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Quatre déesses de la Nuit, par Juliette

Dans le document AINSI PARLAIT LA CHOUETTE (Page 29-32)

Une petite histoire inspirée d'une disproportionné par rapport aux pattes.

À vrai dire ça aurait pu être une vache si ça n'était un chien, même les tâches du pelage ne sont pas tant celles d'un dalmatien que celles d'une brouteuse d'herbe. Il a la tête et la queue relevées vers le haut de la toile, la gueule ouverte dévoilant des dents blanches et une langue rouge vif. Il a un œil tout rond qui lui donne un côté bête et deux minuscules oreilles crochues. Il se dresse sur un carrelage en damier rouge et orange très vif, avec un côté inquiétant... Trop cru. D'autant qu'au bas des pattes avant du chien se trouve

une toute petite porte de la même couleur que la langue du chien. On dirait la porte trop petite par laquelle est passé le lapin blanc d'Alice au pays des merveilles. Elle est d'un rouge lumineux et cruel, à peine de la taille d'une patte du chien. Sur le bord gauche de la toile, une grande et fine échelle nous mène dans le haut de l'image. Une échelle de grenier, asymétrique et frêle. Et là, mes yeux se posent sur quatre adorables chouettes, côte à côte, placées comme les gardiennes d'un trésor. Ce sont des chouettes effraies, je les ai reconnues grâce à la description de wikipedia dont je vous partage un extrait :

« L'Effraie de clochers est une chouette aussi couramment appelée chouette effraie ou dame blanche. L'effraie des clochers possède un masque facial blanc en forme de cœur. Le dessus du corps est gris cendré à brun jaune, richement pointillé et perlé de fines taches blanchâtres ourlées de noir. Le poitrail est blanchâtre à blanc roussâtre plus ou moins piqueté de brun foncé. Ses pattes sont longues couvertes de plumes blanches et munies de doigts puissants aux serres bien développées. Ses ailes sont longues et plutôt étroites. L'iris de l'œil est noir. Les sexes sont identiques. »

Les deux premières chouettes sont de face, la troisième est de profil et la dernière a l'air ailleurs. La tête de la troisième forme une demi-lune et se tourne vers le ciel, cette chouette a aussi la particularité d'être beaucoup plus petite que les trois autres. On dirait

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que seul le haut de son corps sort d'une fenêtre, au bas de laquelle se trouve une petite échelle et un tout petit personnage. Ce dernier ouvre les deux bras et les deux mains d'un air agité et souris jusqu'aux oreilles. L'entièreté de son corps semble être constitué par une robe triangulaire dont seuls les quatre membres s'échappent. Il regarde face au spectateur.

Cela pourrait être une petite fille qui fait coucou, mais il n'y a aucun indicateur de sexe ou d'âge, cela pourrait être aussi un fermier ou une mamie... Les quatre chouettes semblent extrêmement calmes malgré l'agitation qui règne dans le reste du tableau, avec le chien fou, les couleurs sauvages et le petit personnage agité. Elles veillent sagement dans les clochers, chacune un petit toit sur la tête. On dirait des astres.

C'est l'histoire d'un dalmatien, d'une petite fille, et de quatre immenses chouettes plus proches du ciel que de la terre. La petite fille rêve de rencontrer les chouettes, elles qui sont les magnifiques déesses du village. D'autres disent qu'elles sont des démons, et qu'elles effrayent les passants de leurs cris stridents, mais la petite fille n'a pas peur. Elle sait que les déesses ont parfois l'allure des monstres pour tromper les apparences. Et leurs cris est un chant d'amour à la nuit. Pour les rejoindre, il faut aller auprès du clocher le plus haut de la ville, celui qui possède de multiples tours et autant de fenêtres. De là, grimper les échelles. Au plus haut de la plus haute échelle de la plus haute tour du plus haut clocher de la ville, veillent les déesses lunaires. La petite fille n'a pas peur, mais prend quand même son dalmatien pour l'aider au cours du périple. Le soir venu, elle décide qu'il est temps de partir, sort de son lit en douce et marche jusqu'au clocher. Elle frissonne et sert son chien contre elle... Elle n'a pas peur, non, ce sont des frissons d'excitation. Sa décision est prise depuis bien longtemps, peut-être depuis sa naissance, elle doit rencontrer les chouettes. Arrivée au bas des grandes échelles, un doute vient pourtant la titiller. Déjà son chien ne va pas pouvoir la suivre, et puis c'est sûrement très dangereux.

