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Les modèles de la négligence présentés plus haut proposent de l’envisager comme un trouble chez le parent dans le traitement social de l'information (DiLalla et Crittenden 1990) ou comme une difficulté du parent à interpréter et partager correctement les émotions de l'enfant ou à proposer une réponse émotionnelle adaptée (De Paul et Guibert 2008). Les mères présentent une difficulté à différencier les appels de leur enfant (Garret- Gloanec et Pernel 2012).

45 Au vu de ces éléments, il apparaît pertinent d’étudier les interactions précoces ainsi que les capacités de la mère à percevoir et interpréter de façon sensible les comportements et émotions de l’enfant, afin de développer les connaissances des situations de négligence émotionnelle.

En résumé…

Dans une conception relative aux parents, la maltraitance peut être déclinée en deux dimensions : l’abus et la négligence. Cette dernière est caractérisée par l’omission de certains comportements parentaux nécessaires au bon développement de l’enfant (Ethier & Milot, 2009). La maltraitance peut également se décomposer selon les besoins de l’enfant. Parmi eux, les besoins émotionnels sont particulièrement touchés par la maltraitance qui opère au sein des interactions parent-enfant.

La négligence émotionnelle est une défaillance chronique de la part du

parent à offrir à l’enfant, au sein de leur relation, un environnement affectif suffisamment bon pour son développement. C’est une forme discrète et ambigüe de

maltraitance (Garret-Gloanec & Pernel, 2012) qui peine à être représentée et clairement définit dans la littérature de ces 40 dernières années. La variation des définitions et des résultats des études retarde l'émergence de connaissances claires pour l’élaboration des possibilités de prise en charge de cette population pourtant primordiale dès la petite enfance. En effet, la prévalence et la gravité de ses conséquences sur le développement cognitif, affectif et relationnel de l’enfant justifie amplement l’étude des situations de négligence émotionnelle (Hildyard, 2002).

La monoparentalité, la précarité et l’isolement social, la psychopathologie parentale et les vécus de carences infantiles maternelles non élaborés, constituent des facteurs de risques de négligence émotionnelle. Ces situations sont caractérisées par une discontinuité interactive ainsi qu’une difficulté pour la mère à interpréter les besoins émotionnels et les comportements de son enfant et à pouvoir lui renvoyer qu’il est compris, notamment au sein de leur relation.

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Chapitre II. Les interactions précoces mère‐enfant 

L’interaction est caractérisée par des liens de communication, à différents niveaux, entre deux ou plusieurs partenaires dont l’expérience et les compétences diffèrent. Cette description fait écho à l’approche théorique et méthodologique qui a été accordée à cet objet d’étude. En effet, cette étude a été constituée d’échanges réciproques, sur différentes modalités de l’interaction, avec des professionnels de multiples compétences. Lebovici (1983) considérait le nourrisson comme un sujet exemplaire d’une approche transdisciplinaire.

Avec ce titre, nous indiquons au lecteur, dès à présent et sans détour, que ce travail oriente son regard sur la dyade mère-enfant. En affinant notre objet de recherche sur les deux partenaires les plus communément rencontrés dans le champ de la petite enfance, nous ciblons une population connue et reconnue dans la littérature en recherche clinique. Ce choix nous permet, d’une part, de partir d’un corpus théorique solide constituant une base stable favorable au croisement des disciplines. D’autre part, il est représentatif de la population à l’origine de notre question de recherche et a donc facilité notre recrutement. Néanmoins, ce choix méthodologique ne résume en aucun cas notre conception du large éventail de partenaires interactifs qui s’offre à l’enfant au cours de son développement.

Premièrement, si l’importance d’une figure d’attachement principal dans l’environnement de l’enfant est reconnue (Golse 2014), celle-ci n’est pas toujours incarnée par la mère. Par ailleurs, l’environnement social élargi de partenaires interactifs (familial ou non) joue un rôle fondamental dans le développement cognitif, affectif et relationnel de l’enfant (Parke et Buriel 1998).

