• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE I INTRODUCTION

1.5 Cytotoxicité de l’IAPP

La présence de dépôts fibrillaires dans les îlots pancréatiques de patients souffrant de diabète de type II a initialement conduit au postulat que les fibres amyloïdes participent directement à la dégénérescence des cellules-β pancréatiques. Cette hypothèse a ensuite été renforcée par les travaux de recherche du groupe de Lorenzo montrant la toxicité des fibres d’IAPP sur des cellules isolées d’îlots pancréatiques (Lorenzo et al., 1994). Toutefois, au cours des dernières années, la majorité des études ont plutôt suggéré que les intermédiaires oligomériques d’IAPP constituent les espèces protéiques quaternaires les plus toxiques de la cascade amyloïdogénique (Figure 1.11). Par exemple, Bram et ses collègues ont rapporté que des anticorps isolés de patients diabétiques reconnaissent spécifiquement les oligomères d’IAPP. Ces anticorps neutralisent les effets pro-apoptotiques des oligomères toxiques sur des cellules pancréatiques (Bram et al., 2014). Récemment, l’hypothèse de la toxicité des espèces oligomériques a été confirmée par l’étude d’Abedini et al. Dans cette étude, les assemblages prélevés durant la phase de latence étaient hautement cytotoxiques pour

les cellules-β pancréatiques. Ces assemblages intermédiaires étaient constitués de structures allant des monomères aux hexamères. En revanche, les échantillons prélevés plus tard dans l’assemblage, dans les phases d'élongation tardives et de saturation, affichaient une cytotoxicité limitée (Figure 1.11) (Abedini et al., 2016; Young et al., 2014).

Figure 1.11 Toxicité de l’IAPP en fonction du temps d’auto-assemblage. A. Viabilité cellulaire des cellules β-pancréatiques après traitement avec l’IAPP humain (courbe rouge) et de rat (courbe verte) préincubé de 0 h (monomère) à 60 h (fibrillaire). B. Cinétique d’auto-assemblage de l’IAPP humain (courbe rouge) ou de rat (courbe verte) mesurée par la fluorescence de la ThT. Figure adaptée de (Abedini et al., 2016).

Il est maintenant acquis que la toxicité de l’IAPP est induite par la formation des espèces intermédiaires oligomériques. Il a été observé que la toxicité associée à l’agrégation de l’IAPP est souvent initiée par la perturbation de la membre plasmique (Janson et al., 1999 ; Zhang et al., 2017). La capacité de l'IAPP à perméabiliser les membranes dépend de la composition lipidique, du pH et de la force ionique. En effet, l’IAPP interagit fortement avec les membranes modèles qui contiennent souvent une fraction élevée de phospholipides anioniques et cette interaction membranaire est similaire en présence des vésicules membranaires des cellules-β isolées (Seeliger et al., 2012). Cependant, les membranes synthétiques modèles utilisées dans les études biophysiques ne représentent pas réellement la rupture membranaire in vivo. En effet,

la membrane plasmique des cellules-β pancréatiques se compose de cholestérol, d’un faible pourcentage de lipides anioniques comparé aux membranes modèles (entre 2 % et 13 %) et elle est plutôt asymétrique (Abedini et al., 2016; Trikha et Jeremic, 2011). Ainsi, l'IAPP extracellulaire fera face à une membrane avec un très faible pourcentage de lipides anioniques. De plus, le cholestérol est important pour l'absorption de l'IAPP in vivo (Trikha et Jeremic, 2011). En effet, certaines études biophysiques avec des membranes composées de cholestérol et des concentrations élevées de lipides anioniques (POPS) ont montré qu’avec une augmentation de la composition des POPS, le taux de fibrillogenèse augmente significativement (Zhang et al., 2017).

