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Partie 3 Création et évaluation du portfolio et du guide

3. Une culture à expérimenter

Dans le projet pour l’école l’Étoile, un portfolio et un guide culturels ont été conçus. Rappelons qu’un portfolio s’emploie le plus souvent en autonomie et que c’est « une somme de documents qui reflètent certaines facettes d’une personne » (Farr & Tone, 1998, p. 3). C’est donc un outil personnel : chaque apprenant y consigne une partie de sa culture, qui lui est propre. En proposant un dispositif en autonomie, l’idée est aussi d’apporter un complément différent aux cours et de permettre aux étudiants qui le souhaitent d’apprendre autrement. En effet, le portfolio et le guide peuvent satisfaire les apprenants qui aiment travailler en autodidacte. De plus, le dispositif peut stimuler les étudiants qui ont un esprit de compétition : ils auront envie de remplir le maximum de rubriques et aussi complètement que possible.

On peut appliquer trois principes pédagogiques pour encourager l’autonomie de ses apprenants (Little et al., 2007, p. 16) :

- Implication des apprenants « en les laissant maître des objectifs et du processus d’apprentissage ».

- Réflexion de l’apprenant sur l’apprentissage et la langue cible. Les auteurs indiquent à ce sujet que l’autoévaluation est importante à ce stade.

Il me paraît intéressant d’intégrer la notion de réflexion : « ce que j’ai appris à travers la culture », « ce que les chocs culturels m’ont appris »… Le troisième principe peut être intégré dans un outil à utiliser en autonomie en proposant des tâches à réaliser, avec l’aide de fiches d’aide. Cela permet de stimuler les compétences des apprenants :

Tout type de tâche requiert que soit activé un ensemble de compétences générales appropriées telles que la connaissance et l’expérience du monde, le savoir socioculturel (sur le mode de vie dans la communauté cible et les différences essentielles entre les pratiques, les valeurs et les croyances dans cette communauté et dans celle de l’apprenant), des aptitudes d’apprentissage et des aptitudes et savoir-faire pratiques de la vie quotidienne. (CECR, 2001, p. 122)

Naturellement, l’idée m’est venue de ne proposer dans le portfolio que des activités à expérimenter : regarder des films, faire des sorties, faire des recherches sur Internet… Cela rend l’apprenant réellement actif ; du moins, cela peut l’encourager. « Il convient de veiller à alimenter l’enseignement de civilisation en réalités palpables, perceptibles, non abstraites, que les élèves toucheront et qui les toucheront. » (Porcher et al., 1986, p. 139) ; le guide propose ce type d’activités et le portfolio les encourage.

De plus, un outil à utiliser en autonomie, comme un portfolio, est tout à fait intéressant pour contourner le problème du type de culture à enseigner : les apprenants notent leur culture, celle qu’ils côtoient. En général, ce sont nos propres découvertes littéraires, cinématographiques ou autres qui sont les plus marquantes, pas les obligations, entre autres scolaires. Toutefois, il faut guider les apprenants, en leur proposant par exemple des catégories : sorties, livres lus... La difficulté dans la conception d’un tel outil réside en partie dans l’équilibre entre la liberté et le fait de guider. D’autre part, comment savoir qu’on n’oriente pas les apprenants vers telle ou telle culture ? Proposer des noms et des catégories, ne serait-ce pas imposer une culture ? Il est possible en effet d’imposer un type de culture par ce biais mais on peut pallier ce problème en proposant des catégories aussi variées que possible. Celles-ci inciteront peut-être les apprenants à explorer d’autres domaines que ceux auxquels ils ont l’habitude. De plus, les apprenants sont libres d’utiliser ou non le dispositif. Proposer un portfolio peu directif a deux avantages principaux : permettre aux apprenants de noter leurs expériences négatives autant que positives donc ne pas se limiter à présenter une culture idéale, et laisser aux apprenants la liberté de

découvrir ce qu’ils veulent. Au-delà de la découverte de la culture française, il peut s’agir aussi pour les apprenants de découvrir de nouveaux mondes selon la situation de chacun : les musées, les arts de la rue, la radio, la musique classique… Cette découverte peut les influencer également pour explorer de nouveaux domaines dans les autres langues y compris leur langue maternelle. Bien qu’on ait tendance à s’exposer à des pratiques culturelles auxquelles on a l’habitude (Beacco, 2000), je pense que proposer des catégories et des idées au sein de ses catégories peut accroître la curiosité des apprenants.

