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B) Le découpage des figures planes dans les mathématiques mésopotamiennes

2) Le découpage des trapèzes

Columelle, du 1er s. de notre ère, n’appartient pas à l’Antiquité tardive. Pour autant, nous le plaçons au début de ce chapitre comme source éventuelle des traités postérieurs que nous présenterons dans la suite.

Originaire de Cadix, il consacre les deux premiers chapitres du livre 5 de son De re

rustica [De l’agriculture] au mesurage mathématique des champs198. En effet, le premier paragraphe intitulé « Comment tu dois mesurer les formes données aux champs199 » est l’occasion d’introduire le travail géométrique qu’il se propose d’exposer pour compléter son ouvrage utile aux agriculteurs.

198 Notre référence sera l’édition de 1533 ; [Varron, 1533], fol. 111r-114v. Signalons néanmoins une autre édition accompagnée d’une traduction française qui ne nous satisfait pas ; [Columelle, 1844-1845], vol.2, p. 6-21. Enfin, dans Opera agricolarum [Les ouvrages des agriculteurs] de 1504, l’éditeur a réorganisé le texte de Columelle ; les paragraphes qui nous intéressent sont regroupés dans le premier chapitre du Livre 6; [Columelle, Varron, et al., 1504], fol. 68r-71r.

199

Columelle fait, lui-même, la distinction entre les tâches qui relèvent soit de l’agriculture soit de la géométrie200 en désignant alors les arpenteurs et non les agriculteurs comme responsables des mesures201. À son avis, il est indispensable202 de présenter les unités de mesure utilisées pour le mesurage des champs. Il expose alors ses connaissances sur les principales unités utilisées dans le sud de l’Espagne et en Gaule203 en partant de l’unité de surface iugerum [jugère]. Enfin, il regrette que le calcul des champs ne soit pas toujours facile à cause de leur forme. Il amène donc naturellement le second paragraphe « à propos des

formes variées des champs et de leurs mesurages204 » dans lequel il étudie les figures géométriques susceptibles d’être rencontrées en agriculture.

Columelle se livre à un exposé très didactique avec un énoncé général suivi d’un traitement numérique. Certaines éditions présentent des figures illustrant ses propos mais nous ne savons pas si ces figures sont présentes dans le travail originel. Nous résumons maintenant, sous la forme du tableau suivant, les résultats de Columelle concernant ces diverses figures.

algorithme205 transcription littérale moderne

<Problème 1> Mesurer l’aire d’un terrain carré de côté donné c = 100.

Deux côtés sont multipliés par eux-mêmes. c×c

<Problème 2> Mesurer l’aire d’un terrain « dont la longueur L = 240 est plus grande que la

largeur l = 120206 »

Tu multiplieras de cette manière la largeur par la longueur.

L l×

<Problème 3> Mesurer l’aire d’un terrain « en forme de coin207 » de côtés donnés a = 10,

b = 100, c = 20 tels que a et c sont les côtés opposés inégaux et b le côté restant.

200 Ibid., fol. 111v, ligne 6-8.

201 Ibid., fol. 111r, ligne 33-35.

202 Ibid., fol. 111v, ligne 30-31.

203

Ibid., fol. 111v, ligne 16-18

204

« De variis agrorum formis et eorum dimensionibus », Ibid., fol. 112r.

205 Le texte que nous présentons est une adaptation de l’algorithme de calcul – hors du contexte numérique et des unités de mesure – à partir d’une traduction personnelle ; Ibid. fol. 112r-114v.

206

« Similiter que fiet de omnibus agris, quorum longitudo maior fit latitudine. » ; Ibid., fol. 112v, ligne 6.

207 « Si autem cuneatus ager fuerit, (…) » ; Ibid., fol. 112v, ligne 7. Dans la tradition babylonienne, la figure « en forme de coin » renvoie au triangle ; [Thureau-Dangin, 1938], p. xvii. Dans le texte de Columelle, cette figure renverrait au trapèze isocèle comme le suggère l’illustration dans l’édition de 1533 ; [Varron, 1533], fol. 113r. De façon plus générale, celle-ci pourrait désigner tout quadrilatère dont deux côtés seraient égaux.

Nous ferons la somme des deux latitudes208 dont [nous prendrons] la moitié. En la multipliant par la longueur, nous produirons [la surface].

b c a × + 2

<Problème 4> Mesurer l’aire d’un terrain à la forme d’un « triangle à trois côtés égaux209 » de côté donné c = 300.

Tu multiplieras le côté par lui-même. Tu prendras le tiers. De la même façon, tu prendras le dixième. Tu assembleras la somme de l’un et l’autre.

( ) ( )

10 1 3 1+ × × × ×c c c c

<Problème 5> Mesurer l’aire d’un terrain à la forme d’un « triangle à côtés inégaux ayant un

angle droit210 » dont les côtés de l’angle droit sont donnés a = 50, b = 100. Tu multiplieras les deux côtés de l’angle droit. Tu donnes

la moitié de ce résultat.

( )

2 1 × ×b a

<Problème 6> Mesurer l’aire d’un terrain à la forme d’un cercle211 de diamètre donné d = 70 Tu multiplieras le diamètre par lui-même. Tu multiplieras

ce résultat onze fois. J’enlève 212 naturellement le quatorzième du résultat.

( )

[ ]

14 1 11 × ×d d

<Problème 7> Mesurer l’aire d’un terrain à la forme d’un demi-cercle213 de diamètre donné

d = 140 et de flèche donnée f = 70.

