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5.1- Définition d'une Grande Controverse

Dans le document Les débats publics dans (Page 84-87)

Par définition, un débat est une discussion sur un sujet déterminé annoncé à l'avance. Une controverse serait donc plutôt la représentation d'une discussion argumentée, la contestation sur une opinion, un problème, un phénomène ou un fait, comme un ensemble des éléments divergents ou contradictoires du débat.

Différentes personnes peuvent prendre part à la discussion pour exprimer des avis, des idées ou des opinions divergents.

Des controverses peuvent émerger lors de ces débats.

Il apparait cependant nécessaire de partager la notion de « controverse » avant de chercher à l'identifier. Mais il sera également question de s'interroger sur le qualificatif de « grande » utilisé pour qualifier parfois les controverses issues des débats publics.

5.1.1- Éléments de compréhension d'une controverse

La controverse, simple polémique, une remise en cause du projet ou une étape indispensable au processus de concertation

Les premiers éléments cités (paragraphe 5.1) laissent à penser que la controverse est une étape de la construction du projet. Comme il a été dit, garantir une place à la controverse doit permettre l'instauration d'un réel échange autour d'arguments construits. Au sens général du terme, une controverse est une « discussion suivie d'une question, motivée par des opinions ou des interprétations divergentes; polémiques 25».

Il semble intéressant de dépasser cette simple approche. Ainsi Patrick Schmoll26 indique dans un de ses ouvrages :

« la sociologie a été conduite ces dernières décennies à identifier sous cette dénomination un type précis de débat et les processus qui lui sont spécifiques, et qui requièrent de ne pas en faire le synonyme interchangeable de termes voisins comme polémique, dispute, querelle, etc. »

Il poursuit en précisant que le « qualificatif de scientifique est souvent apposé à celui de controverse pour désigner un débat qui a pour caractéristique d'être raisonné, sinon rationnel, et de s'inscrire dans le processus général de la construction des connaissances : la controverse permettrait, par un échange réglé entre des sujets désintéressés, de faire émerger d'une situation problématique une réponse objective, parce que la meilleure possible ». Selon lui, « ce modèle se révèle très idéaliste. Une controverse ne touche pas qu'aux seules questions qu'elle pose dans l'ordre des connaissances : elle implique des manières différentes de penser la réalité, le monde, la société, l'être humain, elle mobilise et menace des intérêts et des valeurs divergents. La controverse n'est donc pas qu'un processus d'élaboration du vrai, relevant de l'épistémologie, elle est aussi un processus polémique, qui relève d'une sociologie des conflits ».

Il apparaît possible de faire un parallèle entre cette approche de la controverse et celle émergeant des débats publics, même si le débat public, qui ne se déroule pas forcément entre sujets désintéressés, n'a pas pour objectif notamment de trouver la meilleure réponse possible.

Dans le cadre d'un débat public en lien avec un projet d'infrastructure, on est très rapidement confronté à une opposition entre intérêts collectifs (propriétaires, habitants, usagers, consommateurs) et intérêt général, comme l'environnement, qui entre souvent en conflit avec l'expression des intérêts collectifs.

25 Dictionnaire Larousse

26 Matières à controverses, Néothèque éditions 2008

Cette opposition, pouvant se traduire notamment par l'émergence de controverse lors du débat se traduit aussi souvent par une opposition entre le maître d'ouvrage et les acteurs participant au débat.

La controverse liée à un débat public ou une concertation lors d'un projet d'infrastructure présente t-elle des spécificités ?

Il est intéressant dans le cadre de ce travail de définition de la controverse de s'appuyer en partie sur l'ouvrage suivant : « Régulation publique et environnement, questions écologiques réponses économiques27» et de faire plus particulièrement référence au chapitre relatif aux « Controverses dans les projets routiers ».

Bien évidemment la présente étude ne se limite pas aux seules infrastructures routières, mais on peut considérer que pour une grande partie des considérations prises en compte, il y a des similitudes entre les différents types de projet d'infrastructure de transport.

Dans cet ouvrage, le terme de controverse est utilisé selon le sens de Michel Callon (Éléments pour une sociologie de la traduction), elle désigne :

« toutes les manifestations par lesquelles est remise en cause, discutée, négociée ou bafouée la représentativité des porte-parole », c'est à dire « l'ensemble des actions de dissidence ». L'auteur précise alors, qu'en l'espèce, les acteurs placés en position de porte-parole sont ici principalement des représentants de l'autorité publique.