Deuxièmement, le rôle fondamental du père pour l’enfant comme pour sa mère,

ne se réduit pas à une fonction de tiers séparateur. Le couple peut être vecteur de soutien social et la triade fonctionne à partir d’un ensemble de processus spécifiquement triangulaires (Favez 2013). En outre, l’étude des interactions à travers le concept du triangle primaire ou la méthodologie du Jeu triadique de Lausanne révèlent la pertinence de prendre en compte le niveau familial triadique pour décrire de façon complète le

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contexte social dans lequel évolue le bébé (Corboz-Warnery et al. 1993; Fivaz- Depeursinge, Corboz-Warnery, et Henry 2013).

Troisièmement, nous pensons qu’il n’est plus possible aujourd’hui d’envisager le

couple parental représenté uniquement par un couple homme - femme. Le faire réduirait

en effet considérablement le champ d’exploration et constituerait un biais dans la réalité clinique.

Dès lors que les acteurs de l’interaction ont été définit, nous souhaitons désormais prévenir le lecteur que nous nous sommes particulièrement intéressés à une dimension de l’interaction : les interactions comportementales. Ce choix émane de notre souhait de nous centrer sur la dynamique interactive observable, afin de confronter un regard humain conceptuel théorico-clinique et expérimental avec des techniques de détection computationnelle14 issu du Traitement du Signal Social. Là encore, cet axe de recherche ne représente nullement notre conception globale des interactions précoces. Notre revue de la littérature déclinera la notion d’interaction en dimensions comportementale, affective, fantasmatique et culturelle. Deux éléments peuvent être proposés pour expliciter ce choix.

Tout d’abord, dans le cadre de ce projet, nous ne pouvions espérer aborder que la partie émergée de l’iceberg, métaphore qui sous-entend d’ailleurs le rapport proportionnel de la dimension comportementale sur l’ensemble des interactions. Le « sommet de l’iceberg » désigne les manifestations observables aux niveaux affectif et interactif, tandis que le vécu interne du bébé et ses expressions n’ont un sens communicationnel que lorsqu’elles sont « relevées et entendues dans « l’aller-retour » des définitions et des significations conceptualisées par les adultes qui prennent soin de lui (Sameroff, Emde,

1989) » (Knauer et Palacio-Espasa 2002). Cette recherche doit être envisagée comme

une fenêtre d’observation des interactions précoces et non comme sa simplification.

Ensuite, c’est par la focalisation sur l’aspect comportemental que nous souhaitons mettre en évidence la dimension temporelle de l’interaction, ainsi que l'implication dynamique du corps dans les échanges interactifs mère-enfant. Pour Lebovici (1983), l’étude des interactions comportementales justifie l’essai pour comprendre le rôle de la vie

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Provient du terme anglo-saxon Computer et définit une méthode assistée par ordinateur, avec traitement automatique des données.

49 fantasmatique de la conduite humaine. Nous tenterons d’associer ces éléments dans notre deuxième hypothèse.

Enfin, l’attention portée aux composantes observables et explicites de l’interaction

fait écho au fonctionnement de notre population clinique en situation de négligence

émotionnelle, pour laquelle l’accès à l’implicite du fonctionnement psychique n’est pas manifeste. Leurs préoccupations comme l’approche thérapeutique se réfèrent souvent initialement aux comportements manifestes. Notre thèse suit donc la même orientation que la clinique auprès de ces familles. Le regard sur les interactions comportementales

représente un point d’éclairage, point de départ permettant d’appréhender les interactions affectives et fantasmatiques.

Le plan détaillé de ce chapitre se décline en quatre parties.

Premièrement, le chapitre débute par un court rappel épistémologique des études

des interactions précoces dont l’influence des multiples courants théoriques a conduit

entre autres à une évolution des pratiques thérapeutiques.

Deuxièmement, il se poursuit par la présentation des différentes modalités

comportementales, affectives et fantasmatiques constituant les interactions, basées sur

le modèle de Bobigny.

Troisièmement, nous centrerons notre intérêt sur les aspects dyadiques et

temporels de l’interaction dont les résultats expérimentaux tout comme les concepts

théoriques appuient l’intérêt d’évaluer la dynamique interactive dyadique.

Quatrièmement, l’intérêt et les limites de l’évaluation des interactions seront évoquées avec la proposition d’une échelle d’évaluation de la qualité des interactions, l’échelle Coding Interactive Behaviour (CIB). Elle sera présentée à travers un article

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