Le décrochage scolaire comme déviance à Ia norme politique

Le décrochage scolaire se présente aussi et à notre avis comme une dkviance à la nome politique.

La norme politique se réfêre à la façon disciplinaire de conduire la société à travers les mécanismes de contrôle que le pouvoir établi applique sur la population. Cette norme peut se présenter sous une forme officielle, explicite ou implicite (documents, transmission des "vertus sociales" dans les discours des autorités, valorisation sociale de comportements de "bonne citoyenneté") Or, ce que l'on peut remarquer est que les discours politiques s'attaquent surtout à la non-fréquentation scolaire définie comme un critère de l'appartenance à la société, d'où l'importance par exemple de la "citoye~eté" et des règles qui s'y rapportent. Parce qu'être citoyen c'est suivre une ligne de conduite qui correspond à ce que les classes dirigeantes et dominantes imposent en termes de lois, de règles et de valeurs concernant le rapport entre l'État et ses sujets. Le décrochage scolaire représente ainsi une déviance à la norme politique dans la dérogation qu'il pose aux efforts étatiques d'encourager, d'imposer et de sanctionner l'obtention d'un diplôme d'études secondaires dans les propres termes de l'État. Par sa présence sur les bancs de l'écoley le jeune contribue à assumer un rôle de citoyen responsable:

L'école doit préparer non seulement au travail, mais à l'expérience humaine et à n exercice lucide et responsable de la citoyenneté.

[.. .] N'est-il pas indispensable qque l'école québécoise assure une connaissance approfondie de l'organisation économique, sociale et politique et des caractéristiques culturelles de la société québécoise procurant une éducation civique qui rende les individus capable d'assumer leurs responsabilités de citoyen dans une société diversifiée ouverte sur un monde très complexe?

(Québec, 1994: 1 1)

Par aiiieiirs, autre que de faire assumer un rôle de citoyen aux individus la fréquentation scolaire est importante parce que pour l'appareil étatique, le décrochage scolaire nécessite l'opération de mécanismes de contrôle lorsqu'on en pèse les coûts financiers:

Le coût de l'abandon scolaire pour un échantillon de 100 000 personnes, durant la période de vie active, serait de l'ordre de 38.5 milliards en revenus personnels et de 12 milliards en revenus fiscaux pour le gouvernement canadien. Toutefois, au-delà et bien

au-delà des pertes financières, nous devons nous préoccuper des conséquences personnelles et sociales de ce phénomène telles l'analphabétisation, la pauvreté cuIturelle, la consommation de drogues et d'alcool, le suicide et autres. Ces conséquences doivent absolument être prises en considération car elles conduisent inévitablement à une baisse de la qualité de vie de l'individu et a l'appauvrissement de notre société.

( Canada, 1992:2)

Le discours institutionnel présente les divers maux et coûts financiers et sociaux du décrochage scolaire et ce, dans une perspective qui Iégitimise sa position et ses actions contre le décrochage En outre, cette façon de poser le problème contribue à la construction de sa nature déviante et coûteuse:

Le phénomène de l'abandon scolaire inquiète de plus en plus. En effet une étude du Ministère de l'Éducation (1 991) démontre que le gouvernement du Québec aurait beaucoup à gagner, en revenus fiscaux, s'il investissait dans le "raccrochage" des élèves de niveau secondaire ainsi que dans l'augmentation du nombre de diplômés universitaires.

(Canada, 1992: 1)

D'un côté plus idéologique, l'idée d'instruire le peuple se traduit par une moralisation toujours accrue. L'émergence de l'ère des sociétés disciplinaires rend compte de l'exigence de la moralité publique et de la nécessité d'un "ordre" que renseignement scolaire publique transmet et assure:

"l'école a le rôle de former un "citoyen" susceptible d'assurer le maintien de l'ordre social établi."

(Giolitto, 1983: 10).

L'éducation replace les acteurs sociaux dans leurs rôles et contribue de ce fait à conserver l'ordre social. Un citoyen "éduqué" doit connaître et respecter les lois, il doit s'efforcer de remplir les fonctions inhérentes à son rôle social; l'éducation moule I'enfant dans un cadre comportemental et idéologique plus ou moins bien déterminé. D'ailleurs, le message lancé de l'importance de

-71- l'école s'adresse à toutes les "classes" sociales et les somme toutes a en respecter les philosophies:

Peu importe la place que chacun occupe dans la société québécoise, nous devons tous et toutes amorcer un mouvement de masse pour redonner ses lettres de noblesse à l'Éducation.

(Québec, l992:29)

Le discours institutionnel d'une part gonfle et vante l'importance de Ia fréquentation scolaire mais il tient aussi à en conserver le contrôle. L'effort des appareils étatiques pour conserver la main- mise sur l'éducation est considérable:

...O

a nouvelle orientation du système d'éducation.. .] entraîne des modifications dans l'exercice du rôle de 1'Etat en éducation.

Celui-ci ne va pas s'effacer. Au contraire, il doit assumer ce qui constitue son rôle premier et irremplaçable: fixer les objectifs en vue de la cohésion nationale et de l'égalité des chances, assurer une répartition équitable des ressources, évaluer les résultats.

(Québec, 1993 : 7)

les institutions dominantes s'approprient des champs pratiques, idéologiques et discursifs autour de l'éducation et à la fois y "instituent" une norme politique. En fait, le décrochage scolaire défie la norme politique en ce sens qu'il défie l'institution des modes de gestion ou de régulation sociale imposés par les autorités. Bien que le décrochage scolaire entrant dans ce type de déviance soit un phénomène récent, la norme politique elle, ne l'est pas. Autant le phénomène du décrochage scolaire mène a l'examen individualisant de l'acteur principal (le décrocheur) autant la mobilisation pour initier une action d'aide, de gestion du phénomène et de répression se lient à la construction du problème et à sa cristallisation. Pour faire ressortir ces efforts de "construction politique" de l'objet d'étude,

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est important de souligner les façons dont les structures politiques s'approprient du problème.

-72- Ce mode de gestion disciplinaire collectif apparaît au début du XVIIIe siècle, et aujourd'hui le décrochage scolaire est un phénomène qui s'insère parfaitement dans cette façon d'aborder la déviance:

C'est l'époque où l'on parle de traitement moral, cette techonologie mixte de persuasion et de coercition utilisant en concomitance, et dans un même but, la distribution de l'aide et la répression des comportements. L'obsession de l'autorité, le classement opératoire des déviances, l'isolement a des fins thérapeuthiques sont les pôles majeurs de cette technologie à dimension totalisante. L'autorité personnelle sur les masses s'est muée en contrôle institutionnalisé des individus. La discipline collective, mode de conformité affinnée ^à un tout préexistant, fait place à la norme unitaire, mode d'uniformisation des comportements individuels.

(Fecteau, 1989: 149)

Norme, discipline, régulation et application de mesures pour le maintien de cet ordre caractérisent donc aussi notre système d'éducation. Le système québécois d'éducation et sa "pénologie scolaire" nous apparaît ainsi comme un outil stratégique de contrôle institué au même titre que l'hôpital asilaire par exemple et la prison. La politique ou les éléments politiques d'une société étant plus fortement transmis par la culture et les traditions, on peut comprendre pourquoi le contrôle de I'éducation, est important:

Nous faisons un pas de plus dans la longue marche de mobilisation collective, dans laquelle nous nous sommes engagés avec l'espoir de faire de l'éducation le moteur premier de l'identité québécoise.

(Québec, 1992:2)

Dans le document Université d'ottawa University of Ottawa (Page 71-75)