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Cryptogamie et physiopathologie végétale américaines : création du laboratoire de Farlow à Harvard (1870-1880)

Seconde partie

6) Cryptogamie et physiopathologie végétale américaines : création du laboratoire de Farlow à Harvard (1870-1880)

Alors que la nouvelle phytopathologie qui s’appuie sur la microbiologie et la cryptogamie est en plein développement en Europe, essentiellement avec l’objectif de protection des cultures, elle est encore peu représentée aux Etats-Unis dans les années 1860. C’est essentiellement les explications météorologiques ou physiologiques (voir première partie) du 18e siècle qui sont présentes dans les écrits

abordant les maladies des cultures. On trouve néanmoins l’explication cryptogamique micro-parasitaire notamment dans les manuscrits des cours de William Peck, professeur d’histoire naturelle à Harvard, autour de 1800, et dans quelques mémoires de la société de Philadelphie pour l’amélioration de l’agriculture. La mise en place de nouveaux lieux d’enseignement et de recherches, dans les années 1870, comme le laboratoire de Farlow, permettent à ces nouvelles disciplines de s’installer dans ce pays.

Ce bouleversement institutionnel des années 1870 peut être compris comme une expression de la montée en puissance des Etats-Unis et du développement des institutions scientifiques américaines à partir des années 1860. Ce mouvement s’accompagne de l’augmentation du nombre d’étudiants et de la progression des sciences dans l’enseignement américain. Les universités européennes servent de modèle et plusieurs étudiants américains partent se former en Europe. Ce changement est aussi l’œuvre d’un certain nombre de personnalités conscientes de l’évolution à venir de leur pays. C’est ainsi qu’il faut comprendre le rôle d’Asa Gray pour le développement de la botanique à Harvard. Dans les années 1860, professeur, depuis 1842, d’histoire naturelle à Harvard il est une des deux seules personnes aux Etats-Unis gagnant sa vie uniquement grâce à la botanique. Bien que classificateur et phanérogamiste, il milite pour le développement de la cryptogamie et de la physiologie végétale. Comme l’a écrit Dupree, c’est surtout « par le soutien qu’il apporta à la nouvelle génération de botanistes américains » que son rôle fût décisif. C’est lui qui renforce le département de botanique d’Harvard en recrutant, au début des années 1870, Georges Goodale, Charles Sprague Sargent, Seveno Watson et William Farlow. Le travail de George Goodale se caractérise par l’utilisation du microscope pour l’étude de la morphologie et la physiologie végétales. Sargent devient directeur du jardin botanique puis de l’arboretum de l’université, Watson conservateur de l’herbier. Farllow est recruté, comme nous le verrons plus loin, pour développer l’aspect cryptogamie et pathologie végétale. Ce département de botanique devient un des premiers d’Harvard lors de la conversion de ce dernier de collège en université. L’influence de Gray et de ce département ne se limitent pas à Harvard. Charles Bessey, professeur au collège de l’Etat de l’Iowa séjourne dans ce département en décembre 1872 et pendant l’hiver 1875-76 pour étudier avec Gray et Goodale puis Farlow. Liberty Hyde Bailey, chef puis doyen du département d’horticulture du collège d’agriculture de Cornell à Ithaca et directeur de la station

d’expérimentation de l’université fut assistant de Gray pendant deux ans après ses années de collège en 1888. Sous la direction de Bailey, sera créé, en 1904, dans le cadre du collège d’agriculture de l’Etat de New-York, un département d’agriculture botanique, sous la direction de Herbert Hice Whetzel, qui deviendra spécialisé, en 1907, en pathologie végétale. Avant les années 1870, la seule instruction donnée à Harvard sur les cryptogames consiste en quelques conférences générales et l’analyse de fougères communes et de cryptogames supérieurs.

