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Outre le « légalisme » et le « conséquentialisme », le néo-aristotélisme se donne comme adversaire le subjectivisme moral qu’il attribue aux courants dominants de l’éthique au milieu du XXème siècle. La pensée de Moore1 est un réalisme. Les qualités morales appartiennent

réellement aux choses auxquelles on les attribue. Mais Moore tient à montrer que ces qualités réelles ne sont pourtant pas des qualités « naturelles » – en un sens qui n’est pas toujours facile à déterminer. Cette séparation entre jugements moraux et jugements « naturels » assumée par le courant « intuitionniste » était destinée à exalter la pureté de la moralité. Elle va paradoxalement favoriser la remise en cause radicale de la vérité des jugements moraux par le positivisme. En 1936, dans le Chapitre VI de Language, Truth and Logic2, Alfred Jules Ayer affirme que les jugements moraux – pas plus que les jugements théologiques – ne peuvent avoir de sens. En effet, n’ont de sens que les jugements empiriques et les jugements analytiques. Or les jugements moraux ne sont ni l’un ni l’autre. Ils ne sont donc pas susceptibles de vérité ou de fausseté. De cet empirisme positiviste vont se nourrir l’émotivisme3 et le prescriptivisme4. Ces théories aboutissent d’une manière ou d’une autre à nier que les jugements moraux puissent avoir une vérité objective. La critique « réaliste » du naturalisme menée par Moore aura finalement abouti à la remise en cause radicale de toute vérité morale. La réhabilitation d’un certain naturalisme devra donc aller de pair avec la critique du subjectivisme, c’est-à-dire la critique de ces théories qui supposent que les jugements moraux ne peuvent être que l’expression des émotions ou des désirs des sujets qui les énoncent plutôt que la description de réalités objectives.

Le problème qui se pose est celui de la « réalité » à laquelle on se réfère alors pour l’opposer à la « subjectivité » de certains jugements. Cette opposition elle-même n’est-elle pas issue du positivisme ? Pour dépasser le scepticisme moral induit par l’empirisme positiviste, il semble nécessaire de dépasser la conception positiviste du « réel » et la manière dont le positivisme oppose le « réel » au « subjectif ». Mais comment le faire sans reconnaître une certaine « subjectivité » aux jugements moraux ?

1 Cf. Moore (G.H.), Principia Ethica, op. cit. 2 Cf. Ayer (A.J.), Language, Truth and Logic, op. cit.

3 Cf. Stevenson (C. L.), « The Emotive Meaning of Ethical Terms », op. cit.; Nowell-Smith (P.H.), Ethics, op. cit. 4 Cf. Hare (R.M.), The Language of Morals, op. cit.

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1°) Critique de la « loi de Hume »

La critique du subjectivisme moral qu’incarnent au milieu du vingtième siècle l’émotivisme et le prescriptivisme passe par la critique de la « loi de Hume » c’est-à-dire par la critique de la thèse attribuée à Hume selon laquelle on ne peut déduire un énoncé portant sur ce qui « doit être » d’un énoncé portant sur ce qui « est ». Cette thèse humienne « anti-naturaliste » est finalement assumée par toutes les théories morales de Moore à Hare, quelles que soient leurs oppositions superficielles. C’est cette thèse qu’entendent réfuter aussi bien Foot qu’Anscombe dès 1958. Réfuter le principe selon lequel il serait impossible de passer légitimement d’un jugement portant sur ce qui « est » à un jugement portant sur ce qui « doit être », ce serait remettre en cause le caractère spécifiquement non descriptif des jugements moraux et par conséquent, ceux-ci étant au moins partiellement indépendants des « faits », l’idée selon laquelle ils ne seraient susceptibles d’aucune preuve rationnelle. Il faut ébranler le présupposé commun des subjectivistes pour fonder la forme de réalisme moral qui sera celle du néo- aristotélisme.

a) Le « problème “ est-doit ” »

Dans son recueil d’articles consacré à la question des rapports entre « est » et « doit » en 1969, W.D. Hudson présente « le problème est-doit » comme « le problème central en philosophie morale » : « Comment ce qui est le cas se rapporte à ce qui doit être le cas – les jugements de fait aux jugements moraux ? »1. Les jugements moraux – « Cette action est juste » – ressemblent par leur forme grammaticale à des jugements de fait – « Cette pomme est rouge ». Pourtant, selon certains philosophes modernes – Hudson site R.M. Hare et P.H. Nowell-Smith2 – ils s’en distinguent par leur signification. Dans le cas du jugement de fait, aucune action n’est suggérée alors que dans celui du jugement moral il serait surprenant de dire par exemple : « cette action est juste mais ne l’accomplissez pas » ou « tenez-la secrète » ou bien encore « je suis désolé qu’elle ait été commise ». On ne peut pas faire des jugements de valeur un simple sous-ensemble des jugements de fait.

