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Echelle géographique Critères Choix

3) Découpage institutionnel opéré par la politique agricole nationale

Enfin, le troisième avantage que présente le choix du Mozambique pour réaliser notre analyse réside dans l’orientation de sa politique foncière. Le Mozambique a acquis une reconnaissance générale pour avoir ce que certains appellent « la meilleure loi foncière en Afrique » (DfID 2008). Pourtant, l’objectif initial était complexe puisqu’il fallait pouvoir intégrer dans une même loi la domanialité de la terre, la reconnaissance de la légitimité des droits coutumiers et fournir aux

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investisseurs des droits d’usages de long-terme pouvant s’intégrer dans une économie de marché. Cette politique foncière est dans la droite lignée de la politique agricole duale (Leavy et Poulton 2007, p25) du Mozambique basée sur i) une volonté d’intégrer les agriculteurs familiaux au marché via différents mécanismes comme l’agriculture contractuelle et ii) des mesures faisant la promotion des investisseurs à grande échelle dans l’agriculture afin d’améliorer la compétitivité du secteur sur les marchés internationaux (Oya 2012, p9). L’analyse du phénomène dans un tel contexte institutionnel nous permettra d’analyser la possibilité de collaboration entre ces différentes structures de production agricole et la capacité des investissements fonciers à engendrer des restructurations agraires incluant les agriculteurs familiaux.

Dans le cadre de sa politique de développement agricole, définie en 2011 dans le « Plano Estratégico para o Desenvolvimento do Sector Agrário » (PEDSA), le Gouvernement du Mozambique a adopté une stratégie structurée autour de « région de développement », autrement appelé corridor (Ministério da Agricultura de Moçambique 2010). Selon Collier et Venables (2012, p11), un « corridor » peut être défini par « l’intersection d’une fourniture de différents biens publics et donc ayant une continuité territoriale avec une gouvernance, des caractéristiques agronomiques et un niveau d’accès aux biens publics communs ». Au sein de ce corridor, le gouvernement a un ensemble d’instruments de politiques pour augmenter la productivité (fourniture d’infrastructures, définition des termes de contrats d’accès au foncier, niveau de taxes et de subventions, etc). Cette stratégie peut entraîner une dynamique d’incitation car avec ces initiatives la terre prend « de la valeur » au sein du corridor, même si elle est abondante partout ailleurs.

Afin d’attirer des investisseurs étrangers, le Gouvernement du Mozambique a donc décidé de miser sur la fourniture d’accès à des infrastructures et des incitations fiscales. Ainsi, six corridors de développement ont été identifiés dans le pays. Le Gouvernement du Mozambique a également défini, pour chacun des corridors, certaines cultures prioritaires pour lesquelles il souhaitait voir des investisseurs développer des projets. La figure 15 présente ces caractéristiques ainsi que la localisation des corridors de développement.

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Figure 15: Localisation des corridors de développement et chaînes de valeur prioritaires

Source : CEPAGRI, PEDSA

La région centrale du Mozambique est donc constituée de trois corridors de développement. Le principal est le Corridor de Beira qui est localisé dans les provinces de Sofala et Manica et plus particulièrement autour de l’axe de communication qui relie les capitales des deux provinces, respectivement Beira et Chimoio. Parmi les nouvelles cultures prioritaires définies par le Gouvernement du Mozambique on retrouve notamment les productions horticoles. Celles-ci s’ajoutent à la production de canne à sucre, développée historiquement dans cette région. Le deuxième corridor est celui de la Vallée du Zambèze qui est localisé le long du fleuve et enfin le troisième corridor est celui de Nacala. En effet, plusieurs districts de la province de Zambezia (Gurué et Alto Molocué) ont été inclus dans le projet de développement du corridor de Nacala, en raison du projet Pro-Savana (PROSAVANA 2013).