Il sera nécessaire de multiplier la latitude avec la base. Ceci est multiplié par onze. Le quatorzième de ce résultat est [la surface].

( )

[ ]

14 1 11 × × f d

<Problème 8> Mesurer l’aire d’un terrain à la forme d’un arc [de cercle] plus petit qu’un

demi-cercle214 de corde c = 16 et de flèche f = 4 données.

208

Le terme latin latitudo, inis ici utilisé renvoie aux deux bases (ou bien aux deux côtés non égaux) du trapèze.

209 « At si tribus paribus lateribus triquetrum metiri debueris, (…) » ; [Varron, 1533], fol. 113r, ligne 1.

210 « Sed si triangulus disparibus fuerit lateribus ager, (…), quae habet rectumangulum (…) » ; Ibid., fol. 113r, ligne 1-2.

211 « Si rotundus ager erit, ut circuli speciem habeat (…) » ; Ibid., fol. 113v, ligne 1.

212 « Huius summae quartamdecimam subduco … », ; Ibid., fol. 113v, ligne 5.

213 « Si semicirculus fuerit ager, (…) » ; Ibid., fol. 113v, ligne 9.

214

Je pose la latitude avec la base215. Je le multiplie quatre fois. [Je prends] leur moitié. De la même façon, la moitié de la base est multipliée par elle-même. Je prends le quatorzième. Chacune des sommes [ensemble] font [la surface].

( )

[ ]

14 1 2 2 2 1 4 ×      ×       + × × + f c c c

<Problème 9> Mesurer l’aire d’un terrain à la forme d’un hexagone régulier216 de côté donné

c = 30.

Je multiplie un côté par lui-même. Je détermine le tiers [plus] le dixième du résultat. Ceci est multiplié par six puisqu’il y a six côtés. 6 10 1 3 1 ×   × + ×c c c c , si c est le côté de l’hexagone.

Seuls trois algorithmes de calcul (pour le carré, le rectangle et le triangle rectangle) sont exacts, les autres ne donnent qu’une valeur approchée de la surface à mesurer. Le tableau suivant présente le calcul des erreurs sur les trois figures de base :

L’erreur commise dans les exemples présentés par Columelle dont les dimensions sont probablement caractéristiques des terrains usuels des formes considérées, est moindre voire négligeable. En effet, dans le pire des cas, celui du triangle équilatéral, l’erreur est moins qu’un demi-scrupule217 qui est donnée comme la plus petite unité nécessaire à l’« estimation

des travaux effectués » au-dessous de laquelle « aucune rétribution ne dépend »218.

215 Le terme latin basis, is ici utilisé renvoie à la corde d’un arc de cercle. Dans le cas du demi-cercle, il s’agit simplement du diamètre du cercle initial.

216

« Si fuerit sex angulorum (…) Esto hexagonum quoquoversus lineis pedum xxx. » ; [Varron, 1533], fol. 114r, ligne 10-11.

217 1 jugère = 576 demi-scrupules = 288 scrupules = 28 800 pieds carrés ; Ibid., fol. 111v, ligne 34-37.

218 « Iugeri partes non omnes posuimus, sed eas, quae cadunt in aestimationem facti operis, nam minores

persequi supervacuum fuit, pro quibus nulla merces dependitur. » ; Ibid., fol. 111v, ligne 31-34.

mesure donnée mesure calculée (arrondie à l’unité par défaut) erreur commise (arrondie à l’unité par excès) figure concernée

(en pieds carrés)

figure « en forme de coin » 1 500 1 498 + 2

triangle équilatéral 39 000 38 971 + 29

De plus, le calcul de Columelle majore toujours la valeur réelle. La justification est communément admise en relation avec l’administration fiscale et le paiement de l’impôt sur les terres des propriétaires fermiers219.

Ces calculs montreraient deux éléments particulièrement importants quant à la connaissance pratique et théorique de Columelle. D’abord, la perpendiculaire poserait problème et donc la notion même de hauteur. Il n’utilise jamais la terminologie correspondante. Ensuite, en lien avec la première remarque, Columelle ne semble pas connaître l’utilisation du « théorème de Pythagore » ou tout au moins, il ne l’utilise pas directement220. Par conséquent, les seules figures correctement traitées sont les seules pour lesquelles l’angle droit est présent à l’origine et ne nécessite pas un nouveau tracé effectif et une nouvelle mesure. Précisons néanmoins que la question de la connaissance du « théorème de Pythagore » est délicate. En effet, les procédures pour le triangle équilatéral et l’hexagone régulier font apparaître le coefficient 101

3

1 + qui se retrouve chez Diophane ou dans le corpus pseudo-héronien. Diophane l’attribue à Archimède qui connaissait la relation dite « de Pythagore ».

Par exemple, pour la figure « en forme de coin », Columelle assimile la longueur des côtés égaux à ce qui devrait être la hauteur de quadrilatère. Il arrive alors à une formule approximative qui n’est pas sans rappeler la « formule des arpenteurs » relatives aux trapèzes dans la tradition mathématique babylonienne mais aussi dans l’Egypte Ptolémaïque221.

Ainsi que le fait remarquer J.-Y. Guillaumin222, ces paragraphes du De re rustica de Columelle auraient pu appartenir à un recueil plus important regroupant des textes d’arpentage du monde romain. A notre connaissance, aucune étude ne s’est encore attachée à établir les éventuelles relations entre Columelle et ce corpus plus général.