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Des conceptualisations théoriques riches et variées ont envisagé les interactions précoces en abordant leur aspect dyadique, temporel et corporel. Nous souhaitons en évoquer ici quelques-uns.

Le concept de réciprocité incarne une base forte de l’interaction et qualifie un rythme dans l’échange dyadique (Lebovici et Stoleru 1983). Elle a été notamment étudiée par une méthode micro-analytique d’une interaction de face à face entre une mère et son bébé (Brazelton, Koslowski, et Main 1974). Ce rythme régulier et connu des partenaires est associé à des ruptures qui permettent d’introduire un espace dans lequel le bébé puisse faire l’expérience de ce non-ajustement, de cette dysharmonie, et que ces expériences participeraient à la construction de sa propre subjectivité. « L’expérience de réparation est un caractère permanent et essentiel de l’interaction » (Gianino et Tronick 1988). En somme, une certaine dialectique harmonie/dysharmonie est nécessaire.

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La contingence englobe le concept de réciprocité et permet de qualifier le comportement des différents protagonistes selon leur adaptabilité réciproque (Lamour et Lebovici 1991).

L’accordage affectif permet au bébé de découvrir que ses propres expériences ne sont pas uniques et que la vie psychique peut se partager (Stern 1989). Il y a une inscription de trames temporelles d’éprouvés dans l’accordage affectif des premières relations. Ce concept est au cœur de la compréhension de la naissance de l'intersubjectivité. La réalité interactive des deux premiers mois se suit d’une « réalité intersubjective ». Les enveloppes prénarratives, des séquences temporo-spatiales et causales, créent des modèles d’expérience vécue. Cela s’illustre par l’intériorisation par l’enfant du déroulement temporel et de la nature du récit maternel (par mots ou suite de comportements articulés entre eux). Le temps est alors envisagé comme une sorte de 6ème sens. « Il s’agit de quelque chose de transmodal, qui ajoute à tous les autres sens, une certaine forme de sensorialité » (Stern 1977). Les partenaires peuvent échanger un élément commun sur des canaux différents par une transposition intermodale.

Le concept d’échoïsation corporelle permet de situer le corps comme vecteur dynamique de l’interaction émotionnelle. Il correspond à la résonnance émotionnelle par des attitudes et gestes communs et/ou synchrones permettant de ressentir l’émotion de l’autre « C’est par notre propre corps que l’on a, en écho, connaissance du corps d’autrui, ainsi le corps est un instrument essentiel de support de l’activité mentale mais aussi de l’activité relationnelle empathique avec le monde et les autres » (Cosnier 1997). La notion de synchronie18, mise en avant par Feldman (2007) ces dernières années, s’inspire en partie des théories précédemment citées. Sa prévalence actuelle provient notamment des découvertes neurophysiologiques qui lui confèrent un ancrage biologique.

Ainsi, au vu de ces conceptualisations théoriques, il apparaît que l’engagement rythmique des corps de la mère et de l’enfant contribue à la qualité d’un échange affectif et au développement de l’appareil psychique de l’enfant. Les dimensions comportementales et temporelles constituent donc des dimensions pertinentes à explorer dans la compréhension des interactions précoces.

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II-4. Méthodes d’évaluation des interactions précoces

L’étude des interactions précoces met en avant leur caractère primordial dans le développement de l’enfant et la nécessité de leur évaluation. Parmi ses différents objets d’étude, la dimension corporelle et temporelle constitue un support d’élaboration fécond, passant par les enveloppes psychiques, la rythmicité de l’interaction, la réciprocité, l’accordage affectif ou encore la synchronie (Anzieu 2013; Ciccone 2007; Feldman 2014; Lebovici et Stoleru 1983). Ces dimensions sont propices à l’évaluation des interactions précoces puisqu’ils sont observables. A travers l’observation des interactions comportementales il est possible d’envisager les interactions émotionnelles et affectives. Cette perspective est notamment illustrée par l’école Genevoise sur le plan thérapeutique. Ainsi, les signes de pathologies de l’interaction peuvent être reconnus par les avortements de sollicitations, les ratés dans les séquences sollicitations-réponse, les interférences dans l’harmonie des échanges et les ruptures de communication (Cramer et Palacio Espasa, 1993).

En parallèle, l’interaction doit être envisagée d’un point de vue macro et micro. Le choix d’une approche quantitative ou qualitative se pose. Un élément de

réponse peut être proposé par la citation de Brazelton : « la quantification du

comportement révèle des tendances et fournit une base pour la qualification du comportement. L’objectivation du comportement interactionnel séquentiel apporte un éclairage sur les relations de cause à effet entre des partenaires et entre des éléments de

comportement distincts. […] Enfin la quantification peut aider à interpréter les

‘intentions’ ou les ‘significations’. » (Brazelton et Cramer 1990).

L’évaluation des interactions précoces est complexe en soi, l’abord du comportement et du temps l’est également. En effet, l’évaluation doit appréhender un système en perpétuel mouvement, constitué d’échanges transmodaux souvent simultanés. Les différences du point de vue des compétences interactives des partenaires créent un répertoire de comportements d’une grande richesse et variabilité (Papousek, 1979).

Néanmoins, bien qu’elle constitue un défi, cette complexité mérite être prise en compte dans l’évaluation des interactions précoces. En effet, il apparaît primordial de proposer des outils d'évaluation fiables pour leur portée indéniable concernant la clinique de la petite enfance et des conceptualisations théoriques. Pour cela, il est nécessaire de

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définir ce qui est évalué au sein des interactions précoces, et notamment la modalité d'interaction étudiée, en suivant le modèle de Bobigny.

