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PARTIE I : PROBLÉMATISATION DE L’OBJET DE RECHERCHE

Chapitre 2 : Une légitimité contestée et l’essor de l’acceptabilité sociale

I. La légitimité des décisions publiques et le développement durable

1.1 Définition de la légitimité

Dans le domaine politique et de gouvernance, la notion de légitimité est une notion complexe et large. Étymologiquement, le mot « légitimité » a pour racine lex, c’est-à-dire loi ou encore droit écrit et qui dérive du latin legitimus signifiant fixé par les lois, conforme aux lois. (Bouquet, 2014). Alors que certains la fondent uniquement par rapport au droit, d’autres conçoivent la légitimité comme fondatrice et universelle et la rattachent à des normes symboliques partagées, de grands principes normatifs comme la liberté, l’égalité, la justice, l’équité, etc. (Bouquet, 2014). L’influence de la philosophie se fait sentir ici en cherchant non seulement la conformité aux lois, mais aussi à la morale et à la raison. (Bouquet, 2014). S’inscrivant dans ce courant de pensée, Haud définit la notion de légitimité et son origine comme suit :

« Issue de la philosophie politique, elle réfère au droit naturel (jus naturale), c’est-à-dire à ce qui est juste en soi, ou encore à la loi dite naturelle (lex naturalis), par contraste avec le droit positif (le droit des lois écrites qui définit la « légalité »). Est donc en ce sens légitime toute loi, toute institution, tout pouvoir qui trouve son fondement dans un droit naturel, que ce fondement soit pensé en termes naturels ou divins ou qu’il soit rattaché à un certain nombre de principes normatifs (rationalité, liberté, égalité, etc.) (Haud, 2014)

Cette définition fait ressortir que pour certains la légalité ne rime pas forcément avec la légitimité. Par exemple, un génocide peut être tout à fait légal selon le cadre réglementaire et les lois en vigueur dans un État et pourtant illégitime par rapport à des notions de justice et de droits humains. « Il y a donc une distinction entre la légitimité formelle et la légitimité sociale; la légitimité formelle est celle du droit, l’aspect légal d’une organisation politique; la légitimité sociale relie les citoyens sur la base d’une identité collective forte et d’intérêts communs ». (Bouquet, 2014).

La légitimité se rattache fondamentalement à « la problématique de la justice et de l’injustice qu’elle interroge à partir de la question de normes ou de critères qui, de l’extérieur, permettent de juger une situation particulière ». (Haud, 2014). Il est intéressant de souligner la dimension de référence à des critères externes formels pour établir le jugement de légitimité, comme par exemple un ensemble de conventions, de lois, de codes de bonnes conduites, etc. (Haud, 2014). Bouquet souligne également que le statut de la légitimité peut aussi se référer à la tradition, au statut, à la connaissance, à l’expertise, à la conviction et que de ce fait, « d’autres considèrent que cette pluralité de légitimités dissout l’idée d’une légitimité absolue au profit d’un relativisme » (Bouquet, 2014).

Ainsi, le diagnostic de « légitimité » requiert beaucoup de prudence. Par exemple, dans le cas de régimes politiques dictatoriaux ou autoritaires, leurs principes fondateurs sont généralement en contradiction avec des mécanismes démocratiques de représentation du peuple, ou de mécanismes de négociation ou de consultation, et surtout de la notion même de bien- commun, mais qui pourraient cependant avoir le statut d’une certaine légitimité d’un point de vue de la tradition, de la culture, etc.

D’ailleurs, certains courants sociologiques d’inspiration critique comme celle de Bourdieu, « dénoncent l’arbitraire fondamental de toutes les formes de légitimité en montrant comment elles sont avant tout reliées à l’exercice et à la justification du pouvoir ». (Bouquet, 2014). En effet, comme le rappelle Bernoux, « il n’y a pas de pouvoir sans légitimité, c’est-à- dire sans acceptation par l’exécutant de la domination exercée par l’activité investie du pouvoir formel » (Bernoux, 1995). Aussi, Amin Maalouf souligne-t-il, « la légitimité est ce qui permet aux peuples et aux individus d’accepter, sans contrainte excessive, l’autorité d’une institution, personnifiée par des hommes et considérée comme porteuse de valeurs partagées ». (Maalouf, 2009).

Dans cette optique, se demander si un choix politique, comme celui de la vocation des terres, de leur mode d’exploitation et de l’entité exploitatrice (multinationales, entreprise locale,

Un premier qui pourrait être expliqué par l’expression la « légitimation par les inputs », ce qui signifie en d’autres mots que les choix politiques à vocation publique ne peuvent être légitimes, que s’ils reflètent la volonté du peuple. Un second s’articule autour de la « légitimation par les outputs », et dans ce cas-là la légitimité n’est atteinte que si les choix, les politiques, les décisions favorisent le bien-être collectif de la communauté (Lacasse & Thoenig, 1997) (Scharpf, 2000).

Dans le cas de l’accaparement des terres, la question de la légitimité se pose en raison de positions divergentes sur les transactions internationales agricoles. L’attribution de terres à des étrangers s’inscrit-elle dans un argumentaire de productivité ? Ou est-elle plutôt envisagée comme la confiscation des moyens de subsistance et, plus généralement, du territoire par des étrangers en contradiction du principe de souveraineté territoriale ? L’attribution des terres reflète-elle la volonté du peuple ou favorise-t-elle à tout le moins le bien-être collectif local, national ou international ?

Sans chercher à se positionner sur ces questionnements, il est important de constater qu’ils reflètent une crise de la « légitimité », résultat d’un manque de confiance qui s’immisce et amplifie la complexité sociale, à la place de la réduire selon Luhmann. (Luhmann, 2006).

Ainsi, les travaux de Rosavallon, bien qu’ils portent davantage sur des contextes démocratiques de pays dit développés, peuvent être intéressants pour alimenter la réflexion. La crise de confiance des citoyens décrit par l’auteur, conduit à une « contre-démocratie », qui ne se satisfait plus des institutions traditionnelles. « L’émergence des nouveaux mouvements sociaux au tournant des années 70 a bouleversé la pratique et les représentations de la démocratie. En débordant les cadres institués de revendication, les causes portées par ces nouveaux mouvements sociaux se sont exprimées à l’échelle de la société dans un débat axé tout autant sur les causes elles-mêmes que sur la remise en question d’institutions incapables de les prendre en charge. » (Gendron, Yates, & Motulsky, 2016).

Ce diagnostic de Rosanvallon de l’affaiblissement de la « légitimité » dans la sphère politique touche selon lui : « deux grandes façons de concevoir la légitimité : la légitimité dérivée de la reconnaissance sociale d’un pouvoir et la légitimité comme adéquation à une norme ou à des valeurs ». (Rosanvallon, 2008).