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P REMIÈRE  PARTIE  :

2. Croyances et symbolisme conférés aux marbres

Si les marbres ont de tous temps été exploités et convoités, c’est en raison de leur éclat une fois polis et de la fascination que suscitaient leurs coloris variés. Une fascination qui reconnaissait en ce matériau un exceptionnel accident de la nature, qui ne pouvait qu’être la traduction de forces profondes et fondamentales, appelées à servir l’agrément comme la célébration des puissants. Les marbres, en effet, furent depuis l’Antiquité considérés comme une marque particulière de distinction, tout autant pour valoriser le caractère exceptionnel d’un territoire qu’en ce qui concerne l’apparat religieux mais aussi politique. L’interprétation de l’origine de la matière les lia longtemps aux gemmes, système de pensée que l’avènement du rationalisme mit à bas mais qui refit surface malgré tout et s’accommoda de l’interprétation poétique.

94 DUBARRY DE LASSALLE, 2000, ibid., n°72, p. 166.

95

DUBARRY DE LASSALLE, 2000, ibid., n°16, p. 86.

96

DUBARRY DE LASSALLE, 2000, ibid., n°25, p. 104.

97 DUBARRY DE LASSALLE, 2000, ibid., n°112, p. 218.

Marbres,  religiosité  et  puissance  politique  

Les roches blanches ou de couleur pouvant restituer l’éclat de la lumière ont toujours été considérées comme un don mais aussi une expression de la nature. Si les pierres précieuses furent placées au plus haut de ces matériaux, les marbres, par leur abondance et disponibilité relative, eurent aussi une place d’honneur dans une hiérarchie des pierres qui fut établie dès les temps bibliques et magnifiée durant l’Antiquité romaine, enrichie de multiples significations symboliques. Il est impossible de développer ici toutes les puissances successives dont les marbres furent investis, tout au plus est-il envisageable d’évoquer quelques éléments marquants de ce qui, peu à peu, devint une symbolique appréciée.

« Le marbre a mis longtemps à mourir », a écrit Pascal Julien, expliquant la tenace croyance en la végétation des marbres et l’origine divine des motifs visibles qu’il offre au regard99. Se référant aux textes de l’Exode ou de l’Apocalypse, à Diodore de Sicile (Ier siècle), aux écrits de Raban Maur – moine bénédictin allemand, 790-856 –, au Lapidaire de Marbode – qui fut évêque de Rennes à la fin du XIe siècle – ou encore à l’antiquaire Claude Fabri de Peiresc (XVIIe siècle), Pascal Julien a ainsi dressé un historique de la perception des marbres. De l’Antiquité à l’époque moderne, sous de multiples aspects, notamment ceux de l’apparat ou du religieux, il établit les liens féconds de ce matériau avec les fastes de l’empire romain ou avec la tradition et l’exégèse biblique100.

Rome est intimement mêlée aux marbres. Depuis la fin du XXe siècle, les études sur ce sujet se sont multipliées, tendant à approfondir, au-delà des œuvres elles-mêmes, toutes les questions liées aux matériaux, tant dans le domaine de la statuaire que dans celui de l’architecture ou des décors. À la suite des études pionnières de Ranierio Gnoli101, des historiens et archéologues ont dressé la nomenclature des marbres utilisés sous l’Empire102, étudié leurs mises en œuvre et recherché leurs origines, jusque dans les Gaules. Ces recherches on notamment connu leur apogée avec l’exposition I Marmi Colorati della Roma

Imperiale103, qui fut présentée en 2002 au Marché de Trajan, à Rome, suivie d’un colloque sur les marbres antiques en 2004, Couleurs d’éternité,à Rome également (doc.1). Parallèlement, cette redécouverte de l’importance des matériaux se fit aussi dans le domaine de leur

99 JULIEN, 2006, ibid., p. 42.

100 JULIEN, 2006, ibid., « Couleurs d’éternité », pp. 39-58.

101

GNOLI, Raniero. Marmora Romana. Edizioni Dell’Elefante, Rome, 1971, 249 pp.

102

BORGHINI, Gabriele (dir). Marmi antichi. Edizioni De Luca, Rome, 2001.

103 I Marmi Colorati della Roma Imperiale. Exposition du 28 septembre 2002 au 19 janvier 2003, Marché de Trajan, Musée des forums impériaux, Rome, Italie ; Mercati di Traiano. 2002, ibid.

signification, notamment pour la pierre la plus représentative du pouvoir impérial, avec l’exposition Porphyres, la pierre pourpre des Ptolémées aux Bonaparte, qui se tint au Louvre en 2002104.

