des Han) bien avant qu’elle ne soit

troublée par le contact avec l’occident. Néanmoins, il demeure des élé- ments qui rendent comptent de l’émotion devant l’altérité et d’une réac- tion contre l’expansionnisme européen. Entre recherche de l’Autre et observation quasi ethnographique se glisse, pour s’épanouir peu à peu, la découverte de soi recluse dans le cinquième point, comme nous le verrons.

Certes, il serait vain de vouloir calquer l’attitude pasolinienne sur cette approche spécifique, cependant il nous semble utile d’en retenir l’es- sence ne fût-ce que par la volonté poétique de chacun. D’autres élé- ments affleurent sous le regard pasolinien porté sur l’Ailleurs. Nous retiendrons le contexte socio-culturel des années de la décolonisation et l’impact de la naissance géo-politique du Tiers Monde parmi les motifs exotiques du cinéaste depuis les premiers films jusqu’aux dernières œuvres et surtout la dominante indienne à travers L’Odore dell’India (publié en ), Storia indiana () et Appunti per un film sull’India ().

Sans nier l’ensemble du projet pasolinien des Appunti per un poema

sul Terzo-Mondo, il est intéressant d’examiner l’écriture de l’Inde ainsi

que le regard cinématographique et poétique que Pasolini pose précisé- ment sur ce pays ; écriture et film se complètent et se répondent pour former un ensemble.

1.1 L’Inde et l’imaginaire cinématographique : un phénomène de mode ? Loin de vouloir prétendre rassembler tous les films ayant eu pour cadre l’Inde, dont une grande partie appartient au cinéma « colonialiste » anglo-saxon, il impossible de faire l’économie de la citation d’au moins

trois auteurs ayant précédé Pasolini dans l’intérêt pour ce continent.

. En particulier à la première dynastie des Han ( A.C -  P.C.)

. En particulier The Lives of a Bengal Lancer, film de Henry Hathaway,  et Wee

Willie Winkie de John Ford ()

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Le prix international de Venise est accordé en  à Jean Renoir pour la co-production indo-américaine The River où la poésie des images laisse loin derrière les critiques de représentation idyllique d’une Inde trop unanimiste et met en scène la rencontre de deux civilisations en restituant les rituels hindous. L’évocation de Fritz Lang et les variations autour du thème de l’amour et de la mort que sont les deux films Der

Tiger von Eshnapur (Le Tigre d’Eshnapur, ) puis Das Indishe Grab- mal, (Le tombeau hindou,), version édulcorée du film éponyme de

 semblent également inéluctables.

À ces références s’ajoute la démarche de Rossellini, plus proche de Pasolini et pour lequel il nourrissait une grande admiration.

Rappelons brièvement le parcours « indien » de Rossellini. En , le Mahatma Gandhi se rend à Rome et la comtesse Carnavali, amie du Consul italien de Calcutta, l’invite et y convie également Rossellini duquel elle venait d’acquérir sa nouvelle villa. Emu en revenant sur les lieux de son enfance, le cinéaste est séduit par le charisme du Mahatma et sa méthode non violente. Ce souvenir d’enfance retrouva sa vigueur lorsqu’il rencontra Jean Renoir en  qui lui raconte le tournage de The

River (Le Fleuve, ) alors qu’il est en proie aux critiques italiens, qu’il

vit mal sa rupture avec Ingrid Bergman. Il décide d’un « divorce moral avec le monde occidental » qu’il qualifie de « cousu » pour aller au pays des hommes « drapés». Si la distinction peut sembler une boutade, elle

exprime pourtant le désir d’une libération vers un autre monde moins contraignant, plus souple, sans doute idéalisé. Revenir aux sources et retrouver ainsi les liens qui nous unissent à la nature à travers les ani- maux pourvus d’âme selon la tradition hindoue que se plaisait à rappe- ler Gandhi, c’est retrouver une approche de l’Autre, un équilibre perdu dans le monde occidental en posant un regard neuf sur l’animal.

Les épisodes du film rossellinien suivent la trame narrative de la vie d’un couple dont l’homme vit avant tout en fonction de l’éléphant dont il a la charge et qui est sa source de subsistance. D’autres animaux inter- viennent dans cette traversée de la jungle et de la vie et parmi ceux-ci un tigre dans l’épisode intitulé « Ashok et le tigre », situé dans l’Inde du nord- ouest où un ermite vit en paix au cœur de la nature et reçoit souvent la

. Cf. India. Rossellini et les animaux, réalisé sous la direction Nathalie Bourgeois et Bernard Bénoliet avec le concours d’Alain Bergala, Cinémathèque française, .p.. Voir aussi Trafic no, hiver  qui publie une lettre de Rossellini à une amie concernant cette distinction.