De nos jours, il existe trois modèles de rupture membranaire dans lesquels les attractions électrostatiques entre le peptide cationique et les lipides anioniques permettent à la membrane de catalyser l’agrégation de l’IAPP (Knight et Miranker, 2004) (Figure 1.12). Le premier modèle propose que l’IAPP monomérique, et/ou les petits oligomères transitoires interagissent avec la membrane et s’insèrent dans la bicouche lipidique. Ensuite, l'intégrité de la membrane est perturbée par la croissance fibrillaire sur la membrane, entraînant un amincissement de cette dernière ainsi que sa fragmentation (Figure 1.12A) (Brender et al., 2007; Owen et al., 2019). Le deuxième modèle expliquant la perturbation membranaire consiste en la formation d’oligomères ayant une hydrophobicité élevée et perméables à la membrane, provoquant des destructions membranaires par l’extraction des lipides. Ce mécanisme est décrit comme un effet « détergent » puisque des vésicules lipidiques comprenant des agrégats protéiques sont formées (Figure 1.12B) (Domanov et Kinnunen, 2008; Iadanza et al., 2018). Finalement, le troisième modèle de perturbation membranaire propose que les espèces intermédiaires oligomériques forment des pores à l’intérieur de la membrane, induisant la mort cellulaire (Figure 1.12C) (Birol et al., 2018 ; Mirzabekov et al., 1996; Raleigh et al., 2017). Parallèlement à ce modèle, plusieurs études ont montré que des oligomères pré-formés, riches en feuillet-β et qui s’insèrent dans la membrane, forment des pores (Kayed et al., 2009; Kayed et al., 2004 ). Une autre étude a démontré que

l’IAPP, sous sa forme monomérique désordonnée, subit un réarrangement conformationnel, suite à sa liaison avec les lipides, en oligomère riche en hélice-α, menant à une destruction membranaire via la formation de canaux (Knight et al., 2006). De plus, plusieurs évidences ont montré que la formation des pores et/ou la perturbation membranaire induite par l’oligomérisation de l’IAPP peut mener à une perte du contenu cellulaire et de l’osmolarité (Birol et al., 2018; Last et Miranker, 2013). Des expériences sur des cellules traitées avec des préparations oligomériques d’IAPP ont permis d’identifier la formation des canaux membranaires potentiels comme site d'action. Ces formes oligomériques de l’IAPP humain sembleraient agir via le canal d’ion mécano-sensible, TRPV4, dans les membranes des cellules β afin d'augmenter l'influx calcique (Casas et al., 2008) et de déréguler la voie de dégradation du protéasome intracellulaire (Casas et al., 2007). L'internalisation des oligomères d’IAPP a été également observée dans les cellules-β INS-1E, suggérant que l'interaction externe du peptide avec la membrane pourrait conduire à l'internalisation du peptide, induisant de nombreux mécanismes en aval menant à la mort cellulaire (Abedini et Schmidt, 2013; Asthana et al., 2018 ; Trikha et Jeremic, 2011).

Figure 1.12 Mécanismes associés à la perturbation membranaire induite l’auto- assemblage de l’IAPP.

Les monomères interagissent avec la membrane lipidique. La formation d'oligomères conduit à la perturbation membranaire soit par A. la croissance des fibres, B.

l'extraction des lipides de la membrane de manière détergente, ou C. en formant des pores à l'intérieur des bicouches lipidiques. Figure adaptée de (Owen et al., 2019).

La formation des fibres amyloïdes d’IAPP est associée à l'apoptose et un dysfonctionnement des cellules-β pancréatiques. Les voies apoptotiques extrinsèques peuvent être initiées via la liaison du ligand au récepteur FAS de la membrane cellulaire. Ceci initie à son tour l'activation de la caspase 8 et ensuite le clivage de la caspase 3 dans la cascade apoptotique. Il a été démontré que le traitement exogène de l’IAPP active cette voie pro-apoptotique. Également, la suppression du récepteur FAS, ou l'inhibition de la caspase 3 réduisent la cytotoxicité induite par l’IAPP (Law et al., 2010; Park et al., 2012; Zhang et al., 2008). Des évidences ont montré que l’IAPP peut induire des réponses inflammatoires menant à la production de cytokines pro- inflammatoires, y compris l'interleukine 1α et l'interleukine 1β (Masters et al., 2010 ; Westwell-Roper et al., 2011). Par ailleurs, il a été observé que la voie pro-apoptotique impliquant des cJUN N-terminale kinases (JNK) est activée dans les îlots et dans les cellules-β suite aux traitements avec des concentrations élevées en IAPP. Il a également été démontré que cette voie (JNK) est activée en réponse aux amyloïdes générées à partir de l’IAPP endogène (Subramanian et al., 2012).