La question du sens demeure un domaine important de la recherche sur les marbres, notamment pour le pourpre, devenue la couleur des empereurs, certains se faisant même représenter dans cette pierre venue d’Égypte, comme les fameux Tétrarques du trésor de la basilique Saint-Marc, à Venise (ill.2)105. Aussi la carrière de Cierp, à l’entrée de la vallée du Luchonnais, fut-elle exploitée en raison de la proximité d’aspect de ses marbres avec le porphyre, et ce dès l’époque romaine, comme le prouve son emploi dans des villas impériales comme celle de Garissou, près de Béziers106. On pouvait ainsi, à moindre frais, disposer d’une pierre particulièrement prestigieuse. Cette assimilation subsista à l’époque médiévale et fut renouvelée encore à la Renaissance, comme en témoigne la colonne de cœur du cardinal de Bourbon, dans l’église Saint-Denis, où le rouge « sang de bœuf » de Cierp vient incarner la puissance de la pourpre cardinalice (ill.3)107.

Cependant ce symbolisme ne toucha pas seulement l’aspect des pierres, il toucha également les lieux mêmes de leur extraction. Ainsi l’exploitation précoce du blanc le plus pur autour de Saint-Béat fit-elle naître des croyances qui, encore profondément ancrées dans les mentalités villageoises, témoignent d’un attachement aux origines antiques de la civilisation et au prestige de la référence romaine. Du XVIIe siècle jusqu’à aujourd’hui, le bruit court qui attribue à la carrière de Lez, à la sortie de Saint-Béat en Haute-Garonne, l’origine, qui de l’obélisque de la place Saint-Pierre, qui de la colonne Trajane à Rome108. Ladite carrière (ill.4), qui présente toujours l’empreinte verticale de ce que l’on prend pour une colonne monumentale, n’a cependant jamais fourni que du marbre bréchique jaune (éch.17). Ce dernier, par sa structure, est impropre à constituer un corps monolithe vertical tel que l’obélisque qui, en vérité, est en granit de Troade, en Turquie ; quant à la colonne

104 MALGOUYRES, Philippe, Musée du Louvre. Porphyre : la pierre pourpre des Ptolémées aux Bonaparte. Réunion des musées nationaux, Paris, 2003, 206 pp.

105

JULIEN, 2006, ibid., p. 66 : « Les tétrarques, qui régnaient sur les quatre parties de l’Empire romain, furent figurés au Ive siècle en cette roche de pouvoir. Leur groupe, placé sur l’angle du trésor de Saint-Marc de Venise, a donné naissance à la légende des cambrioleurs pétrifiés sur place par le saint patron de la basilique pour dissuader les voleurs. »

106 JULIEN, 2006, ibid., p. 78 : sol en opus sectile de la villa romaine de Garissou, près de Béziers, époque impériale.

107

JULIEN, 2006, ibid., p. 56.

108 « Le commun vulgaire tient que la pyramide de marbre qui est dans Rome, estant tout d'une piece, d'une grande largeur & hauteur est sortie de ce vide, chose estrange d'ouïr dire qu'un si grand pois & une telle pièce entière ait esté portée & conduicte en pays si lointain », est-il écrit dans le chapitre consacré à la « la ville de S. Béat, & [aux] mines près d'icelle », Chapitre XXIIII, dans MALUS, Jean (de), PIN, Jean (du). Recherche et

Trajane, elle est constituée d’une quantité de tambours de marbre de Carrare superposés. La croyance en la destination prestigieuse de la matière extraite dans les Pyrénées permettait cependant d’inscrire l’histoire locale dans celle de l’empire romain, jusqu’au cœur de sa capitale. Ce marbre est ainsi particulièrement significatif des croyances et puissances ayant pu nourrir une identité fondée sur le sol et des données aussi riches que complexes de la notion de paysage déplacé109. Ces croyances, cependant, furent également amplifiées par la forte dimension religieuse prêtée aux marbres.