Cette définition semble adaptée aux exercices de concertation ou de débat public, là où le maître d'ouvrage, un porte-parole même si ce terme semble un peu restrictif, présente un projet au public.

Selon l'auteur, les « controverses, gagnant même en visibilité dans l'espace public, comportent en fait plusieurs dimensions. Elle peuvent notamment se focaliser sur des points différents, qui ne correspondent pas à la même intensité critique. C'est en sériant ces formes de dissidence selon les orientations de l'action revendicative que la réactivité des institutions étatiques concernées peu apparaître de manière plus intelligible ».

Il apparaît ici clairement la nécessité de définir la controverse dans le cas des débats publics et d'essayer de les identifier et de les comprendre.

L'auteur poursuit en expliquant que « les oppositions rencontrées lors de la réalisation d'autoroutes, ou d'autres grandes infrastructures de transport, révèlent ainsi un souci à l'assise sociétale grandissante face aux répercussions de ces équipements sur l'environnement. Certes, les mobilisations associatives qui récusent le bien-fondé de ces projets au nom de la protection de la nature peuvent dans la plupart des cas apparaître comme des phénomènes de circonstance, ayant une cible ponctuelle et un ancrage territorial limité. Mais elles bénéficient aussi d'un climat social qui favorise la diffusion de leurs préoccupations dans l'ensemble de l'espace public, le tout contribuant à saper les bases de légitimité de programmes dont la prémunition n'est plus garantie par les déclarations d'utilité publique. En étant ainsi réfutés sur le terrain, les choix soutenus par les pouvoirs publics tendent alors à perdre leur prétention à représenter l'intérêt général. »

Il est apparu intéressant de poursuivre le travail de compréhension des controverses, notamment dans le cadre des débats publics, où des arguments techniques sont parfois utilisés, notamment dans le cadre des échanges sur l'environnement.

C

ontroverses socio-techniques

La littérature sur les controverses identifie un type de controverse particulier, les « controverses socio-techniques ».

Il s'agit de controverses engageant des connaissances scientifiques ou techniques non stabilisées, ce qui peut conduire à des échanges mêlant des considérations juridiques, morales, économiques et sociales.

James McDonald (Université de Montréal) propose une définition de la controverse socio-technique. Pour cela il s'appuie dans un premier temps sur la définition de Govier (1999), qui affirme que les controverses comportent les caractéristiques suivantes :

– les personnes qui prennent position par rapport à des enjeux doivent être en désaccord les unes avec les autres;

27 Yannick Rumpala aux Editions L'Harmattan 2003

– il doit exister un minimum de deux points de vue face à chaque enjeu du débat;

– les personnes doivent faire plus qu'exprimer leurs points de vue divergents; ils doivent argumenter à propos des enjeux dans un processus de délibération.

Il ne s'agit donc pas d'évènements ponctuels : les controverses contrairement aux conflits, constituent des phénomènes sociaux qui durent longtemps (Govier 1999). En effet, une perspective soutenue par Brante (1993) et Callon, Lascoumes et Barthe (2001) postule que les controverses se closent, mais ne se résolvent pas, car

« l'accord obtenu à un moment donné peut très bien ne plus être valable un peu plus tard quand les circonstances ont changé » (Callon, Lascoumes et Barthes, 2001).

Pour définir la controverse socio-technique, McDonald ajoute des caractéristiques à celles énoncées ci-dessus : – elles adressent notre futur collectif dans un monde d'innovation scientifique et technologique;

– elles impliquent des acteurs multiples et variés avec des niveaux d'expertise différents;

– elles soulèvent des questions hétérogènes dans des domaines variés;

– elles font appel à de nombreux artefacts scientifiques et techniques28 (Benoit-Barné, 2007).

Ces différents éléments de compréhension mettent en évidence les caractéristiques de la « controverse » et amènent à s'interroger sur les différents types de controverses qui peuvent émerger au cours des débats publics en lien avec des infrastructures de transports.

5.1.2- Les Grandes Controverses : qu'est-ce qu'une Grande Controverse ?

L'objectif de ce paragraphe n'est pas tant de définir une Grande Controverse par rapport à une controverse que de préciser ce qui est recherché dans l'analyse des débats publics.