Chacun de ces corridors est soutenu par une institution, fonctionnant selon le principe du partenariat public-privé (pour le corridor de Beira qui traite également des investissements étrangers dans la vallée du Zambèze) ou qui est développée dans le cadre d’un projet de coopération trilatérale (projet PRO Savana pour le corridor de Nacala), en charge de la promotion et de la mise en place des programmes prévus par le plan stratégique de développement agricole. Le Beira Agricultural Growth Corridor (BAGC), institution chargé de la promotion des investissements dans le corridor de Beira est celui qui a été établi en premier en 2010. Les quelques années de fonctionnement de l’institution nous

Corridor Chaînes de valeur prioritaires selon le

Gouvernement du Mozambique Pemba –

Lichinga

Pomme de terre, blé, haricot, maïs, soja, coton, tabac et volaille

Nacala Manioc, maïs, coton, horticulture, volaille et arachide

Vallée du Zambèze

Riz, maïs, pomme de terre, élevage bovin et caprin, volaille et coton

Beira Maïs, blé, horticulture, volaille, soja, riz et élevage bovin

Limpopo Riz, horticulture, élevage bovin et volaille

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permettront d’analyser comment et dans quelle mesure le fonctionnement de cette institution entre en interaction avec les investissements fonciers à grande échelle. Nous avons donc choisi de réaliser notre analyse dans la partie centrale du Mozambique, et au sein de la région centrale du Mozambique, qui représente plus de 333 000 km², nous avons réduit la taille de notre zone d’étude à 3 zones particulières.

II - Trois zones d’étude aux caractéristiques contrastées

Le choix de ces trois zones d’étude a été arrêté après un premier travail de terrain exploratoire de 2 mois réalisé durant la première année de la thèse. Durant cette première phase des entretiens ont été réalisés avec des personnes ressources dans cette partie du pays ainsi qu’avec des investisseurs. Au regard d’informations sur les caractéristiques et dynamiques d’implantation des projets, de la possibilité d’accès à l’information et des caractéristiques logistiques (distances) nous avons identifié trois zones : i) le corridor de Beira ; ii) la vallée du Zambèze ; et iii) le district de Gurué.

Tableau 6: Tableau récapitulatif des cas des entreprises étrangères dans les trois régions d'étudiées Exploitation indépendante (12/37) Exploitation de « transformati on foncière » * Agri-firme et Société de gestion d’actifs (8/37) Nucleus Estate (6/37) Agro-industrie de plantation (11/37) Nombre d’études de cas par région Corridor Beira 11 0 4 3 6 Vallée Zambeze 1 0 2 1 3 Gurué 0 0 2 2 2 Produits Mangues Litchis Bananes Noix macadamia Elevage Jatropha Jatropha Canne à sucre Soja Légumes export Sucre biologique export Soja Canne à sucre Jatropha Eucalyptus, viande bovine

Pays d’origine des investisseurs

Afrique du Sud,

Zimbabwe Afrique du Sud

Angleterre, USA, Afrique du Sud, Pays-Bas, Portugal Angleterre, Singapour, Portugal, Pays-Bas Portugal, Angleterre, France, Afrique du Sud, Brésil * : ce type de projet n’a pas été identifié dans notre zone d’étude mais dans la province d’Inhambane où des entretiens ont également été réalisés

** : Sur un total de 53 projets ayant pu être identifiés dans la zone d’étude, il n’a été possible d’obtenir des informations suffisantes pour caractériser la forme d’agriculture pour 37

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Le tableau 6 présente des caractéristiques majeures des types d’investissements fonciers à grande échelle observés dans nos zones d’étude. On peut noter la prépondérance de trois catégories de productions : i) les fruits et légumes majoritairement destinés à l’export ; ii) les cultures destinées à la production d’agrocarburants (canne à sucre et jatropha) ; iii) le soja destiné prioritairement au marché domestique, notamment à l’alimentation animale.

