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La crise ukrainienne : des circonstances exceptionnelles pour faire une campagne ordinaire

L’EUROPE = LA DÉMOCRATIE

III.3.4 La crise ukrainienne : des circonstances exceptionnelles pour faire une campagne ordinaire

Comme prévu, la crise ukrainienne a servi de fond thématique autour duquel les différentes formations politiques se sont longuement opposées. Cette opposition qui s’est exprimée à travers des lectures différentes de la crise et une définition distincte du rôle que la Pologne devrait jouer dans la gestion de ce conflit qui secoue le pays voisin. Mais cette opposition a pu également être notée par rapport au sujet des thèmes classiques n’ayant rien à voir à priori avec la crise mais qui ont été ramenés à celle-ci pour tantôt actualiser le discours en l’inscrivant dans l’urgence de l’immédiat, tantôt pour faire de sorte à ce que la réalité de la crise serve d’argument à une position politique particulière. On peut avancer que ce sujet international par excellence a été dans une certaine mesure « renationalisé », à

                                                                                                               

83 « Kaczyński: Uzupełnijmy konstytucję o zapisy, które będą służyły wolności » (Kaczyński : Complétons la constitution par des dispositions au service de la liberté), Rzeczpospolita, le 3 mai 2014.

84 « Prezes przemówił do betonu smoleńskiego » (Le président du parti s’est adressé aux fanatiques de Smoleńsk), Gazeta Wyborcza, le 17 avril 2014.

85 « Ostatni atak na rywali », (Dernier attaque contre les adversaires), Rzeczpospolita, le 23 mai 2014.

savoir mis au service de l’affrontement électoral classique entre les deux principaux partis prétendant au gouvernement.

En somme, les débats souvent animés autour de la thématique de la crise n’opposaient pas à proprement parler des points de vue opposés puisque le soutien à la révolution ukrainienne constituait la seule option possible. Dès lors, l’opposition a été déplacée vers d’autres niveaux d’analyse du problème. On se serait attendu à ce que les différents leaders de partis proposent des plans d’action distincts qu’ils confronteraient alors, lors de débats, à ceux de leurs homologues en inscrivant ainsi leur point de vue dans une sorte de programme de campagne électorale en matière de politique étrangère. Or, sur le terrain et tout au long de cette campagne européenne, les responsables politiques ont rarement livré le détail de leurs vues stratégiques concernant le problème ukrainien.

Au contraire, l’analyse de la crise ukrainienne s’est résumée pour la majeure partie des représentants politiques en une sorte de constat d’échec qui a servi de tremplin pour revenir sur des sujets d’opposition datant de plusieurs années mais ravivés par « l’événement du jour ». Ainsi, des questions qui avaient opposé Droit et justice et Plateforme civique lors des européennes de 2014 et de 2009 ont ressurgi à travers le prisme de la crise ukrainienne, sans forcément bénéficier d’une nouvelle approche. En effet, une nouvelle fois, nous avons assisté à une critique de la politique européenne avec ses conséquences positives et négatives sur la vie quotidienne du Polonais moyen.

Les positions n’ont pas évolué : Droit et justice a dénoncé l’incapacité du gouvernement et des instances européennes à servir de façon efficace la cause européenne et à assurer par là la sécurité de la Pologne. Plateforme civique a au contraire fait remarquer que le discours polonais a été beaucoup plus porteur quand il s’inscrivait dans un contexte européen en rappelant au passage que la Pologne n’aurait jamais pu mener une politique étrangère aussi dynamique si elle n’avait pas été soutenue par l’ensemble des pays de l’Union européenne, notamment au sujet d’une indépendance énergétique à venir. Le parti de gauche, quant à lui, sans tenir un discours eurosceptique à fait rappeler que l’OTAN était la seule institution à même d’assurer de façon effective et immédiate la sécurité du pays et recommandait par conséquent un rapprochement avec les États-Unis.

S’il est dit que ces problématiques avaient largement été traitées lors des élections européennes précédentes, il n’en reste pas moins vrai que la crise ukrainienne les a ravivées en les remettant à l’ordre du jour.