1 Hudson (W.D.), « Editor’s Introduction: The “is-ought problem” » in Hudson (W.D.) (éd.), The Is-Ought

Question: A Collection of Papers on The Central Problem in Moral Philosophy, London, Macmillan and co Ltd.,

1969, p. 11.

113 « Quand les gens disent “Cette action est juste”, ils veulent normalement que cela soit fait ou ils expriment leur satisfaction à ce que cela ait été fait ».1

Lorsque l’on dit qu’une chose est « bonne », « juste » ou telle que l’on « doit » la faire, on ne la décrit pas mais on l’évalue, la prescrit, la conseille, on manifeste une attitude que l’on a vis- à-vis d’elle. On peut s’appuyer sur Wittgenstein pour dire que la forme logique apparente de ces jugements ne doit pas être confondue avec leur forme logique réelle2. Ainsi, si on passe couramment, en apparence, de jugements sur ce qui « est » à des jugements portant sur ce qui « doit » être, il y a toujours en réalité une prémisse implicite supposant ce qui « doit » être. Par exemple, lorsque l’on justifie que la religion ne doive pas être enseignée à l’école par le fait que la religion soit discutable, on suppose que ce qui est discutable ne doit pas être enseigné à l’école. Le raisonnement moral ne peut être valide sans cela. Il y a bien, comme le pensait Hume, « un fossé infranchissable »3 entre « est » et « doit ».

Hudson répertorie trois manières de s’opposer à cette thèse. D’une part, certains contestent que cela corresponde réellement à la thèse de Hume. C’est notamment ce que fait MacIntyre dès 594. Selon ce dernier, la thèse de la non dérivabilité ne peut pas être celle de Hume lui-même puisque son propre naturalisme implique sans cesse le passage de « est » à « doit ». Dans les pages invoquées du Traité de la Nature Humaine – Livre III, Partie I, Section 1 –, Hume ne ferait que contester « la morale religieuse » de son temps au profit d’une morale fondée sur les besoins, les intérêts, les désirs et le bonheur humains5 :

« Dans ce passage, Hume n’affirme pas l’autonomie de la morale – car il n’y croit pas […] Il affirme que la question de savoir comment la base factuelle de la morale se rapporte à la morale est un problème logique crucial, sur lequel une réflexion nous permettrait de comprendre par quelles voies cette transition peut être faite et par quelles voies elle ne le peut pas. […] nous ne pouvons relier les faits de la situation à ce que nous devons faire que par le biais de l’un de ces concepts que Hume aborde sous la rubrique des passions et que j’ai indiqué par des exemples tels que vouloir, avoir besoin et autres concepts semblables ».6

1 Ibid., p. 11-12. Souligné par l’auteur. 2 Ibid., note 3, p. 12.

3 Ibid., p. 13.

4 MacIntyre (A.), « Hume on “is” and “ought” » (1959) in Hudson (W.D.) (éd.), The Is-Ought Question: A

Collection of Papers on The Central Problem in Moral Philosophy, op. cit., p. 35-50; repris également dans

MacIntyre (A.), Against the self-images of the age, op. cit., p. 109-124.

5 Ibid., p. 46. 6 Ibid., p. 47-48.

114 Loin d’exclure le passage de « est » à « doit », il en esquisserait la théorie. Plus que Hume, c’est Kant qui serait responsable d’avoir obscurci la question à travers la distinction tranchée entre impératifs catégoriques et impératifs hypothétiques, distinction qui fait disparaître tout lien entre ce qui est bien et juste (right) d’une part et ce dont nous avons besoin ou ce que nous désirons d’autre part1. MacIntyre prend clairement position contre cette séparation et invoque

déjà Aristote, en songeant peut-être aux récents articles de Foot et Anscombe qui figurent également dans le recueil de Hudson2:

« Les exemples de syllogismes pratiques d’Aristote ont typiquement une prémisse qui inclut des termes tels que “convient” ou “plaît”. Nous pouvons donner une longue liste de concepts qui peuvent former de telles notions-passerelles (bridge notions) entre “ est ” et “doit” : vouloir, avoir besoin, désirer, plaisir, bonheur, santé – et ce ne sont là que quelques-uns d’entre eux. Je pense qu’il y a de très fortes raisons de dire que les notions morales sont inintelligibles indépendamment de concepts tels que ceux-là ». 3

Les notions évoquées plus haut comme « vouloir », « avoir besoin », « désirer » serviraient de « ponts » entre les jugements portant sur ce qui « est » et les jugements portant sur ce qui « doit être », comme cherchent à le montrer rigoureusement les analyses d’Anscombe et de Foot, comme nous allons le voir. Mais l’enquête de MacIntyre reste essentiellement historique et il ne propose pas dans cet article d’argumentation précise lui permettant d’étayer cette position.

D’autres s’opposent à la thèse attribuée à Hume en essayant de contester la pertinence de la distinction elle-même et essaient de réduire « doit » à « est ». C’est par exemple ce que cherche à faire M. Zimmerman4. Mais il n’est pas nécessaire d’aller jusque-là pour contredire

cette thèse. Certains comme J.R. Searle5, se contenteraient d’essayer d’établir que l’on peut « dériver » « doit » de « est ». Les deux notions seraient bien, en un sens, irréductibles l’une à l’autre mais il serait possible de « passer » progressivement de manière logique de l’une à

1 Ibid., p. 46.

2 Il s’agit de Anscombe (G.E.M.), « Modern Moral Philosophy » (1958) (in Hudson (W.D.) (éd.), op. cit., p. 175-

195) et Foot (Ph.), « Les croyances morales » (1958-59) et « Goodness and Choice » (1961) (Ibid., p. 196-214).

3 Ibid.

4 Zimmerman (M.), «The “is-ought”: An unnecessary dualism» (1969) in Hudson (W.D.) (éd.), The Is-Ought

Question: A Collection of Papers on The Central Problem in Moral Philosophy, op. cit. p. 83-91.

5 Searle (J.R.), « How to derive “ought” from “is” » (1969) in Hudson (W.D.) (ed.), The Is-Ought Question: A

115 l’autre. C’est bien ce que semblent avoir cherché à montrer Foot et Anscombe – Searle reconnaît sa dette envers cette dernière1.

Hudson choisit pourtant de les classer dans une autre rubrique. Celles-ci chercheraient en effet plus précisément à montrer que les jugements moraux sont eux-mêmes « descriptifs » plutôt que spécifiquement « évaluatifs ». Hare parle à ce propos de « descriptivisme »2. C’est cette position qu’il nous faut examiner de manière plus approfondie.

b) Le descriptivisme de Foot

Hudson retient pour Anscombe « Modern Moral Philosophy »3 et pour Foot « Les croyances morales »4 et « Goodness and Choice »5. Mais c’est dans « Moral Arguments »6 que Foot est, pour les articles de cette période, la plus explicite sur les thèses et les auteurs qu’elle entend critiquer. Foot dénonce une contradiction chez ceux qui sont influencés par l’émotivisme et en particulier chez Hare. D’une part ceux-ci prétendent qu’il y a une « rationalité du discours moral » et qu’il suffit de considérer tous les faits qui ont une influence sur un jugement moral pour que ce dernier soit « bien fondé ». Mais ils prétendent d’autre part que les arguments moraux peuvent toujours être mis en échec :

« Il n’est pas facile de voir comment “x est bien” peut être un jugement moral bien fondé quand “x est mal” peut être également bien fondé ».7

Foot prétend dans cet article réfuter « la théorie de la “mise en échec” » (the « breakdown »

theory) contre ceux qui prétendent qu’elle aurait été prouvée par Hume puis élaborée par

Stevenson, Ayer ou Hare.

Pour Stevenson, l’inférence de l’argument moral n’est qu’une connexion causale entre des croyances et des attitudes. Les inférences « valides » sont seulement celles auxquelles l’individu est psychologiquement disposé à donner son assentiment. Chacun peut donc

1 Ibid., note 6, p. 130.

2 Hare (R. M.), « Descriptivism » (1969), in Hudson (W. D.) (ed.), The Is-Ought Question: A Collection of Papers

on The Central Problem in Moral Philosophy, op. cit., p. 240-258.

3 Anscombe (G.E.M.), op. cit., repris dans Hudson (W.D.) (ed.), The Is-Ought Question: A Collection of Papers

on The Central Problem in Moral Philosophy, op. cit., p. 175-195.

