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Décentralisation, parcs et conservation

Le gouvernement local est une figure organisationnelle absente du répertoire de la conservation, en dépit de sa gamme plus large d’outils de décentralisation. En se fondant sur leur forme et leur rationalité sous-jacente, nous distinguons deux catégories d’outils de conservation : (i) la gestion communautaire de la faune et les projets intégrés de conservation et de développement (PICD), dont le principal objectif est de maintenir les habitants hors des parcs par le biais d’incitations économiques  ; et (ii) la gestion subsidiaire, sous forme d’entités de gestion déléguée (Guatemala), consultative (Australia, Haïti) ou conjointe (Australie) des parcs (Figure 3.3). Dans ce dernier cas, les

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L’Australie (Bauman et Smyth 2007 ; Borrini-Feyerabend et al. 2004) possède une longue expérience dans le domaine des conseils consultatifs, qui remonte à la reconnaissance croissante à partir du milieu des années 1970 des droits et des intérêts des Aborigènes vis-à-vis des parcs nationaux. À la différence du cas haïtien et d’autres régimes consultatifs « simples », les conseils de parcs reconnaissent le droit des Aborigènes à utiliser les ressources traditionnelles se trouvant dans les parcs et s’appuient parfois sur des accords formels d’utilisation des terres par les autochtones (ILUA en anglais). Ces conseils s‘inscrivent dans les changements plus large du système de réserves australien suscités par la détermination progressive des droits fonciers autochtones. Cependant, ces régimes consultatifs ne donnent pas à la population locale des pouvoirs de décision et ne représentent pas une véritable cogestion.

Le Programme CAMPFIRE au Zimbabwe a débuté en 1989 avec l’attribution de l’autorité sur la faune à deux districts locaux ; le classement officiel a eu lieu un an plus tard après négociation d’un accord entre le parc et l‘administration locale (Metcalf 1994). L’abondante littérature sur le programme CAMPFIRE reconnait le rôle pionnier et les réussites de ce processus de gestion des ressources naturelles, ainsi que ses effets distincts sur les quelque 37 districts ruraux soutenant ce mouvement. Par contre, les question d’équité entre territoires communautaires de chasse inégalement dotés en ressources ont été une source de préoccupation (Matose 1997 ; Mandondo 2000 ; Prabhu et al. 2001).

Borrini-Feyerabend et al. (2004) présentent des cas de cogestion en Australie et dans les parcs nationaux du Kayan Mentarang en Indonésie et de Gwaii Haanas au Canada. Le système de gestion conjointe en Australie est, de loin, le plus intéressant (Bauman et Smyth 2007). À la suite des premiers accords de gestion conjointe, établis dans le Territoire du Nord en 1981, des accords officiels ont été signés pour 27 parcs nationaux de ce Territoire en lien avec la reconnaissance du titre natif aborigène (1993) et la négociation d’accords d’utilisation des terres par les autochtones. Parmi les quatre modèles de gestion conjointe observés en Australie, trois se fondent sur la propriété aborigène des terres. Dans le « modèle Uluru » qui sert de base à la plupart des systèmes de gestion conjointe, les Aborigènes constituent la majorité du conseil de gestion et louent la terre au gouvernement contre une redevance annuelle. Grâce à la gestion conjointe, la population locale a trouvé un canal pour ses revendications historique sur le sol et a pu profiter de partenariats, de financements, de compétences et d’avantages économiques. Cependant, en dépit de ces « éléments de convenance et d’avantages mutuels », Bauman et Smyth notent que le soutien des aborigènes au maintien des parcs, par le biais de bails ou d’autres mécanismes légaux, est une condition de la restitution de leur propriété sur ces espaces. Les auteurs décrivent cette situation comme un « partenariat de convenance ou un partenariat fondé sur la contrainte », générateur de « tensions provenant d‘une contestation de l’autorité et de partenariats transculturels non librement conclus ».

Les PICD apparurent dans les années 1980 avec la promesse formidable de réconcilier la conservation avec la participation et le développement des plus pauvres (Wells et al. 1999 ; Enters et Anderson 2000 ; Brooks et al. 2006). En 2001, les PICD étaient devenus le principal moyen de financement des projets de conservation dans le monde et il y en avait alors près de 300. Hughes et Flintan (2001) ont repéré quelques traits communs aux PICD : ils sont principalement liés aux parcs nationaux ; la conservation de la biodiversité est leur principal objectif ; ils tentent de répondre aux besoins des populations dans le but d’améliorer leur relation avec les parcs et de protèger la biodiversité ; ils sont, pour la plupart, initiés de l’exterieur et financés ou lancés par des donateurs ou des organismes de conservation ; ils ne cherchent pas forcément à déléguer le contrôle ou la propriété des ressources des parcs aux communautés ou à résoudre ce problème à la périphérie des parcs

Haïti (Smucker et White 1998) ; les conseils consultatifs locaux créés par le projet de protection des parcs et des forêts (1997) sont des entités de cogestion travaillant sous l’autorité des directeurs de parcs. Leurs membres provenaient initialement des organisations paysannes et d’élus issus des gouvernements locaux, mais ils ont fini par être dominés par des députés nommés pour y siéger, des fonctionnaires et des délégués régionaux de la présidence. Guatemala (Whyckoff-Baird et al. 2000) : La réserve de biosphère de la Sierra de las Minas est un exemple de délégation par le gouvernement guatémaltèque de la gestion d‘une réserve à une ONG nationale. Cette ONG, Defensores de la Naturaleza ou « Défenseurs de la nature », administre la réserve en collaboration avec divers acteurs divers, y compris les communautés locales.