Dans la Bible, le marbre blanc, de Paros, possède une « haute valeur mystique », signe de pureté, que vient renforcer encore la présence de marbres dans le temple de Salomon, alors que plusieurs pierres précieuses (saphire, topaze…) forment l’assise de la Jérusalem céleste dont la base est de jaspes, marbres intensément veinés et colorés. Ainsi, Pascal Julien établit la comparaison entre marbres et gemmes, notamment avec le jaspe. La ressemblance entre ces deux matières, explique-t-il, qui toutes deux se déclinent dans des tons et des motifs proches, permit de transposer les valeurs associées de la gemme aux marbres. Cette pierre « très précieuse », symbole de pouvoir divin, d’éternité et « liée à des pratiques rituelles » fut, dès les premiers temps de l’ère chrétienne, durablement associée aux termes « jaspe » ou « jaspé »110. Grâce à ce parallèle, ainsi que ceux établis avec d’autres pierres précieuses (onyx, agate, albâtre), Pascal Julien parle d’« enrichissement symbolique » de la pierre marbrière, intimement liée à l’exégèse biblique et dont les diverses significations furent connues et utilisées durant l’époque médiévale. Elles furent même exprimées, au XIIIe siècle, par divers auteurs assimilant au marbre, en raison de sa solidité et de son éclat, les « vertus cardinales : “Force, Tempérance, Prudence et Justice ” » en en faisant même « la matière par excellence de la mémoire »111.

Cette vision persista et le marbre fut ainsi classé « au second rang des pierres précieuses » 112 , jugement toujours renouvelé grâce aux prestigieuses réalisations architecturales et ornementales faites dans ce matériau, dès la Renaissance, où l’amplification de leur emploi se fit dans l’ambiance particulièrement sophistiquée de la pensée humaniste. À Toulouse, lors de ce renouveau, l’historien Antoine Noguier n’hésita pas à mêler matériau et philosophie en vantant « le fleuve de garonne, qui décore et enrichit les murmurans bords de sa rive d’infinis monceaux & paillettes d’or : c’est la messagère des monts Pirénées, qui nous

109

JULIEN, 2012, ibid. ; cf. infra chapitre I, p. 105.

110

JULIEN, 2006, ibid., p. 40

111 JULIEN, 2006, ibid., p. 40.

envoient les journalières provisions de bois à bâtir (ou pour embesogner & mettre à ouvrage) de pierre blanche molaire, de marbre, pourphiré & jaspé : & de toute autre espèce de marbre qui peut embellir le discours du temps »113. Le marbre se pare ici du luxe et de la diversité des gemmes et devient sous la plume de l’historien toulousain une poétique expression de l’inaccessible éternité face à la trivialité quotidienne.

Marbres,  gemmes  et  imaginaires  

Au XVIIe siècle, lorsque le marbre connut son âge d’or à Versailles114, l’historiographe André Félibien se plut aussi à le comparer aux pierres précieuses : puissance, éternité, grandeur, le marbre réunissait encore et toujours des valeurs extraordinaires qui rejaillissaient sur les lieux qui l’abritait et les hommes qui en faisaient usage115. Et c’est ainsi que le château de Versailles, le parc et l’ensemble du domaine, devinrent le théâtre où purent se déployer des marbres du royaume, se côtoyer leurs teintes et s’amplifier leurs éclats, rejaillissant de concert sur la personne du roi soleil dont l’ambition était bien de réunir en un seul lieu, sur le mode de la Rome antique, toutes les merveilles du territoire116.

Cependant, la valeur de ces pierres ne tient pas seulement aux attendus mystiques comme manifestation du divin ou aux stratégies de représentation en tant que paradigme augustéen. Les marbres, en effet, par leurs couleurs, leurs veinages, leurs textures, leur éclat ou leur minéralité, possèdent un puissant pouvoir d’évocation, un pouvoir sur l’imaginaire qui s’est peu à peu construit dans les croyances et légendes avant d’être mis à bas par le rationalisme, pour ensuite renaître dans la poésie et « les rêveries du repos »117.

À la Renaissance, les travaux de Paracelse prêtaient aux pierres un pouvoir de guérison118 et pour Alberti, les pierres vivaient et se modifiaient au cours du temps, dans une communion entre le monde minéral et les autres règnes. Puis, au XVIIe siècle, Ulysse Aldrovandi, proposant une première classification géologique, lista les singularités visibles dans les marbres, nommés en fonctions d’analogies visuelles :

« aux marbres à représentations religieuses succèdent les marbres “imitant des fleuves”, des marbres écumants, des marbres dentrites, couverts d’une délicate

113

NOGUIER, Antoine. Histoire tolosaine. Guyon Boudeuille. Toulouse, 1556, p. 12.

114 Cf. infra chapitre I, p. 60.

115 FÉLIBIEN, André. Description sommaire du Chasteau de Versailles. G. Desprez, Paris, 1674, 121 pp.

116

JULIEN, 2006, ibid.

117

BACHELARD, Gaston. La terre et les rêveries du repos. Corti, Paris, 1948, 376 pp.