- « N'y va pas », implore le chien.

- « Tu sais bien qu'il le faut, c'est mon rêve ».

Sa grande robe grise ondule dans le vent de la nuit, elle sent un élan profond qui la pousse.

Le premier échelon flageole sous ses petits pieds, le second est un peu plus stable, une plateforme en bois l'attend au bout de la première échelle. Un pied après l'autre, il faut être calme et ne pas brusquer le mouvement. Déjà le dalmatien semble tout petit à ses pieds, lui qui est si gros vu d'en bas qu'il ressemble à une vache. Il hurle à la mort la perte de sa

La fille n'est plus qu'une tache grise perdue dans un immense échafaudage branlant. Elle grimpe, s'arrête parfois pour regarder la ville à travers une fenêtre, et reprend son ascension. Au bout d'un million d'année, elle s'arrête pour pleurer, et s'endort. Les larmes

31 roulent jusqu'en bas en faisant de la musique. C'est plus doux qu'une musique de pluie, plus rythmé et plus simple. Le chien dort et rêve de la fille, ses pensées s'envole la rejoindre, l'enveloppe et la réconforte. Elle se réveille et garde les yeux fermés, elle écoute. Il fait nuit silencieuse, pas de chant de chouette, pas de battement d'ailes de chauve-souris, pas même quelque papillon de nuit papillonnant. Pourtant elle sait que ce n'est pas le jour, car le soleil fait crépiter les murs et elle n'entend vraiment rien. Elle n'ose pas ouvrir les yeux, peut-être qu'elle est morte, peut-être qu'elle est tombée au bas du monde pendant son sommeil. Elle ouvre les yeux le plus doucement possible, sans perturber ce calme de néant. Sa vision est d'abord troublée, il faut le temps de mise au point, de l'adaptation à l'obscurité. Alors se dessine devant elle quatre silhouettes immobiles. Trois grandes et une petite. De fantômes blancs mouchetés. Deux la regardent droit dans les yeux, une regarde le ciel, et la dernière a l'air ailleurs. Les déesses.

- « J'ai tant rêvé vous rencontrer. » Elles ne bougent pas.

- « J'ai tant imaginé vous parler. » Elles ne répondent pas.

- « Ho grandes chouettes, reines de la nuit, prophètes de la lune, je sais que vous n'êtes pas des monstres. »

La chouette de profil, la plus petite, tourne son visage en forme de cœur et ouvre son bec pour faire raisonner un puissant cri.

- « Méfie-toi petite, tu vas un peu vite, déesses d'hier, nous pouvons être sorcières. » Elle a une voix grinçante, comme un vieux grenier qui craque dans le vent. Encore la petite fille frissonne, mais elle n'a pas peur.

- « Je n'ai pas peur. »

- « Tu devrais, qui crois-tu que nous sommes, pourquoi la nuit ne fait-elle plus de bruit ? » - « Vous êtes les déesses de la nuit, c'est vous qui faites bruire la nuit et papillonner les papillons de nuit, c'est vous qui faites les rêves des enfants et les ombres des grands. J'ai tant rêvé de vous, vous m'avez appelé, je suis venue. »

- « Tu te trompes mon enfant, regarde au fond de ton cœur, ferme les yeux, laisse parler les cieux, il n'y a qu'une déesse ici. »

Les échelles disparaissent, le monde vacille, les chouettes s'envolent, la petite fille ferme les yeux et frissonne dans son lit. Elle n'a pas peur et s'endort.

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Dans le document AINSI PARLAIT LA CHOUETTE (Page 29-32)

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