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visite d’une tigresse. Blessée et effrayée par l’arrivée de prospecteurs qui fouillent le sol pour y repérer du fer ; l’animal menace de s’attaquer aux hommes. Pour sauver le fauve, le vieil homme se lève très tôt, fait un feu qui éloigne l’animal. Cette anecdote imprégnée de la philosophie gand- hienne met en avant toute une mythologie indienne du monde animal et en particulier celle du tigre inséparable de l’image de Kâli (la puis- sance du temps) et d’une de ses figures Durgâ souvent représentée à cheval sur un tigre pour combattre le Mal.

Aucun document à ce jour ne permet d’affirmer que Pasolini a retenu cet épisode plus particulièrement, mais la rencontre est étonnante et sans doute, le récit d’Elsa Morante de la légende du maharadjah don- nant son corps en pâture à des tigrons a-t-elle ravivé une impression laissée par le film de Rossellini.

1.2 Voyage et création

Pour Pasolini tout commence « ailleurs ». Loin de Bologne. Au Frioul. Terre de la mère, Casarsa della Delizia ; oubliée de l’Italie, à l’abri de l’urbanisation et l’industrialisation mussolinienne, apparaît, durant quelques années, comme une terre vierge, un refuge contre la cruauté de la guerre, le Mal fasciste, un premier pas vers un retour à la barbarie originelle.

Cette expérience inaugurale de la différence, achevée par une pre- mière fuite, s’avère annonciatrice de l’éternelle recherche de terres loin- taines, seules capables de restituer le souffle mythique qui conduit au sacré. Comme une longue parenthèse dans une errance à venir, la féconde période d’apprentissage à Rome consacre l’écrivain Pier Paolo Pasolini (Ragazzi di vita, ) lui accorde une reconnaissance poétique avec le prix Viareggio pour les Ceneri di Gramsci () et prépare le futur cinéaste en l’introduisant auprès de Fellini.

Mais, plus encore, la découverte de l’Inde en compagnie de Moravia et d’Elsa Morante lui révèle une passion qui ne cessera de croître pour le Tiers-Monde. D’autres voyages, nombreux, presque précipités, suivront. Successivement, l’Afrique, le monde arabe, l’Europe centrale ; autant de

. Sur l’étude de la barbarie chez Pasolini, nous renvoyons au précieux essai de Fabien S. Gérard, Pasolini ou le mythe de la barbarie, Editions de l’Université de Bruxelles, .

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destinations diverses pour les besoins d’un film ou d’une rencontre, l’en- traînent vers des ailleurs multiples et constants à la fois, seulement ponc- tués du contre exemple des voyages à New-York de  et  qui, après l’exaltation des premières impressions, se révèlent décevants.

De ces contrastes et des observations réalisées en Italie, naît une quête de l’Ailleurs à travers de multiples périples qui procèdent donc de plusieurs démarches orientées dans deux directions principales.

La première, héritée de la tradition de l’exotisme, semble issue d’une lassitude des horizons européens, du sentiment d’un rétrécissement de l’espace, plus particulièrement de l’espace intellectuel, ainsi que le note Hervé Joubert-Laurencin : « Désespéré par l’impossibilité de réaliser son premier film, il part juste après le jour de l’an  en Inde, pour le pre- mier grand voyage de sa vie» et de l’interrogation récurrente d’« où

vivre physiquement ? » dans une Italie où « La nouvelle jeunesse des ban- lieues urbaines et la pègre se rencontrent sur le terrain d’une mutation anthropologique? ».

La seconde, appartient davantage à la perception du temps, à l’avan- cée de l’histoire et se trouve liée à une problématique politique en réaction contre les positions officielles du Parti Communiste. Parta- gés, les pays récemment libérés de la colonisation ou en voie de l’être, n’avaient guère de choix sinon de devenir des satellites économiques et culturels des grandes puissances du moment : l’URSS et les États- Unis. L’amplitude du sujet et la diversité des cultures rencontrées par Pasolini au cours de ses multiples circuits nous a contraint à limiter notre étude à l’espace indien ; toutefois, nous verrons qu’hormis cer- tains détails d’ordre culturels ou religieux proprement spécifiques à l’Inde, la réflexion pasolinienne prend appui sur une problématique commune.

De la vision de l’Inde, Pasolini retient quelques clichés représenta- tifs. Tout d’abord, il évoque le Gate of India, bâtiment victorien qui ouvre l’Inde sur le monde et le monde sur l’Inde ; ensuite ce sont des visages, des regards, l’inclusion de termes porteurs d’évocations exo-

. Hervé Joubert-Laurencin, Pier Paolo Pasolini. Portrait du poète en cinéaste, Cahiers du Cinéma, , p. .