Le stress du réticulum endoplasmique (RE) semble aussi jouer un rôle important dans la mort des cellules-β induite par l’IAPP (Eizirik et al., 2008; Fonseca et al., 2009 ). En effet, il a été montré qu’un stress important du RE chez les souris transgéniques qui surexpriment l’IAPP humain conduit à la mort cellulaire (Gurlo et al., 2010). Toutefois, ce stress n'a pas été détecté dans les îlots pancréatiques en culture exprimant l’IAPP à des niveaux élevés (Hull et al., 2009). L'autophagie pourrait également jouer un rôle dans la cytotoxicité induite par l’IAPP. La surexpression de l’IAPP humain dans les cellules-β a montré une diminution de l’activité autophagique par les lysosomes, induisant l’apoptose de ces cellules (Morita et al., 2011; Rivera et al., 2011 ). Dans des

conditions normales, les protéines extracellulaires sont synthétisées dans le RE et sont transportées vers l’appareil de Golgi, pour ensuite se retrouver dans des granules où elles sont entreposées avant leur sécrétion. En cas de repliement aberrant, les protéines mal-repliées/non-repliées (UPR) dans les granules sont ciblées par ubiquitination pour dégradation via les protéasomes. Certains granules fusionnent avec les lysosomes et sont détruits via le système lysosomal. L'IAPP humain est partiellement résistant aux protéases lysosomales. Chez les patients atteints de T2DM, la surexpression de l’IAPP affecte le trafic du RE, déclenchant une réponse UPR et créant un stress du RE qui peut conduire à la mort cellulaire. Des concentrations élevées d’IAPP s'accumulent dans les granules de sécrétion et/ou forment des agrégats dans le cytoplasme. Ceux-ci sont généralement retirés par l’autophagie et ciblés par le système lysosomal. Une surcharge de ce mécanisme de protection peut entraîner une apoptose (Raleigh et al., 2017). À cet effet, Shigihara et al. ont observé que chez des souris transgéniques exprimant l’IAPP humain et knock-down pour l’autophagy-related genes 7 (Atg7), inhibant l’autophagie, la toxicité de l’IAPP est accrue (Shigihara et al., 2014). En revanche, une stimulation de l'autophagie par traitement à la rifampicine sur les cellules-β en culture, protège contre la toxicité induite par l’IAPP (Rivera et al., 2011).

Bien que l’implication de l'amyloïdogenèse de l’IAPP dans le T2DM reste à être précisée, plusieurs hypothèses ont été suggérées, comme résumé à la figure 1.13. Sous conditions prédiabétiques, il y a un début d’hyperglycémie et une résistance à l'insuline. Ces symptômes entraînent une augmentation du stress métabolique sur les cellules-β qui doivent produire davantage d’insuline et d’IAPP. La surproduction d’IAPP et d’insuline entraînerait à son tour une augmentation de la présence des peptides d’IAPP dans la matrice extracellulaire à des concentrations suffisamment élevées pour former les noyaux compétents qui déclenchent la fibrillisation de l'IAPP. Les interactions de l'IAPP avec les bicouches lipidiques membranaires (Jha et al., 2009) et les GAGs de la matrice extracellulaire (Jha et al., 2011) pourraient également augmenter la concentration locale d'IAPP. Le processus d'agrégation en amyloïde entraînerait la

dégénérescence des cellules-β pancréatiques par des mécanismes décrits ci-dessus. Ces dernières ne pourraient plus exprimer l’insuline et l’IAPP, aggravant l'hyperglycémie et le stress métabolique sur les cellules-β restantes, exacerbant ainsi davantage la progression du T2DM (DeFronzo, 2004; Montane et al., 2012).

Figure 1.13 Représentation schématique de l’implication de la cascade de l’amyloïdogénèse de l’IAPP dans le diabète de type 2.

Des stress métaboliques sont provoqués par la résistance à l'insuline et l'hyperglycémie, exacerbant la formation d'amyloïdes et l'inflammation des îlots, ce qui entraînera un dysfonctionnement et la mort des cellules-β et, à son tour, aggraverait l'hyperglycémie et le stress métabolique des cellules-β restantes. Figure adaptée de (Montane et al., 2012)

Documents relatifs