Cameroun (Nelson et Gami 2003 ; Oyono et al. 2007). La loi de 1994 fait brièvement allusion aux zones d’intérêt cynégétique à gestion communautaire (ZICGC) dont la création a été négociée entre les ONG de conservation, les agents de l‘administration forestière et les communautés locales. Des comités de gestion de la faune (COVAREF) ont été mis en place dans les ZICGC pour bénéficier de taxes imposées aux chasseurs professionnels ou « guides de chasse » et redistribuées sur une base semblable à la redevance forestière (50 % pour l’Etat, 40 % pour les municipalités et 10 % pour les communautés). Les COVAREF ont amélioré la vie des communautés autour des parcs tout en préservant les ressources fauniques. L’absence de bénéfices pour les populations autochtones baka et les question d’équité entre ZICGC ont été des sujets de préoccupation.

Projets de Conservation et de développement

Régimes de subsidiarité

Cogestion et Gestion conjointe

Gestion communautaire

de la faune

Figure 3.3 Les programmes de décentralisation dans le domaine de la gestion des parcs

avantages économiques et politiques augmentent pour les populations lorsqu’on passe de la délégation à la gestion conjointe. Bauman et Smyth (2007) en font état dans leur étude de cas de gestion consultative et conjointe en Australie. Nous distinguons ces

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programmes de décentralisation limitée, où l’Etat délègue des pouvoirs aux instances locales ou crée un espace pour leur participation à la gestion des aires protégées, des projets de faune ou de conservation-développement initiés et/ou pilotés par les ONG de conservation. Dans tous les cas, toutefois, les questions de droits fonciers et de prise de décision démocratique apparaissent comme les enjeux-clés de la gouvernance, la capture par les élites étant un thème moins important.

Comme l’atteste la littérature et comme l’illustrent les cas du programme CAMPFIRE et des COVAREF (Figure 3.3), la gestion communautaire de la faune génère des avantages importants pour les communautés. Cette approche reste cependant dans les limites du paradigme de la barrière sociale (social fencing) – dans lequel les gens reçoivent des incitations économiques pour constituer une couronne protectrice autour des parcs. Les projets de gestion communautaire des ressources naturelles ou de la faune à la périphérie des parcs sont des composantes importantes des projets intégrés de conservation et de développement (PICD) de deuxième génération (Hughes et Flintan 2001). Une partie de la littérature présente les PICD comme une forme de dévolution (Enters et Anderson 2000 ; Brooks et al. 2006), mais il est difficile de voir une quelconque dévolution de pouvoirs aux gouvernements locaux ou aux communautés locales dans ce type de projets ; l’absence de dévolution ou de propriété communautaire sur les ressources des parcs est, au contraire, une caractéristique commune des PICD (Hugues et Flintan 2001). Après une série de rapports soulignant leurs résultats « décevants » et « décourageants » (Wells et al. 1999 ; Enters et Anderson 2000 ; Newmark et Hough 2000), les PICD, qui furent un temps le fleuron des projets de conservation, sont devenus la cible d’un rejet conservationniste radical. Dans une série d’ouvrages et d’articles publiés à la fin des années 1990 et porteurs d’appels pathétiques au nom de la nature, (Kramer et al. 1997 ; Brandon et al. 1998 ; Terbogh 1999 ; Oates 1999), d’éminents biologistes de la conservation critiquent l’incapacité des PICD à protéger la biodiversité de façon adéquate et préconisent de revenir sur les tendances participatives limitées des années 1990. Au centre de leurs arguments figure un double rejet du développement et de la durabilité vue comme un mythe que « les Nations Unies et les bailleurs de fonds continuent de propager » (Soulé et Terbogh 1999). Ces auteurs proposent d’étendre les zones sous «  protection  stricte» afin de constituer des écosystèmes interconnectés et exempts de développement sur des régions entières et sur tous les continents (Soulé et Terbogh ibid). Pour certains, ceci devrait se faire par des mesures imposées par le haut, soutenues par l’Etat et les forces armées et comprenant des « forces de maintien de la nature » financées par la communauté internationale (Terbogh 1999  ; van Schaik et Kramer

1997 ; Rabinow 1999).1

Ce retour radical à la conservation forteresse oublie d’examiner ce que nous considérons comme le défaut fondamental des PICD : leur base commune dans la séparation spatiale et sociale de la conservation et du développement plutôt que leur « intégration » véritable par le biais des instances locales. La plupart des PICD sont fondés sur un marché de dupe dans lequel on demande à la population d’abandonner ses terres en échange du développement. Que ce soit à travers le déplacement forcé des populations (Diaw et 1 Voir aussi les analyses de Brechin et al. (2002), Wilshusen et al. (2002) et Diaw 2005b.

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Tiani, sous presse) ou des approches de barrière sociale dans les zones tampons, la principale stratégie des PICD a été d’empêcher la population d’accéder à ses ressources traditionnelles dans les parcs et de les utiliser, ce qui a été une cause structurelle de conflits et d’échecs pour la conservation comme pour le développement.

Par conséquent, ce qui ressort des PICD mais aussi des programmes communautaires visant avant tout à écarter les ayant-droits autochtones des parcs nationaux est leur caractère incomplet. La pleine mesure des droits des populations locales, y compris de leur droit démocratique à décider du meilleur usage de leurs terres, a rarement été reconnue. L’histoire récente montre que cette situation ne peut guère durer. Les critiques biocentriques pures et dures des PICD que nous avons citées ainsi que les nouvelles postures défensives justifiant le déplacement des populations des aires protégées (Maisels et al. 2007) doivent être revue de plus près, si l’on veut que les idéaux de conservation survivent et prospèrent dans le monde de plus en plus démocratique et peuplé

du XXIe s.