Les investisseurs proviennent en partie de pays de l’OCDE (Angleterre, USA, Pays-Bas, France) mais également de pays émergents ayant une forte influence en Afrique Australe (Afrique du Sud, Zimbabwe). Ce résultat confirme les analyses réalisées par ailleurs au niveau national (Boche 2012) et international (Anseeuw et al. 2012, Boche et Pouch 2014). Toutefois, on peut déjà noter la forte présence d’investisseurs sud-africains dans la zone.

Cet échantillon total de 37 projets représente la quasi-totalité des projets identifiés dans nos zones d’étude (provinces de Sofala, Manica et Zambezia). De plus, la réalisation d’un premier travail de terrain exploratoire a permis d’identifier certains projets qui n’étaient pas recensés au niveau national (en raison de leur surface) mais qui ont pu être enquêtés.

Corridor de Beira

Au Mozambique les infrastructures de transport et moyens de communication ne sont pas répartis de manière équitable sur l’ensemble du territoire. Ainsi, la présence d’un axe routier principal et d’une voie de chemin de fer constituent des éléments prépondérant pour le développement local et l’attrait des investisseurs (Arezki et al. 2013). Les districts par lesquels passe la route nationale N6, notamment ceux qui sont les plus proches des capitales provinciales, sont spécialement ciblés par les investisseurs. Nous avons donc décidé de réaliser nos entretiens dans cette première zone qui comprend les districts de Beira, Búzi, Dondo, Nhamatanda, Gondola, Manica, Chimoio, Sussundenga).

Un total de 25 projets a été identifié dans cette zone avec différentes caractéristiques. La partie du corridor située dans la province de Sofala accueille principalement des projets dédiés à la production de canne à sucre et de jatropha. Il s’agit de projets de très grande échelle, concernant

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chacun l’acquisition de plus de 5000 hectares. La province de Sofala est, après la province de Maputo, la seconde zone principale de production de canne à sucre du pays. L’une des sucreries nationales est d’ailleurs située dans le district de Nhamatanda, à Mafambisse. L’autre partie, située dans la province de Manica, présente quant à elle une diversité plus importante de projets. Comme dans la zone de Sofala on retrouve des projets de grande échelle destinés à la production de canne à sucre et de jatropha, mais on retrouve également un ensemble de projets de taille bien moins importante (entre 250 et 1000 ha) tournés vers les productions horticoles. Le litchi, l’avocat et la banane sont les cultures développées par ces investisseurs principalement originaires d’Afrique du Sud et du Zimbabwe. La province de Manica fournit respectivement 55%, 20% et 8% de la production nationale de chacune de ces cultures (INE 2010). On retrouve également quelques projets destinés à l’élevage bovin et caprin, dont un projet regroupant plusieurs ranchs pour l’engraissement de bovins. Enfin, un projet de plantation d’eucalyptus sur une surface de 178 000 hectares complète la diversité des projets développés dans cette zone.

A l’opposé, les exploitations agricoles de la zone sont principalement de petites structures familiales présentant des caractéristiques similaires à celles présentées au niveau national (Hanlon et Smart 2013). Les exploitations familiales, qui représentent 99% des exploitations et 96% des surfaces cultivées selon les données officielles (INE 2010), cultivent chacune en moyenne 1.5 ha de cultures destinées majoritairement à l’autoconsommation. Ces exploitations souffrent de problèmes récurrents en raison de l’imperfection des marchés du crédit, des intrants agricoles, de l’absence d’opportunités de commercialisation et d’un manque d’infrastructures (Cunguara et Garrett 2011, Hanlon et Smart 2013). La zone est donc représentative du caractère dual des dynamiques du secteur agricole mozambicain avec d’un côté des exploitations agricoles familiales largement majoritaires en nombre mais paupérisées et de l’autre des projets de développement d’agriculture à grande échelle qui n’apparaissent pas encore dans les données de recensement agricole mais dont l’emprise foncière est croissante.

