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Contexte : gestion participative des forêts (GPF) et décentralisation

La Tanzanie fait partie des pays de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique australe qui ont le plus fort taux de transfert des responsabilités de gestion au niveau local (Wily et Dewees 2001). Dans les zones rurales, les communautés sont divisées en villages qui sont gérés par des conseils de villages. Ces conseils sont des instances collectives qui, à leur tour, doivent répondre de leurs actions devant les assemblées de villages qui sont constituées de toutes les personnes adultes vivant au village. Ce système de gouvernance locale remonte au milieu des années 1970 à l’époque du programme socialiste « Ujamaa » lancé par le Président fondateur Julius Nyerere qui conféra un statut juridique aux villages pour pouvoir organiser les communautés rurales en unités de production agricole collectives (Wily et Dewees 2001). Si les villages ujamaa étaient essentiellement pour Nyerere un moyen de faire rentrer dans le moule et le modèle de développement socialiste les communautés rurales dispersées, décentralisées et appauvries du pays, ils portaient aussi en eux les germes du futur processus de responsabilisation rurale en raison de la structure administrative locale mise en place dans les villages (Nelson et Makko 2005). La loi sur les gouvernements locaux de 1982 (Local Government Act of 1982) a officialisé les pouvoirs de ces gouvernements de village en leur permettant notamment d’établir leurs propres règlements qui ne doivent en aucune façon violer les autres lois du pays mais ont un caractère juridique contraignant et sont exécutoires devant les tribunaux. Entérinés par les gouvernements locaux, les règlements intérieurs du village sont un puissant outil de création de règles et de procédures relatives à la gestion des terres statutaires et des ressources naturelles au niveau local. Les communautés s’en servent pour édicter une réglementation le plus souvent liée à l’utilisation des ressources naturelles (arbres, chasse, pâturage), renforcée par des sanctions et des amendes infligées à ceux qui ne respectent pas ces règlements.

Conformément à la loi de 1999 sur les terres villageoises (1999 Village Land Act), les gouvernements locaux sont autorisés à exercer un pouvoir de décision sur les terres situées en « zone villageoise », à savoir une zone englobant toutes les terres revendiquées et utilisées par la population villageoise et représentant parfois des dizaines de milliers d’hectares. Les forêts comprises dans la « zone villageoise » relèvent automatiquement de la juridiction du gouvernement du village. La loi sur les forêts de 2002 (Forest Act 2002) s’appuie en grande partie sur ces dispositions juridiques essentielles et reconnaît pour la première fois aux communautés la capacité juridique de posséder, gérer ou co-gérer des forêts dans des contextes très variés. La loi distingue deux types de gestion participative :

• La gestion communautaire des forêts ou CBFM (community based forest management). Ce type de gestion permet aux communautés locales de déclarer – et de faire publier ensuite dans le journal officiel – les limites des réserves forestières villageoises, communautaires ou privées, situées sur les terres du village. Dans le cadre de cet accord, les communautés sont à la fois les propriétaires et les gestionnaires de la ressource forestière.

• La gestion de type mixte ou JFM (joint forest management). Ce type de gestion autorise les communautés à conclure des accords avec le gouvernement et d’autres

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propriétaires de forêts aux fins de partager les coûts et bénéfices de l’exploitation des forêts en signant des accords de gestion mixte (joint management agreements). Dans le cadre de cet accord, les communautés sont co-gestionnaires de forêts dont le propriétaire est le district ou le gouvernement central.

Cette distinction est extrêmement importante et n’est pas toujours bien comprise. Dans le premier mode de gestion, ce sont les terres villageoises ou privées qui sont concernées ; les arbres sont la propriété du Conseil du village qui les gère (par le biais d’un comité villageois des ressources naturelles), d’un groupe ou d’un particulier. Le deuxième mode de gestion qui est la gestion mixte ou JFM, concerne « les terres réservées » – c’est-à-dire des terres possédées ou gérées par le gouvernement central ou un gouvernement local (souvent la Division de la foresterie et de l’apiculture ou les Conseils de district). Dans ce régime, les villageois concluent très souvent des accords pour gérer la ressource forestière avec les institutions du gouvernement (le « propriétaire »), accords qui incluent un énoncé détaillé de la répartition des bénéfices et du partage des responsabilités. Les différences principales entre ces deux modes de gestion participative sont résumées au Tableau 6.1.