. Jean-Pierre Sag, « Où vivre physiquement ? » in Pasolini, Revue d’Esthétique, p.  et .

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tiques tels que « maharadjah, Jaïpur, saddhû » et les inévitables contes, puis la rencontre des Intouchables.

Ces composantes appartiennent aux images que l’occident retient de l’Inde et que Pasolini élève en symbole, retrouvant dans la caste des parias, la marginalité du sous-prolétariat européen. En cela, il s’ins- crit dans la mouvance des instances internationales, mais en contradic- tion avec cet engagement progressiste, il rappelle aussi les textes sacrés et opère des inclusions iconographiques de chromos indiens dans le déroulement des images filmées comme un reportage, en particulier celle du Bodhisattva sous l’arbre de l’Illumination.

Nous retrouvons donc, dans cet amalgame entre profane et sacré la problématique essentielle de Pasolini

Lassitude des espaces européens avons-nous dit, et sans doute aussi désir de connaître un monde qui le fascinait à travers les récits de Mora- via de ses innombrables voyages. En effet, le romancier italien a par- couru la planète de  jusqu’à sa vieillesse et publie, à la suite de son séjour en Inde avec Pasolini, Un’ idea dell’India; Pasolini consignera

dans Odore dell’ India le récit de sa découverte. Le choix du titre n’est pas innocent ; retrouvant l’instinct de l’enfance, il cherche à capter la différence de ce continent et traduit la surprise olfactive d’un occiden- tal qui débarque en Orient, agressé par des odeurs d’épices, de chaleur moite et de poussière, inconnues en Europe et, sans cacher son exci- tation, « persuade Moravia de faire quelques pas près de l’hôtel et de respirer quelques bouffées de cet air, d’une première nuit en Inde». À

Gwalior, il analyse « l’odeur de pauvres nourritures et de cadavre » qui paralyse « la vie dans le corps des Indiens » en devenant « peu à peu une entité physique » (p. ). Comme une fleur vénéneuse, l’Inde s’offre à lui dans une odeur de pourriture.

En délaissant les clichés des senteurs orientales qui ont fait les délices des littératures dites exotiques, Pasolini porte un regard lucide sur un pays du Tiers Monde où il rencontre une misère profonde étendue à tout un continent. L’espace s’est élargi pour s’ouvrir sur l’immensité de

. « Avant le jour de l’An , Pasolini part en compagnie de Moravia pour l’Inde où ils seront rejoints quelques jours plus tard par Elsa Morante. » in Nico Naldini : Pier

Paolo Pasolini, Einaudi, , traduction de René de Ceccatty, Galllimard Biographies,

, p. .

. Pier Paolo Pasolini, L’odore dell’India, Longanesi, , traduction de René de Ceccatty, Denoël, , p. .

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la détresse humaine figurée par la rencontre avec Muti Lal où la contra- diction du pays se manifeste. Issu de la classe supérieure puisqu’il est brahmane, à la peau claire avec l’air « d’un garçon bourgeois européen », mais condamné à dormir sur le trottoir, il entraîne Pasolini au théâtre et lui révèle la monstruosité de l’occidentalisation dans la personne d’une jeune fille de bourgeois corpulente « habillée à l’européenne, étrange- ment disgraciée, qui rit comme un disque rayé » (p. ). Cette « bourgeoi- sie qui s’apprête à occuper la place laissée vacante » (p. ) suite à la décadence des « maharadjahs détrônés » concentre un idéal frelaté, une mauvaise copie de l’occident, un crime contre l’antique civilisation par son apparence physique luxuriante qui détruit la beauté.

Nostalgie d’un passé légendaire ? Pas seulement, mais plutôt angoisse face au phénomène européen qui se reproduit là aussi.

Cependant, la tentation de l’idéalisation n’est pas absente, il déclare que « Bien que l’Inde soit un enfer de misère, il est merveilleux d’y vivre, parce qu’elle est absolument dépourvue de vulgarité. » (p. ) et admire les lumières allumées qui rendent tout « fastueux, fantastique, digne des Mille et Une Nuits. » (p. ) et s’ébahit des cérémonies données en l’honneur de l’anniversaire de l’indépendance où « tout était soigné et pur » (p. ).

Plus encore, c’est la déchirure du pays entre musulmans et hindous qu’il tente de minimiser en rapportant symboliquement l’harmonie qui règne entre Sundar le musulman et Sardar l’hindou. Cette néga- tion du problème fondamental de l’Inde caractérise la démarche paso- linienne et l’oppose à celle, plus rationaliste de Moravia.. Au-delà des réalités et de la spécificité du pays, Pasolini souligne dans cette première approche ce qui le préoccupe : les problèmes sociaux et les méfaits de la civilisation. Entre la théorie politique et l’Homme, c’est l’Homme qu’il choisit.