L’institution de promotion du développement agricole dans le corridor est le Beira Agricultural Growth Corridor (BAGC). Cet organisme a été lancé en 2010 avec l’objectif majeur de promouvoir les investissements dans l’agriculture commerciale et l’agrobusiness dans les provinces de Sofala, Manica et Tete. Selon le principe économique du corridor de développement, l’agence est en charge de financer les coûts d’installation des «infrastructures de support à l’agriculture » (notamment pour

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l’irrigation). L’agence a donc le rôle de lever les « barrières à l’investissement » créées par l’absence d’infrastructures afin de promouvoir les investissements dans l’agriculture. Dans sa phase initiale, le BAGC s’appuie sur certains projets d’investisseurs étrangers afin de développer l’agriculture commerciale (Kaarhus et al. 2010). L’analyse des projets de cette zone d’étude nous permettra de traiter notre hypothèse sur les liens entre les acquisitions foncières à grande échelle et l’environnement institutionnel.

Figure 16: Carte administrative du Mozambique Source : Nations Unies 2004

Vallée du Zambèze

Corridor de Nacala : Gurué

Vallée du Zambèze : Caïa, Chemba et Marromeu

Corridor de Beira :

Sofala: Buzi, Nhamatanda, Dondo

Manica:Sussundenga, Gondola, Barué, Manica

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Au début de ce chapitre nous avons vu que, dans l’histoire agraire du Mozambique la zone de la Vallée du Zambèze a accueilli des investisseurs étrangers à plusieurs reprises. Selon les informations récoltées, cela semble être de nouveau le cas avec plusieurs projets établis dans les districts de Caia, Chemba et Marromeu. Dans ces trois districts six projets ont été établis par des investisseurs étrangers dans les dernières années. Comme dans la zone du corridor de Beira (partie de Sofala) ces projets sont majoritairement liés à la production de canne à sucre. L’histoire agraire de la zone et la proximité de la sucrerie de Marromeu permettent en partie d’expliquer ce choix. Enfin, on retrouve également des projets de production alimentaire dans le district de Caia. Cette zone présente des caractéristiques similaires à la partie du corridor de Beira située dans la province de Sofala. D’un point de vue institutionnel elle est d’ailleurs rattachée au corridor de Beira car le BAGC est l’agence qui gère la promotion des investissements fonciers à grande échelle dans la zone. L’analyse des projets dans ces trois districts nous permet de compléter notre compréhension de la dynamique des investissements fonciers à grande échelle dans la partie centrale du pays.

Gurué, localité de Lioma

Enfin, la troisième zone dans laquelle on observe un regroupement de projets d’investisseurs étrangers est celle du district de Gurué et plus particulièrement la localité de Lioma (Annexe 1). Cette zone est particulièrement intéressante car elle présente une dynamique de production des exploitations familiales différente de la grande majorité du reste du pays. En effet, cette zone est reconnue au niveau national pour sa production de soja qui est présentée comme une culture rentable pour les agriculteurs familiaux. Cette culture, pour laquelle il y a une forte demande nationale, présente des niveaux de production très intéressants dans la zone de Gurué (Hanlon et Smart 2012).

Au début des années 2000, des ONG et des bailleurs de fonds internationaux ont soutenu un projet de réintroduction de cette culture basé sur la distribution de semences, le développement d’organisations d’agriculteurs et l’organisation du marché dans le village de Ruacé (Norfolk et Hanlon 2012). Cette dynamique a menée à l’adoption de la culture du soja par plus de 4000 agriculteurs familiaux dans le district de Gurué, produisant environ le cinquième de la production nationale avec une certaine hétérogénéité concernant les caractéristiques des agriculteurs locaux développant cette production (tableau 7). Une certaine dynamique d’accumulation avait donc été observée parmi les agriculteurs mozambicains (Norfolk et Hanlon 2012). Malgré ce développement important de la

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production de soja, l’accès aux semences, aux intrants et à la commercialisation constitue toujours un problème pour une grande partie des agriculteurs locaux.

Tableau 7: Caractéristique des producteurs de soja de Gurué, estimations de la campagne 2012

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