Le Tableau 6.1 résume les différences entre les deux approches de gestion participative adoptées en Tanzanie en comparant les droits et responsabilités conférés dans chaque contexte. Dans un contexte de gestion par les communautés (CBFM), la loi confère à ces dernières l’entière responsabilité de la gestion des forêts et tous les droits correspondant à la répartition des bénéfices retirés de cette gestion. Dans un contexte de gestion mixte (JFM), le droit de gérer est transféré aux instances de la communauté (généralement le groupe chargé de la gestion de la zone forestière concernée) mais la répartition des bénéfices reste zone grise de non droit en l’absence d’un mécanisme et d’un barème légalement établis. Il en découle qu’un certain nombre de chercheurs ont critiqué le mode JFM au motif qu’il était intrinsèquement inéquitable et constituait, pour l’Etat, un moyen facile de se dégager de ses responsabilités sans pour autant céder de droits ou de bénéfices de façon claire. (Blomley et Ramadhani 2006 ; Lund et Nielsen 2006 ; Meshack et Raben 2007  ; Meshack et al. 2006). Ayant fait l’objet d’études approfondies par ailleurs, ce vaste débat ne sera pas abordé dans ce chapitre que nous consacrerons plutôt au mode de gestion participative qui, en théorie du moins, assure le meilleur transfert des pouvoirs, droits et responsabilités – c.-à-d., celui de la gestion communautaire des forêts (CBFM).

Dans le Tableau 6.1, on relève que les villages dans lesquels est appliqué un régime (CBFM) sont aussi bien les détenteurs que les administrateurs de la ressource et qu’ils ont l’obligation d’assumer l’entière responsabilité de la gestion de la forêt mais, qu’en retour, ils ont le droit de conserver tous les revenus qu’ils tirent de cette fonction. Les forêts situées sur les terres du village sont reconnues de droit comme forêts privées et aucun partage des bénéfices n’est exigé. Le Conseil de village peut conclure des contrats avec des entreprises forestières, ou opter pour l’exploitation et la vente directes des produits issus de la forêt. Conformément à la loi sur les forêts de 2002 (Forest Act,URT 2002), le mode de gestion CBFM permet aux gouvernements de village de « déclarer » que les terres du village sont des réserves forestières du village ou de la communauté à condition

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d’observer certaines procédures préalables, telles que l’élection d’un comité villageois de gestion des ressources naturelles, la publication d’un plan de gestion simple et l’adoption de règlements intérieurs. Dès que le Conseil de district a enregistré leur déclaration, les villageois peuvent commencer à exploiter activement leurs forêts. La législation prévoit des incitations locales spécifiques pour ce type de gestion en vue d’en favoriser l’adoption et la diffusion au niveau local dans les meilleurs délais. Au nombre de ces incitations figurent notamment :

• La dérogation accordée en matière de royalties imposées par l’Etat sur les produits forestiers. Cela signifie qu’en principe les villages n’ont pas à appliquer les taux imposés par l’Etat sur le bois d’œuvre mais peuvent en fixer librement le prix ; • L’exonération des accords relatifs au partage des bénéfices. En tant que gestionnaires

dûment reconnus de la ressource forestière, les conseils de village peuvent conserver la totalité des bénéfices résultant de la vente de leurs produits forestiers ;

Tableau 6.1 Différences entre la gestion mixte et la gestion communautaire

Paramètre Gestion communautaire (CBFM) Gestion mixte (JFM)

Qui est « propriétaire » de

la forêt ? Le gouvernement du village ou une communauté Le gouvernement central ou local Qui est le premier

responsable de la protection et de la gestion de la forêt ?

Le gouvernement du village ou

une communauté Le gouvernement du village

Comment le transfert des droits est-il reconnu et entériné par la loi ?

L’Assemblée du village déclare réserve une zone forestière, et le conseil de district l’enregistre

Par le biais de la signature d’un accord de gestion mixte entre le conseil de village et une plus haute instance administrative

Qui a des droits sur les produits de la forêt et comment sont-ils partagés ?

Le gouvernement du village ou

une communauté Zone grise juridique (la loi reconnaît le partage des biens et services mais aucun mécanisme légal n’existe pour déterminer les parts relatives). Comment la loi perçoit

la communauté et les bénéfices pouvant être retirés ? - acteur, partenaire - administrateur de la forêt - décideur - législateur - citoyen

(Accent mis sur le partage des pouvoirs) - bénéficiaire - utilisateur de la forêt - personne consultée - personne respectueuse de la loi - sujet

(Accent mis sur le partage des bénéfices PFNL et, parfois, recettes)

Quelle est l’intention générale de l’approche de gestion ?

Décentraliser les droits et responsabilités en matière de gestion des forêts

Faire baisser les coûts de gestion des forêts pour le gouvernement en pratiquant un partage des bénéfices

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• L’imposition d’amendes sur le bois d’œuvre et le matériel d’exploitation confisqués, et le produit de ce prélèvement. Les recettes correspondant aux amendes perçues dans les réserves forestières du village ou de la communauté situées en zone villageoise sont conservées par le village. De même, tout produit ou équipement forestier utilisé à des fins d’exploitation illicite dans une réserve forestière sur des terres appartenant au village peut être confisqué et vendu par « l’administrateur de la réserve forestière ».