En cela, il retrouve une problématique constante qui annonce la dis- tinction faite entre « développement et progrès» l’un considéré comme

« un fait pragmatique et économique », l’autre apparaît comme « une notion idéale ». L’Inde se présente à la fois comme un pays immensé- ment ancien et terriblement neuf, puisque libéré de la tutelle anglaise depuis quatorze ans à peine, qui exprime une volonté de s’affranchir des puissances mondiales. Dans ce « continent » oxymorique tout est donc

. Cf. Écrits corsaires Garzanti, , traduction de Philippe Guilhon, Flammarion- Champs, , p. .

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possible et ce moment privilégié fascine Pasolini. Il analyse la société à la lumière de ce qu’il connaît et, en cela procède d’un européanocentrisme tel que Todorov le définitquand il rappelle que la bourgeoisie indienne

évoque « notre bourgeoisie méridionale » (p. ), s’interrogeant cepen- dant sur la perrénité des structures sociales — en particulier le système des castes — qu’il attribue à une dégénérescence. Il faut songer qu’il n’a pas été indifférent à la conférence de Bandung, aux implications qu’elle

déployait, en se déclarant « Tiers-Monde » ni à l’aura de Nehru qu’il se reproche d’avoir condamné hâtivement : « à certains moments [devant la détresse des lépreux en particulier], j’ai éprouvé de véritables pulsions de haine à l’égard de Nehru et de ses cent collaborateurs intellectuels éduqués à Cambridge ; mais je dois dire que j’étais injuste, parce qu’il faut vraiment se rendre compte qu’il n’y a rien à faire dans cette situa- tion. » (p. ). Beaucoup d’espoirs avaient jailli que le voyage semble avoir éteints puisque même les intellectuels réunis pour le congrès en l’honneur de Rabindranath Tagoreauquel il assiste en compagnie de

Moravia, manifestent selon lui « une grande apathie » (p. ) démentie seulement par l’exception de Dom Moraes et son roman Gone away.

En fait, ce pays le déconcerte par son immobilisme alors que l’Afrique lui paraît chargée de forces vives. Ici, il se heurte à une spiritualité qu’il s’efforce de comprendre sans y parvenir réduisant la plupart du temps les gestes de piété à une mécanique dépourvue de significationet se

désole de ne pas voir de solution.

. Tzevan Todorov, Nous et les autres, La réflexion française sur la diversité humaine, Seuil, .

. Cette conférence s’est tenue du  au  avril  et fut le triomphe de Nehru. Elle marque la déclaration officielle de la fin du complexe d’infériorité des peuples de couleur et la condamnation de la colonisation.

. Poète bengali (-), prix Nobel en  dont on peut s’étonner qu’il soit ren- voyé par Pasolini à un rôle secondaire alors qu’il a œuvré pour une reconnaissance iden- titaire de son pays et de sa langue, participé au combat contre la colonisation anglaise et contribué à la tolérance et à une fraternité dont le Mahatma Gandhi a développé le rayonnement en le nommant « Grande sentinelle ». Cf. Odette Aslan, Rabindranath

Tagore, Seghers coll. Poètes d’aujourd’hui, () , p. .

. À propos des ablutions dans le Gange il écrit : « Eh bien, dans ces eaux, on voit des centaines de personnes qui se lavent avec soin, en s’y plongeant benoîtement, en y restant immergées jusqu’à la taille, en s’y rinçant mille fois, en se lavant la bouche et les dents : le tout accompagné de gestes mécaniques et névrotiques (c’est nous qui sou- lignons), faits avec beaucoup de naturel, presque avec désinvolture, comme toujours dans les rites indiens », op. cit., p. .

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Si Pasolini se tient à distance de l’attitude monolithique de l’Euro- péen qui « répudie purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions » selon les termes de Claude Lévi-Strauss, il réduit cependant temporairement son approche en

déclarant : « qu’il soit bien clair que l’Inde n’a rien de mystérieux, comme le prétendent les légendes » (p. ) a contrario de Moravia qui constate la particularité de l’Inde comme « une expérience » et qui conclue l’entretien par ces mots : « gli europei sono europei e gli indiani indiani»

Impuissant à déchiffrer une culture aussi étrangère, il en retient deux impressions qui le conduiront à revenir quelques années plus tard : l’étrange cohabitation de la religion et de la mort, de la sérénité et de la misère et finalement le mystère de cette foi si profondément ancrée chez chaque Indien qu’il a rencontré. La confrontation de Pasolini avec l’altérité nous renvoie au constat ségalien de l’impénétrabilité de l’Autre. 1.3 Verso la cuna del mondo3

L’avancée de la beat generation en réaction contre une Amérique tournée vers le culte de la consommation ravive le projet des Appunti

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