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Les analyses empiriques récentes sur la question des formes d’organisation de l’agriculture mettent en évidence l’émergence de nouvelles formes d’organisation agricoles en Amérique Latine (Guibert et al. 2011, Albaladejo et al. 2013) et en Europe Centrale et Russie (Cochet et Merlet 2011, Visser et Spoor 2011). En effet, certaines caractéristiques économiques de ces nouvelles exploitations les rapprochent de la structure de la firme. Parmi ces caractéristiques on retrouve le capital, la finalité de l’exploitation et le système de décision et de division du travail (Olivier-Salvagnac et Legagneux 2012).

Le capital

L’exploitation agricole définie comme unité productive est un lieu de coordination de ressources qualifiées d’actifs. Ces actifs constituent le capital de l’exploitation (capital d’exploitation, capital foncier et capital humain). L’une des caractéristiques de la production agricole, par rapport aux

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 80 autres secteurs de l’industrie, est une plus grande fixité des actifs (Aubert et Schmitt 2008). C’est notamment vrai pour le capital humain. La forte saisonnalité qui différencie l’activité agricole des autres secteurs de l’industrie (Allen et Lueck 1998) a pour conséquence une importance fondamentale du capital humain. La réussite de la production dépend de la connaissance par la personne en charge de la production du fonctionnement de l’écosystème qui peut être extrêmement localisé. De plus, l’exploitation agricole en économie agricole a longtemps été considérée grâce au lien existant entre capital foncier et capital d’exploitation. L’exploitation agricole était alors définit par la propriété, par un même acteur, du capital foncier et du capital d’exploitation (Laurent et Rémy 2000). Une séparation progressive dans la propriété de ces capitaux a été observée depuis longtemps, mais il semble que celle-ci se soit accélérée.

L’arrivée de nouveaux acteurs dans la production agricole, non issus du secteur, entraîne un changement dans la gestion de ces actifs. En effet, certaines nouvelles formes d’exploitations semblent être marquées par un changement d’origine, de nature et d’usage du capital de l’exploitation (Olivier-Salvagnac et Legagneux 2012). Parmi la diversité d’acteurs impliqués dans les acquisitions foncières à grande échelle, on retrouve plusieurs acteurs issus du secteur financier, notamment des investisseurs et sociétés de gestion d’actif (Buxton et al. 2012). Daniel (2012) a été le premier à expliciter cette diversité et à insister sur l’implication de différents acteurs issus du secteur de la finance. Ducastel et Anseeuw (2013) ont, quant à eux, insisté sur la façon dont les sociétés de gestion d’actif transforment les exploitations agricoles en actifs financiers. Ils mettent en évidence en Afrique du Sud, comment les acteurs issus de la finance tentent de changer l’organisation des exploitations agricoles en recherchant une plus grande flexibilité et liquidité des actifs (diminution des immobilisations). L’exploitation tend ainsi à ressembler à un ensemble d’actifs et de contrats interchangeables et facilement dissociables.

Finalité de l’exploitation

L’exploitation agricole, dans sa conception habituelle, est conçue comme une unité de décision dont l’objectif est de maximiser ses résultats en fonction des moyens dont elle dispose. Depuis une décennie, différents travaux des économistes ruraux ont mis en évidence le caractère multifonctionnel de l’agriculture (Laurent et al. 2003). Ce courant d’analyse met en avant le rôle des exploitations agricoles dans la gestion des espaces naturels et comme composante d’un système social. La prise en compte de ces autres activités de l’exploitation agricole nécessite une évaluation différente des performances des systèmes de production.

