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CHAPITRE 3. L’EXPÉRIENCE DE L’ALTÉRITÉ DANS LE HAUT-LAC-SAINT-JEAN

3.3 La curiosité

Selon certains informateurs, la curiosité est très présente dans la relation à l’Autre, et est essentielle à l’établissement d’un contact. « Je pense que c’est une relation de

curiosité, d’abord. Je pense que les gens posent des questions par curiosité, ce qui sert de premier contact » (Ève, agente de POL). À la veille d’un évènement festif mettant en

vedette la région du Sahel, nous avons demandé à une informatrice si elle comptait engager la conversation avec les immigrants présents et si elle les questionnerait. Elle a répondu avec enthousiasme par l’affirmative, précisant qu’elle s’enquerrait de leur nourriture, de leurs habits traditionnels et de leur langue maternelle. Elle a ensuite ajouté : « Et on peut parler d’autre chose. On sait pas où ça nous mène. On laisse aller la

conversation, et des fois on en découvre de plus en plus. Je suis très curieuse! » (Pauline,

enseignante à la retraite, 68 ans). Bernard, agent de POL, tient à spécifier que la curiosité des Jeannois est sans méchanceté ni mauvaise arrière-pensée : « C’est une curiosité

positive, ils te voient, ils sont curieux de savoir. Pas de savoir négativement pour te rabaisser, mais qu’est-ce que tu fais ici ». Une anecdote qui illustre cette curiosité positive

nous a été rapportée par un Togolais installé à Dolbeau-Mistassini. Son voisin âgé lui a un jour demandé de quel pays il était originaire. Ne sachant pas où était situé le Togo, il est allé vérifier sur une carte du monde. Quelques jours plus tard, un autre voisin a interrogé le Togolais sur ses origines, et c’est le premier homme qui s’est empressé de répondre,

non sans fierté de connaître non seulement le nom du pays, mais également sa localisation géographique.

Voyons à présent dans quelles variations la curiosité s’est manifestée lors de notre terrain.

3.3.1 L’effet exotique de la nouveauté

Nous avons remarqué chez quelques individus un certain engouement pour les immigrants, l’interculturel et tout ce qui vient d’ailleurs, principalement de l’Afrique. Certains Dolmissois accourent à tous les évènements organisés par Portes Ouvertes sur le Lac, dès lors que la publicité comporte l’adjectif « interculturel ». Le succès retentissant que connaissent les cours de djembé, offerts par un Togolais établi à Dolbeau-Mistassini, en est un exemple supplémentaire. « C’est sûr qu’il y en a qui trippent, c’est comme les

cours de danse africaine, il y en a qui sont comme vendus. » (Gabrielle, agente de POL).

L’apport culturel, qu’il se situe au niveau de la musique ou de la danse, induit un effet de nouveauté qui semble fort apprécié de certains, notamment ceux qui ont déjà une ouverture sur le monde. « Il y en a qui aiment […] les autres cultures, mais n’ont jamais eu

la chance de les rencontrer, et quand il y en a chez eux, bien voilà, ils en profitent! »,

explique un informateur d’Afrique des Grands Lacs.

Pour d’autres personnes, je sais pas, comme toi et moi, qui allons [à l’étranger] et découvrons, à ce moment-là c’est comme du renouveau, on va peut-être enfin découvrir un peu la diversité qu’on découvre quand on voyage. Ça change un peu des sujets de conversation, même, qu’on a parfois entre amis. (Ève, agente de

POL).

Si nous avons mentionné précédemment que les nouveaux arrivants peuvent inspirer aux Jeannois la crainte d’une invasion culturelle, leur présence peut cependant être perçue par d’autres comme un enrichissement pour la collectivité, comme en témoigne la

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réponse d’un informateur lorsque nous lui avons demandé ce que les Québécois pourraient apprécier d’un immigrant :

De découvrir une culture différente, de découvrir la nourriture, peut-être des fois l’habillement qui peut être drôle. C’est quelque chose qu’on peut découvrir et qu’on peut apprécier. La langue. Si l’immigrant parle français et une autre langue, je sais pas moi, j’aime ça quand quelqu’un me parle dans sa langue et apprendre un peu sa langue. (Justin, étudiant au collégial, 18 ans).

Cette fraîcheur n’est pas à négliger dans un contexte régional historiquement hermétique; pour reprendre les termes du même informateur, « au Saguenay-Lac-Saint-Jean on a

évolué sans changement au niveau culturel ».

L’intérêt pour l’Autre est poussé plus loin dans le cas de jeunes femmes qui tentent à tout prix de former un couple avec un ressortissant africain, ou qui choisissent délibérément de ne fréquenter que des Noirs, parfois dans le but avoué d’enfanter un bébé métis. À notre surprise, cette situation s’avère assez fréquente. Gabrielle, agente de Portes Ouvertes sur le Lac, commente cette préférence :

Moi j’ai des amies célibataires, et à la base, c’est tout le temps le même monde ici, ça fait que quand quelqu’un est nouveau, déjà, ça intéresse. Mais c’est sûr qu’il y a des personnes qui ont décidé qu’elles aiment ça les Noirs, ça fait que quand il y en a qui sont disponibles, go! [rires] C’est sûr qu’il y a de l’exotisme aussi. […] Ceux qui aiment l’exotisme, c’est un changement d’être avec un Africain.

3.3.2 Le désir d’avoir l’heure juste

À plusieurs reprises, les rôles ont été inversés au cours de nos entretiens avec les Jeannois. Les répondants nous ont questionnée tant sur les immigrants installés dans le secteur, leurs activités et leur pays d’origine, que sur le processus d’immigration au Canada. « Et à Dolbeau-Mistassini, est-ce qu’il y a plusieurs familles, c’est des familles ou

des personnes toutes seules? Il doit y en avoir qui retournent dans leur pays l’hiver? »

(André, travailleur forestier à la retraite, 64 ans). Ou encore :

Eux quand ils viennent ici, c’est quoi leurs attentes? Est-ce qu’ils viennent, c’est temporaire, c’est permanent? C’est quoi qu’ils veulent faire ici comme travail? Est-ce qu’ils sont obligés de faire des stages? Quand ils viennent, est-ce qu’ils viennent un certain temps avant de faire venir la famille pour voir s’ils sont capables de s’intégrer? (Pauline, enseignante à la retraite, 68 ans).

Puisque la majorité des citoyens jeannois n’ont que peu (ou carrément pas) de contacts avec les personnes immigrantes installées dans leur communauté, ils ont souvent profité de la disponibilité d’une personne ressource (nous, en l’occurrence) pour se renseigner. À notre avis, ces interrogations témoignent à la fois de la méconnaissance de la situation, de la confusion qui entoure l’installation d’étrangers dans leur communauté et de leur curiosité envers ces derniers. Dans tous les cas, elle nous apparaît comme une attitude positive dans le développement éventuel de relations.

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