118 Cité par BRETON, André. « La langue des pierres », Perspective cavalière. Collection L’imaginaire 341. Gallimard, Paris, 1996, 260 pp, pp. 148-149.

végétation ou de forêts touffues, des marbres anthropomorphites, dont les macules accusent des traits humains, les marbres cynites avec des silhouettes de chiens, les

marbres scombriformes à poissons, les marbres polymorphites, tout parsemés de

monstres, de dragons, d’oiseaux, de quadrupèdes et d’hommes. Le marbre oriental est un tourbillonnement de coquillages, d’algues et d’ondes marines que “nulle

main de peintre ne pourrait imiter” »119.

Si cette description puise sa terminologie dans le champ lexical du règne animal et végétal, elle témoigne aussi d’un regard esthétisant posé sur la matière minérale, dans laquelle on cherche à déceler et à reconnaître quelques figures familières.

Réelles ou imaginaires, les affiliations sont visuelles et interprétatives, écartant l’origine divine et faisant référence à des phénomènes de la nature. Certaines roches présentent ainsi des motifs d’ordre figuratifs, « images dans la pierre », « pierres-aux-masures » de la région de Florence, aussi appelées « paesines » (ill.5), ou marbres-paysages britanniques, de Catham dans le Gloucestershire120 (ill.6). Ces pierres dessinent des paysages naturels ou culturels, de forêts, de villes ou de ruines, voire des figures. Créations naturelles que le regard de l’homme interprète à son gré, les paesines ont été convoitées suivant le principe selon lequel « plus l’image [est] inhabituelle, précise et incontestable, plus la pierre est estimée » 121.

Toutefois, annonçant la pensée des Lumières, ces objets naturels font dès le XVIIe siècle l’objet d’études diverses avec, entre autres, « Gaffarel, bibliothécaire de Richelieu et aumônier du roi, [qui] consacre […] un volume épais aux gamahés, pierres imagées, talismans marqués de hiéroglyphes naturels à la signature des astres et qui guérissent les maladies » ; et les curiosités minérales sont concurremment convoitées, car « à la même époque, princes et banquiers collectionnent les échantillons prodigieux que pour eux recherchent à grand prix les multiples agents de commerçants spécialisés »122.

Si la croyance dans le fait que les images visibles dans les coupes minérales sont « comme des tableaux de peintres »123 perdure au XVIIIe siècle – ce que prouve l’intérêt pour les « pierres-paysages » décrit par l’écrivain Roger Caillois124 –, les descriptions de ces pierres révèlent déjà un questionnement sur l’origine des motifs, supposant parfois une

119

BALTRUSAITIS, Jurgis. Aberrations : essai sur la légende des formes. Flammarion, Paris, 1995, 269 pp., pp. 122-123.

120 CAILLOIS Roger, L’écriture des pierres. Éditions d’art Albert Skira, Genève, 1978, 131 pp., pp. 25-49.

121 CAILLOIS, 1978, ibid., p. 16. 122 CAILLOIS, 1978, ibid., p. 16. 123 BALTRUSAITIS, 1995, ibid., pp. 136-137. 124 CAILLOIS, 1978, ibid., pp. 25-49.

pratique humaine, et détaillant même un procédé pour imprimer sur la surface de marbres de tels dessins125.

Cependant, le rationalisme du XVIIIe amorce le rejet de l’explication mystique de l’origine de ces motifs126. Et chemin faisant, il va peu à peu parvenir à reléguer ces manifestations minérales au rang d’objets « curieux » ou tout au plus à de « jolis accidents »127 dus au hasard, qui intriguent, dont le mystère fascine l’artiste et questionne le naturaliste. Certains artistes n’hésitent d’ailleurs pas à parfaire le travail de la nature en se servant de ce fond minéral comme d’un support (ill.7), pratique parfois menée dans le cadre de projets de faussaires128.

À la fin du XIXe siècle, les progrès de la science ont fait leur œuvre et ont produit une interprétation scientifique de la formation des roches et des minéraux, expliquée à l’échelle des temps géologiques et par des processus évolutifs de dépôts et de transformations129.

Résurgence  poétique  de  la  matière  

Depuis que la science a élucidé le processus de création de la matière, l’art et la poésie se sont ressaisis de cette ressource d’images et d’imaginaires.