Le portfolio dans lequel on note ses expériences permet aussi aux apprenants de ne pas avoir besoin d’explications supplémentaires sur certains faits mais d’observer, de les vivre et de les intégrer :

Ce qui est banal et donc allant de soi pour le natif est caractéristique donc typique pour l’étranger, deux logiques qui s’excluent dans leur mode de description. L’une relève du silence pour le natif (« il n’y a rien à dire »), l’autre relève de l’explication pour l’étranger. (Zarate, 1986, p. 86)

On pourrait proposer un portfolio dans lequel l’apprenant cocherait des cases du type : « Je connais les présidents de la cinquième République », « Je connais au moins 10 chansons célèbres en France » ou encore « Je sais quels sont les loisirs habituels des Français ». C’est le cas dans les portfolios de langue où l’idée est de cocher des cases selon son propre jugement. Cette façon de faire me semblait assez pauvre et il m’a semblé qu’il fallait aller plus loin, en proposant d’agir avant tout jugement. Si on appliquait cette idée aux portfolios de langue, il serait indiqué par exemple : « J’ai demandé mon chemin à un passant » suivi de « c’était facile de se faire comprendre», « c’était un peu compliqué », « c’était difficile ». Évidemment, ce genre de test réel ne peut se faire que si on est contact avec un milieu francophone. Si on avait gardé le mode de fonctionnement des PEL, pour revenir à l’exemple donné, il serait difficile d’être sûr que les dix chansons auxquelles on pense sont effectivement célèbres pour les Français. Cela demanderait une petite enquête de la part de l’apprenant auprès de Français – certes très intéressante – mais ce serait beaucoup plus fastidieux. Il faut garder à l’esprit que plus l’outil est simple, plus il sera utilisé car facile d’accès.

La culture savante est parfois « plaquée » et « artificielle » (Galisson, 1988, p. 328). En proposant un outil en autonomie, la culture est expérimentée. De plus, c’est en

pratiquant que l’apprenant acquerra des compétences (Little et al., 2007). Dans l’idée d’expérimentation, la culture n’est plus une liste de connaissances à apprendre par cœur et sans sens : d’une part les expériences vont apporter des connaissances sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire, au théâtre par exemple, et d’autre part, ces expériences seront associées à des émotions, bonnes ou mauvaises, qu’importe, mais bien réelles. Ces expériences constitueront également des souvenirs à raconter en classe lors d’un questionnement de l’enseignant : « Quoi de neuf ? ». Il ne faut pas oublier non plus l’idée que des références culturelles sont utilisées dans les textes (à l’oral ou l’écrit) et qu’avoir une « bonne culture » – que l’on soit français ou non – permet une meilleure compréhension.

Proposer l’autonomie, c’est laisser les apprenants faire leurs propres choix. Dans l’idéal, les apprenants noteront régulièrement des choses dans chaque rubriques et feront des recherches ou des activités conseillées dans le guide culturel, et cela pendant toute la durée de leur séjour en France, voir au-delà. Or, on se doute que certains rempliront le portfolio une fois et n’y toucheront plus, et certains s’intéresseront au guide mais pas au portfolio. Avec ces deux outils complémentaires mais différents, les apprenants peuvent choisir ce qui leur convient. Tout dépendra aussi de la communication autour de ce dispositif : est-il connu des apprenants ? Est-il facile d’accès ?

À la question « Quelle culture enseigner ? », en ce qui concerne un outil en autonomie, ma réponse est donc : de la culture expérimentable.

Partie 3

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Chapitre 7. Conception du portfolio

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Ce chapitre présente les détails du projet et explicite les choix et difficultés rencontrées.