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 81 Il semble que le phénomène des acquisitions foncières à grande échelle fait apparaitre de nouveaux objectifs assignés aux exploitations agricoles. Au-delà de l’objectif de production, l’obtention de financement en raison de services environnementaux est mise en avant comme l’un des déterminants des acquisitions foncières (Leach et al. 2012) ainsi que le discours « environnementaliste » permettant de justifier les acquisitions foncières (Nalepa et Bauer 2012, Tienhaara 2012). Sous le terme « green grab », Fairhead et al. (2012) regroupe les différents objectifs environnementaux justifiant l’acquisitions de terres. Parmi les autres finalités des exploitations agricoles, on retrouve l’objectif financier. En effet, certaines exploitations visent, avant tout un objectif de production, et une rentabilité financière de court terme (Ducastel et Anseeuw 2013).

Système de décision et division du travail

Dans la littérature en économie agricole, l’exploitation agricole est parfois considérée comme une « organisation complexe » et les modèles s’interrogent sur la nature des choix organisationnels des agriculteurs et sur leur efficacité (Knoeber 1997, Allen et Lueck 1998). Ici, l’exploitation agricole est vue comme une organisation dont l’objet est de coordonner un ensemble d’activités et les choix organisationnels sont considérés comme le domaine réservé de décision des agriculteurs. Or, cette question du centre de prise de décision au sein des exploitations agricoles semble évoluer.

Le système de décision et l’organisation interne de l’entreprise constituent des éléments caractéristiques des nouvelles formes d’agriculture (Hervieu et Purseigle 2009). Comme le présentent justement Olivier-Salvagnac et Legagneux (2012, p84) « lorsque l’on analyse, les nouvelles formes d’exploitation agricole, la première difficulté consiste à identifier le centre de décision ». Ce constat découle en partie du fait que les acquisitions foncières à grande échelle regroupent généralement plusieurs entreprises partenaires (Anseeuw et al. 2012) sur un même projet. Ces différents acteurs peuvent avoir des statuts différents : propriétaire, gérant, financeur, gestionnaire, etc. Les différentes activités de l’exploitation agricole vont ainsi être divisées entre ces acteurs selon des modalités qui peuvent varier d’une exploitation à une autre. Afin de caractériser les formes d’agriculture développées dans le cadre des acquisitions foncières à grande échelle, il est donc primordial de se pencher sur les concepts qui permettent la prise en compte de ces aspects dans notre cadre conceptuel.

Les caractéristiques organisationnelles des exploitations agricoles évoluent donc à l’aune des acquisitions foncières à grande échelle et de l’implication de nouveaux acteurs dans le secteur agricole. L'analyse de l’évolution de ces caractéristiques tend à montrer une évolution dans la source,

Mathieu Boche –Thèse Université Paris Sud, UMR Art ’Dev – CIRAD – 2014 82 l’origine et la répartition des différents types de capital ainsi que dans les objectifs poursuivis par ces exploitations et leur organisation interne. L’évolution de ces caractéristiques tend à apporter plus de flexibilité et de complexité dans l’organisation des formes d’agriculture et à les rapprocher du fonctionnement des firmes d’autres secteurs industriels.

Comme nous l’avons présenté un peu plus tôt dans le texte, l’étude de l’évolution de la recherche sur l’objet « exploitation agricole » montre que les avancées obtenues dans les années 1960 ont été permises par un abandon d’une vision micro-économique unique et l’intégration de cadres d’analyses issues d’autres inspirations. Ce changement de posture a permis d’établir les bases de la distinction entre agriculture familiale et agriculture à grande échelle. Face aux évolutions actuelles de l’organisation des exploitations agricoles, nous proposons de revenir à une démarche similaire et d’intégrer des cadres d’analyses différents, mais partageant certaines proximité conceptuelles, pour analyser les évolutions en cours. C’est dans cette vision de l’exploitation agricole comme une « organisation de plus en plus complexe » que nous allons chercher des innovations théoriques nous permettant d’améliorer notre vision d’ensemble des acquisitions foncières à grande échelle et de leurs implications sur les restructurations agraires.

II - Sortir des paradigmes manichéens entourant les

acquisitions foncières : élaboration d’un modèle

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