La grille d’évaluation des interactions précoces de Bobigny évalue les interactions corporelles, visuelles, vocales et les sourires. Selon les échelles, les modalités varient. Le Guide d’Évaluation du Dialogue Adulte-Nourrisson (GÉDAN) (Rotten et Fivaz- Depeursinge, 1992) d’inspiration systémique étudie les contacts corporels, les interactions visuo-faciales et les « mis-coordinations ». Le Care-Index élaboré par Crittenden évalue plusieurs dimensions, notamment l’alternance à l’intérieur des séquences de jeu. Ces échelles proposent majoritairement des regroupements en catégories. D’autres échelles, comme le CSMCI (Coding System for Mother–child Interactions ; NICHD Early Child Care Research Network [ECCRN], 1999, 2003, 2006) intègrent quelques éléments dyadiques à sa cotation.

Le CIB, Coding Interactive Behaviour (Feldman et Keren 1998) permet l’intégration dans une même échelle de dimensions relatives à la mère, à l’enfant et à la dyade, avec une prise en compte de la temporalité apparaissant à travers certains items. Cet outil présente des qualités psychométriques majeures, validées à maintes reprises.

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II-5. Validation de la version française du Coding

Interactive Behavior sur une population d’enfants à

la naissance et à 2 ans. (Publication dans

Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence)

La validation de la version française du CIB (Viaux-Savelon, Leclère, et al. 2014) a constitué un pan majeur de cette étude.

En effet, la qualité des interactions précoces de notre population a été évaluée grâce à cet outil. Sa solidité théorique et psychométrique a été un appui majeur pour notre objectif de développer une nouvelle méthodologie d’analyse de la dynamique interactive dyadique. En effet, notre analyse fine et automatique de la synchronie s’est étoffée grâce aux comparaisons avec l’analyse qualitative dimensionnelle globale du CIB.

En outre, l’apprentissage nécessaire à la maîtrise de la cotation de cet outil a affiné notre capacité d’observation de l’interaction précoce, ainsi que sa compréhension alimentée par de nombreux temps d’échange en équipe

Les besoins d’évaluation des interactions précoces se confrontent aux défis qu’elle soulève. Le CIB constitue une des échelles qui tente d’y répondre le mieux. Elle a montré sa validité et son intérêt dans la littérature internationale. Elle permet d’obtenir une image qualitative et quantitative, multidimensionnelle en portant un regard sur la dyade et la temporalité.

La version française, à laquelle nous avons participé, présente les mêmes qualités psychométriques que la version originale. Ces résultats offrent la possibilité d’un élargissement de sa portée en France.

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En résumé…

L’étude des interactions précoces s’est développée à travers l’intérêt porté par la psychanalyse au lien mère-enfant et son influence sur le développement de l’enfant, notamment à travers la construction de la relation d’objet. Cet intérêt, éveillé par l’observation de l’enfant, s’est vu influencer par les travaux de l’éthologie, par la théorie de l’attachement, par les études expérimentales de la psychologie du développement, par les conceptions et méthodes vidéo de l’approche systémique ou encore par les découvertes neurobiologiques qui soutiennent le modèle épigénétique.

Les interactions précoces sont relatives à une unité de temps réduite. L’enfant et l’un de ses partenaires échangent sur des canaux transmodaux (corps, voix, regard…) des éléments comportementaux, affectifs et fantasmatiques. Cet objet d’étude mêle l’interpersonnel, l’intrapsychique et l’intersubjectif.

Parmi ses différents objets d’étude, la dimension corporelle et temporelle constitue un support d’élaboration fécond autour des enveloppes psychiques, la rythmicité de l’interaction, la réciprocité, l’accordage affectif ou la synchronie (Feldma, 2014 ; Anzieu, 2013; Ciccone, 2007; Lebovici & Stoleru, 1983) met en avant leur caractère primordial dans le développement de l’enfant. Ces éléments appuient la pertinence de pouvoir évaluer la dynamique temporelle interactive.

Par ailleurs, en recherche comme en clinique, il est nécessaire d’avoir accès à des outils complets, qualitatif et quantitatif, multidimensionnel et en portant un regard sur la dyade et la temporalité, afin de saisir toute la complexité des interactions précoces.

L’échelle du CIB tente de répondre au mieux à cette exigence. Elle est détaillée à travers un article de validation de sa version française (Viaux, 2014).

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Chapitre III. Le concept de synchronie 

Le chapitre précédent a mis en évidence que la dimension temporelle dans l’interaction joue un rôle fondamental pour le développement de l’enfant et la construction des premiers liens avec un parent suffisamment bon. La réciprocité et l’ajustement dyadique dans l’interaction dépendent notamment de l’ajustement temporel entre les partenaires. La notion de synchronie, mise en avant par Feldman (2007) ces dernières années, décrit ce phénomène d’ajustement temporel, sur des bases neuro- physiologiques (2007). La synchronie décrit le processus dynamique par lequel des signaux hormonaux, physiologiques et comportementaux sont échangés entre les partenaires lors des interactions. Cette communication bio-comportementale a notamment été mise en évidence au travers de l’hormone de l’ocytocine.

La synchronie se retrouve donc dans différents domaines tel que la physique, la biologie ou encore les sciences sociales. Ce concept est propice à l’approche transdisciplinaire.

Une revue de la littérature nous a permis de définir la synchronie comme une

adaptation dynamique et réciproque de la structure temporelle des comportements (vocalisations, mouvements, regards…) et des états émotionnels des partenaires interactifs.

Figure 1. Modalités comportementales d’une interaction parent-enfant selon le domaine du signal social.

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