La place accordée à la matière minérale dans la poésie de la fin du XIXe et du XXe siècles, étudiée, notamment, à travers une analyse transversale par Anne Gourio130, pointe le

125

KNORR, Georg Wolfgang. Recueil de monumens des catastrophes que le globe de la Terre a éssuiés,

contenant des pétrifications et d’autres pierres curieuses, dessinées, gravées et enluminées, d’après les originaux, avec leur description, par George Wolfgang Knorr... [continuée par ses heritiers avec l’histoire

naturelle de ces corps par Mr. Jean-Ernest Emmanuel Walch]. 4 volumes, Nuremberg, 1765, Volume 1, p. 1.

126 KNORR, 1765, ibid., p. 1 : « Soit qu’ils doivent leur naissance au Déluge, dont Moïse, ce divin Historien, nous a laissé la description ; ou que ce soit à quelqu’une de ces Inondations, dont Platon, Aristote et d’autres anciens philosophes, font mention, qu’il faille les attribuer ; il faut toujours monter à une Antiquité asses reculée. Que les Pétrifications soient des Monuments de ces grandes catastrophes que notre Globe doit avoir souffert, & que ce n’est pas au Hasard qu’il en faut attribuer l’origine, comme quelques uns l’ont prétendu, c’est ce qui sera démontré dans un autre endroit. »

127 PATRIN, Eugène-Melchior-Louis. Histoire naturelle des minéraux. Paris, an X, p. 180. Cité par BALTRUSAITIS, 1995, ibid., pp. 136-137 au sujet des XVIIIe et XIXe siècles.

128

C’est ce que décrit Roger Caillois (CAILLOIS, 1978, ibid.) ; de plus, l’attrait pour les pierres figuratives n’est pas cantonné à l’Europe car il se retrouve en Asie et en Chine avec les « pierres de rêves ».

129 Par exemple : FLAMMARION, Camille. Le monde avant la création de l’homme  : origines de la Terre,

origines de la vie, origines de l’humanité. Charles Marpon et Émile Flammarion, Paris, 1886, 847 pp., p. 261 :

« La substance terrestre se compose de trois éléments principaux : la silice, le carbonate de chaux et l’alumine ou argile. La silice a produit le quartz, la pierre meulière, le silex, le sable des rivages et des dunes ; l’albumine a produit par ses mélanges les argiles et les marnes ; le carbonate de chaux a produit la pierre calcaire (la plus répandue de toutes les substances minérales de l’écorce terrestre), les pierres de nos carrières, la craie, les marbres et les grès. Viennent ensuite les métaux, généralement injectés en filons. Ces substances jouent un rôle important dans l’habitation de l’homme sur la planète et dans les manifestations matérielles de la civilisation. »

130 GOURIO, Anne. Chants de pierres. Ateliers de l’imaginaire, ELLUG, Université Stendhal, Grenoble, 2005, 431 pp.

double pouvoir de l’élément minéral, stable à l’échelle des temps historiques et évolutif à l’échelle géologique. Le minéral, en effet, résiste à l’action humaine tout en affirmant sa stabilité et sa pérennité. Ces qualités inscrivent les marbres dans « l’antinature », contraire à l’évolution alors qu’ils sont naturels par essence. Cette dualité de la perception de la matière, à la fois non culturelle car s’opposant à l’action humaine et antinaturelle dans la mesure où elle semble résister aux altérations du temps, nourrit l’inspiration et porte à la rêverie131. Plus, le marbre affirme son caractère pluriel, entre matière inerte, terne et irrégulière d’une part, que seuls le travail et l’acharnement des hommes ont pu extraire et transmuer en œuvres architecturales et ornementales d’autre part. Dans les textes poétiques, les différentes manifestations de la matière minérale en traduisent la diversité (toutes les pierres sont différentes), l’unité (toutes sont minérales et proviennent de la terre) et, en somme, la constitutive diversité qui fait leur inépuisable richesse132.

La matière marbrière se prête à de telles interprétations car l’analyse poétique de l’évocation de l’élément minéral est transposable aux manifestations de la matière marbrière. Chaque marbre est unique, dans sa structure, sa composition et son faciès et, malgré ses origines toutes minérales, il compose des créations architecturales et ornementales toujours originales et inédites. L’élément minéral renvoie inévitablement à l’espace, en tant que caractéristique de la pierre, composant privilégié d’un paysage naturel et porteur de sa mémoire133. En cela encore, le marbre se présente sous forme de matière brute ou polie et, ainsi, peut conter l’histoire de l’aventure humaine qui a accompagné sa transmutation.

Au XXe siècle, la matière minérale constitue une réserve symbolique dans laquelle l’imaginaire peut venir puiser, qui pour y voir des motifs figuratifs, qui pour y interpréter la