4 Foot (Ph.), « Les croyances morales » in Zielinska (A.C.) (Textes réunis par), Métaéthique : Connaissance

morale, scepticismes et réalismes, trad. Kervoas (G.) et Sharkey (R.), Paris, J. Vrin, 2013 p.225-253 [Foot (Ph.),

« Moral Beliefs » (1958-59) in Foot (Ph.), Virtues and Vices, op. cit. p. 110-131, repris dans Hudson (W. D.) (éd.),

The Is-Ought Question: A Collection of Papers on The Central Problem in Moral Philosophy, op. cit. p. 196-213].

5 Foot (Ph.), « Goodness and Choice » (1961) in Foot (Ph.), Virtues and Vices, op. cit. p. 132-147, repris dans

Hudson (W.D.) (éd.), The Is-Ought Question: A Collection of Papers on The Central Problem in Moral

Philosophy, op. cit., p. 214-227.

6 Foot (Ph.), « Moral Arguments » (1958) in Foot (Ph.), Virtues and Vices, op. cit., p. 96-109. 7 Ibid., p. 96

116 argumenter comme il veut dans ce domaine pourvu que son discours soit cohérent et qu’il respecte les faits. Un tel « argument » peut être inefficace mais il ne peut pas à proprement parler être faux. Hare exclut quant à lui cette idée d’une inférence dénuée de toute règle de validité. L’argument moral repose sur les règles ordinaires du syllogisme mais requiert une prémisse majeure « évaluative ». L’argumentation repose en dernière analyse sur des jugements de valeur qui ne peuvent qu’être posés sans preuve de telle sorte que quelqu’un d’autre pourrait tout aussi bien les nier. Celui qui nierait ces prémisses ultimes ferait s’effondrer l’ensemble de l’argumentation qui repose sur elles.

« Ces deux conceptions de l’argument moral sont régies par l’idée selon laquelle il n’y a pas de lien logique entre les jugements de fait et les jugements de valeur, de sorte que chaque homme prend sa propre décision à propos d’une action d’après les faits qui sont pertinents par rapport à son évaluation. Pour nous opposer à cette conception, nous avons besoin de montrer qu’au contraire il est établi que certaines choses comptent et que certaines choses ne comptent pas en faveur d’une conclusion morale, et qu’un homme ne peut pas plus décider pour lui-même de ce qui vaut comme preuve concernant ce qui est bien et mal (rightness and wrongness) qu’il ne peut décider de ce qui vaut comme preuve pour l’inflation monétaire ou une tumeur au cerveau ».1

Foot prétend que, contrairement à ce que suppose Hare, les jugements portant sur les principes de nos raisonnements moraux ne sont pas arbitraires. Ils peuvent être justifiés par des jugements portant sur des « faits ». Il s’agit donc d’établir une relation « objective » entre les faits et les valeurs.

Moore voulait montrer que le bien (goodness) était une propriété « non-naturelle » mais ne parvenait pas à définir rigoureusement ce qu’il entendait lui-même par « propriété naturelle ». L’idée d’une fonction spéciale accomplie par les termes évaluatifs, fonction radicalement distincte de la fonction descriptive des autres termes, répond au besoin de distinguer plus clairement les jugements de fait des jugements de valeur. La propriété « non- naturelle » des jugements de valeur serait désormais identifiée2. Si l’on suppose que l’on a ainsi effectivement identifié la propriété f des jugements évaluatifs, s’ensuit-il que nous ne puissions pas déduire une conclusion évaluative à partir de prémisses descriptives ? Foot prétend prouver qu’il n’en est rien en analysant les arguments destinés à montrer qu’un certain comportement

1 Ibid., p. 99. 2 Cf. Ibid., p. 100.

117 est « impoli » (rude). En effet, « impoli » est un terme « évaluatif » selon les critères des « non- naturalistes » : il exprime la désapprobation, il est utilisé pour dissuader quelqu’un d’agir d’une certaine manière, il suppose que le type de comportement auquel il s’applique devrait être évité par celui qui l’utilise. Bref, il s’agit d’un terme qui sert à condamner une action1. Toutefois, ce

terme ne peut être utilisé que lorsque certaines descriptions s’appliquent. Il faut que le comportement en question soit offensant du fait du manque de respect qu’il dénote. Un comportement peut parfois être « naturellement irrespectueux »2 comme l’est par exemple le fait de bousculer quelqu’un pour passer. Les conditions d’un comportement pouvant être décrit comme « offensant » étant remplies, peut-on refuser de considérer ce comportement comme « impoli » ? Cela n’est pas envisageable sans explication supplémentaire, de même qu’il n’est pas possible de prouver que l’on est assis sur un tas de foin en invoquant le fait que l’objet sur lequel je suis assis possède quatre pieds et un dossier rigide3.