La priorité est ici donnée à l'identification des controverses que l'on peut qualifier de controverses

« sociétales », pouvant s'apparenter à une controverse socio-technique définie ci-dessus. La controverse

« sociétale » est assimilée à une contestation transversale que l'on pourrait retrouver dans tous les débats d'idées ou sur un projet, quelle que soit sa nature et son cadre géographique. Cette controverse dite

« sociétale » est très souvent née d'un contexte d'actualité, d'une philosophie ou d'un positionnement émergent, défendus ou portés par l'opinion publique sur la base d'une information ou d'une diffusion « grand public » assurée par les médias de tous types (audio visuel et surtout aujourd'hui l'information électronique en temps réel...).

On accordera à cette controverse « sociétale » la caractérisation de «Grande Controverse», par sa nature et sa capacité à être transposable et transposée dans les différents débats analysés.

La grande controverse, dans les projets d'infrastructures de transports, est aujourd'hui régulièrement ancrée sur les thématiques du développement durable, de l'économie (coût de l'énergie et prix des carburants) du financement des projets (construction de l'ingénierie financière du projet, choix des types de partenariat financier, rôle de l'état..), sur les questions d'environnement (préservation des espaces naturels, protection de la biodiversité et des paysages..) mais touche également de manière de plus en plus sensible les sujets de psychologie des comportements des usagers des infrastructures et de choix de mobilité (les modes alternatifs, la réduction des déplacements « inutiles »...).

A titre d'exemple, on peut citer les controverses liées à la problématique du réchauffement climatique où très clairement différents points de vue s'opposent et où la science, la recherche ou les avis d'experts occupent une place prépondérante.

On cherchera également à identifier les controverses « du débat », c'est à dire celles qui ne trouvent peut être pas un large écho dans notre société, mais qui peuvent néanmoins ponctuellement concerner d'autres acteurs dans tous les débats. Il ne s'agit pas de grandes controverses parce qu'elles concernent un sujet majeur, mais parce qu'elles sont identifiées quelque soit le débat. La controverse du débat est souvent issue d'un débat spécifique à un territoire, à une famille d'acteurs locaux ou à une problématique identitaire régionale.

28 Benoit-Barné (2007) définit artefact comme tout produit de l'innovation scientifique et technique, ce qui inclut entre autres des pièces d'équipement, des documents textuels.

Elle n'a pas systématiquement un accent « national » ou globalisant mais elle peut tout autant, dans la plupart des cas, être « transposée » dans d'autres lieux sur des thématiques de débat différentes.

La question de l'accessibilité aux aménités locales, la question du maintien des mobilités locales « gratuites », la question de l'itinéraire alternatif à la nouvelle infrastructure payante peuvent constituer autant de « controverses du débat » reproductibles sur d'autre débats ou projets.

La « polémique du débat » est la troisième catégorie de controverse, qu'il semble nécessaire de définir. Elle apparaît non pas sous la forme première de la définition de ce terme mais sous la forme contemporaine banalisée définie par certains auteurs sur la base des polémiques issues de la presse.

Ainsi, Plantin29 (2003) analyse la polémique dans la presse et note que ce que le journaliste désigne sous le nom de polémique n'est plus la parole de l'expert qui pratique et aime la polémique, mais celle des « locuteurs ordinaires mis en cause par une question pour eux vitale, qui les dépasse, et pris, bon gré mal gré, dans un rapport langagier pétri de violence et d'émotion ».

Il est identifié un autre trait récurrent de la polémique dans la presse, elle est souvent considérée comme un discours pseudo-argumentatif, un discours d'accusation qui veut passer sous couvert d'argumentation, ou encore qui se donne en spectacle (Gelas 1980).

Dans le cadre des débats publics, on note parfois des oppositions au projet prenant cette forme d'expression. Il s'agit de discours exprimant une opposition au projet mais sans construction argumentaire, pouvant prendre la forme d'affirmation sans fondement, de remise en cause de la légitimité du maître d'ouvrage ou de la CPDP.

Il semble intéressant dans le cadre de cette analyse de les identifier au même titre que les autres controverses car elles font parties intégrantes du processus de concertation publique.

Exemples :

Type de controverse Exemple

Controverse sociétale Réchauffement climatique Controverse du débat Consommation d'espace agricole

Polémique du débat Remise en cause de la légitimité du maître d'ouvrage

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