Gray envoie Farlow se former, à partir de juin 1872, à Strasbourg dans le laboratoire d’Anton de Bary, le plus célèbre cryptogamiste de l’époque spécialisé dans les formes microscopiques et notamment celles responsables de maladies des plantes. Farlow y découvre la nouvelle cryptogamie centrée sur le développement des formes inférieures et l’observation microscopique et peu intéressée par la systématique. Il prend contact ainsi avec la microbiologie appliquée à la cryptogamie, la physiologie et pathologie végétales. Lorsqu’il rentre aux Etats-Unis, en juin 1874, il rapporte nouvelles méthodes, instruments (microscopes, lamelles, préparations, etc.), collections, ouvrages divers, et idées, ce qu’il appelle « la manière allemande de travailler et de gérer un laboratoire », introduisant ainsi à Harvard la cryptogamie microscopique et plus largement l’approche microscopique pour l’étude du végétal. Il entre à l’Institution Bussey nouvellement créé (voir plus haut), en tant qu’assistant de Gray. Le laboratoire de Farlow, d’abord installé à l’école scientifique Lawrence à Cambridge, devient un lieu de diffusion de la microbiologie et le premier de la cryptogamie et phytopathologie aux Etats-Unis. Le premier travail entrepris par Farlow fut l’étude de quelques maladies cryptogamiques et sa première publication, parue, en 1875, dans le bulletin de l’institution Bussey, fait le point sur la fameuse maladie de la pourriture de la pomme de terre. Cependant il se concentre rapidement sur l’étude des algues et crée pour cela en 1875 un laboratoire à Woods Hole (Cap code) où il enseigne cette discipline et qui deviendra la célèbre station marine. En 1890, il prend la place de conférencier sur les algues que lui propose l’Institut de Brooklyn au laboratoire de Cold Spring Harbor à Long Island où il développe une collection et la recherche. Finalement, malgré l’ambition de Gray, une grande partie du travail de Farlow fût la dénomination et la classification des cryptogames supérieurs, essentiellement des algues, mais cependant avec les méthodes de la nouvelle biologie végétale (études microscopiques histologiques et cytologiques). En avril 1879, il est élu professeur de botanique cryptogamique et quitte l’institution

Bussey pour le bâtiment de botanique sur le campus d’Harvard. Du point de vue de la cryptogamie, son laboratoire est le premier aux Etats-Unis mais ce n’est pas le cas du point de vue de la phytopathologie. En effet, Farlow ne s’y intéresse finalement que marginalement et c’est ailleurs que se mirent en place des lieux de recherches et d’enseignement de phytopathologie agricole, comme dans les universités d’état de l’Iowa avec Charles Bessey ou de l’Illinois avec Thomas Burrill.

L’établissement de la cryptogamie à Harvard correspond à un certain compromis entre théorie et application, plus favorable, sous l’impulsion de Farlow, à la première, ce qui est symbolisé par le transfert de l’institution Bussey vers le campus d’Harvard. Ce compromis, différent en d’autres lieux, traverse dans les années 1870 et 1880, les différents débats sur la nécessité de la plus ou moins grande autonomie de la science autour des créations des organismes d’enseignement et de recherches américaines. A Harvard, avec Farlow, la recherche et l’enseignement gardent leur distance avec l’application, mais c’est néanmoins un lieu où des phytopathologistes agricoles viennent se former en cryptogamie, comme nous l’avons vu, notamment avec Bessey. Grâce au bouleversement du paysage universitaire des années 1870, Farlow peut écrire en 1880, dix ans après son séjour à Strasbourg, qu’il n’est désormais :

plus nécessaire qu’un jeune homme aille en France ou en Allemagne […] tant qu’il s’agit d’acquérir simplement les techniques nécessaires […] ou la connaissance générale de la morphologie, physiologie et histologie végétales qui doit précéder un travail spécial dans chacun de ces champs » car les Etats-Unis ont maintenant des laboratoires « tout à fait suffisants. » La nouvelle cryptogamie et la phytopathologie et l’explication des maladies des plantes qui s’en inspirent son désormais fermement établies aux Etats-Unis.

IV - Instituts de recherches agronomiques français, de l’Ira à l’Inra (1916-1946) *

Nous avons identifié deux périodes dans l’histoire de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) :

- le premier Inra, « l’organisme de recherche de l’agriculture » rattaché au ministère de l’Agriculture, de sa création, en 1946, jusqu’à la fin des années 1970 ;

* Les travaux concernés par cette partie I : 2008/1 ; 2008/3 ; 2007/1 ; 2001/1 ; 1999/2 ; 1996/1 ; 1995/1 ; 1995/2 ; 1995/3 – 2008a ; 2006a ; 2006b ; 2004e; 2000b, 1995d ; 1994b.

- le second Inra, « la partie agricole et agro-industrielle d’un réseau de recherche-développement », rattaché au ministère de l’Agriculture et à celui de la Recherche, issu des décrets de 1980 et 1984.

L’Inra a été précédé de :

- laboratoires agricoles et de stations agronomiques créés à partir des années 1870 et - d’un premier institut, l’Institut des recherches agronomiques (Ira), créé en 1921 et supprimé en 1934.

Ces créations sont le résultat de contextes successifs que nous allons tenté de préciser.

1) Science agronomique, entre discours agrarien et progressif