« Il s’en suit que si c’est une condition suffisante de P entraine Q que l’affirmation de P soit incompatible avec la négation de Q, nous avons là un exemple d’une prémisse non évaluative dont une conclusion évaluative peut être déduite ».4

On peut certes refuser cette implication, mais à condition de rejeter « l’ensemble de la pratique consistant à louer et à blâmer » impliquée dans des termes tels que « poli » ou « impoli ». Une fois la question de l’ « impolitesse » d’un comportement acceptée, ce type d’argument devra être accepté également. De même,

« […] quiconque utilise des termes moraux quels qu’ils soient, soit pour affirmer soit pour nier une proposition morale, doit se soumettre aux règles de leur usage, y compris les règles concernant ce qui devra compter comme preuves en faveur ou en défaveur du jugement moral concerné ».5

De manière générale, il n’y aurait pas de sens à dire qu’il est du devoir d’une personne d’agir de telle ou telle manière sans qu’au moins on essaye de dire pourquoi il en est ainsi.

1 Cf. Ibid., p. 102. 2 Ibid. 3 Ibid., p. 103. 4 Ibid., p. 104. 5 Ibid., p. 105.

118 « La question de savoir comment exactement les concepts de nuisance, d’avantage, de bénéfice, d’importance etc. se rapportent aux différents concepts moraux tels que la justice (rightness), l’obligation, la bonté, le devoir et la vertu est quelque chose qui a besoin de l’enquête la plus patiente, mais qu’ils se rapportent ainsi les uns aux autres semble indéniable, et il s’en suit qu’un homme ne peut décider par lui-même des considérations qui doivent être tenues pour des preuves en morale ».1

Foot reprend l’exemple proposé par Hare d’un homme estimant que la torture est moralement acceptable2. En réalité, cet homme ne pourrait pas nier que la torture nuit à celui qui la subit. Il

ne pourrait pas décider que la torture est bénéfique à cette personne. S’il décidait de ne considérer comme « nuisible » que ce qui lui nuit à lui seulement, il s’exclurait arbitrairement du champ de la discussion morale.

Dans « Les croyances morales »3, Foot présente également sa position comme une réaction à la prétendue réfutation du « naturalisme » reposant sur la distinction des énoncés factuels et des évaluations. Selon cette distinction, quelqu’un pourrait très bien refuser comme preuve factuelle d’une évaluation ce qu’un autre considérerait au contraire comme une preuve valable. Les prémisses sur lesquelles se fonderaient de tels jugements seraient en effet parfaitement arbitraires. Ainsi, on ne pourrait exclure qu’un « excentrique moral » considère légitimement qu’un homme est « bon » parce qu’il a joint ses mains à plusieurs reprises et qu’il ne s’est jamais tourné vers le nord-est après s’être tourné vers le sud-ouest4. Mais peut-on

extraire de la signification des termes évaluatifs un élément tel qu’il puisse s’appliquer à n’importe quel objet de telle sorte qu’il soit « extérieur » à l’objet auquel on l’applique ?5 Foot

juge cette hypothèse intenable :

« […] il n’y a pas de moyen de décrire la signification évaluative de “bon”, l’évaluation, la préconisation d’une action, indépendamment de l’objet auquel toutes ces attitudes sont censées se rattacher ».6

1 Ibid., p. 106.

2 Hare (R. M.), « Universalizability », Proceedings of the Aristotelian Society, 1954-1955 p. 304, cité par Foot

(Ph.), « Moral Arguments » in Foot (Ph.), Virtues and Vices, op. cit., note 6, p. 109.

3 Foot (Ph.), « Les croyances morales », op. cit. 4 Ibid., p. 226.

5 Ibid., p. 228-229. 6 Ibid., p. 229.

119 La fierté ou la peur par exemple sont « en relation interne avec leur objet »1. On ne peut être fier de n’importe quoi – il faut que l’objet appartienne d’une manière ou d’une autre à celui qui l’éprouve et que cela soit une sorte de réussite ou d’avantage. On ne peut pas davantage avoir

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