Sur un plan purement sociologique, les évènements survenus en Ukraine ont replongé les Polonais dans le souvenir de leur propre histoire. Cela a été l’occasion pour le parti au pouvoir d’un côté et pour l’opposition de l’autre de souligner les acquis de la démocratie et la nécessité de la protéger contre tout fléau interne ou externe.

CONCLUSION

En tablant sur la crise ukrainienne et en multipliant les communications à ce sujet, les candidats polonais au Parlement européen sont certainement parvenus à donner un écho plus retentissant tout au long de cette période électorale. On aurait même pu présager une augmentation du taux de participation au vote. Néanmoins, faute de pédagogie et compte tenu du fait que les institutions européennes restent une réalité très mal connue du citoyen polonais moyen, les électeurs, ou plus exactement les abstentionnistes, n’ont pas forcément fait le lien entre des communications sur l’Ukraine et l’importance d’un vote dont ils ne mesurent probablement pas le poids des retombées.

Autrement dit, la crise ukrainienne aurait été abordée non pas en elle même et pour elle même mais en guise d’amplificateur à des oppositions qui étaient déjà largement exprimées par les différents partis politiques polonais. Cette instrumentalisation n’aura pas servi l’adhésion d’un plus grand nombre d’électeurs, puisque le taux de participation n’a pas évolué. Elle a, par ailleurs, creusé davantage l’écart idéologique et conceptuel qui s’était articulé entre les partis au fil des années. Cela n’est pas vain compte tenu du fait que la bataille politique de ces dernières années en Pologne se passait entre deux partis qui affichaient les mêmes couleurs politiques et dont les programmes variaient très peu. Ainsi, à défaut de pouvoir stimuler une participation plus massive aux élections européennes, le discours autour de la crise ukrainienne aura du moins servi à faire le partage entre un parti conservateur Droit et justice qui prône la retenue et un parti plus soudé à la Communauté européenne, Plateforme civique, qui cherche à faire une meilleur usage du bouclier diplomatique européen.

Par ailleurs, si l’on ne raisonnait plus en termes de savoir-faire « politique » et qu’on tentait de trouver une explication neutre à l’inefficacité de cette campagne articulée autour des évènements en Ukraine, on pourrait oser une interprétation plus générale qui consisterait à dire que la politique étrangère n’est pas un bon créneau dans le cadre des élections, quelle que soit la nature de celles-ci.

En effet, dans un pays de l’envergure de la Pologne, la politique étrangère ne représente plus un vecteur porteur, susceptible de changer la mise, de bouleverser les statistiques et surtout d’augmenter le taux de participation dès lors que le problème soulevé ne partage pas vraiment la population. Or, compte tenu de

son histoire, le peuple polonais soutenait naturellement et unanimement le voisin ukrainien. Le dialogue aurait pu être porté alors sur la stratégie et les modes d’action que prévoyait chacun des partis politiques. Néanmoins, les tentatives, aussi rares ont-elles été, dans ce sens sont restées sans écho. Ayant compris cela, les politiques ont cessé d’approfondir le sujet et ont essayé de ramener la crise ukrainienne à des problèmes internes.

Le discours sur la crise a porté à un certain moment sur la démocratie en Pologne. Il venait rappeler aux Polonais combien celle-ci était à la fois précieuse et fragile. Ce retour vers le passé aurait pu donner l’occasion à tous les acteurs politiques de se livrer à un véritable débat de fond autour de cette problématique. Malheureusement, le sujet n’a jamais été approfondi, même s’il pouvait, à notre sens, s’avérer mobilisant dans le contexte d’une telle élection.

En Pologne – mais cela peut concerner bon nombre d’autres pays de l’Union européenne – la politique étrangère, aussi passionnante soit-elle, n’aura pas su impliquer les populations. En y référant dans leurs discours et en se plaçant dans l’actualité, les différents partis politiques ne sont pas parvenus à en faire un thème central dans leurs campagnes électorales. L’actualité, quand elle ne touche pas directement aux intérêts et aux préoccupations des citoyens, ne suffit pas à rassembler et à mobiliser. Cela permet de dire que dans ces pays où l’économie est en marche et où les changements sont palpables, seuls les problèmes internes (qu’ils soient d’ordre économique ou idéologique) parviennent à retenir l’attention. Pour qu’un événement extérieur puisse réellement s’inviter au cœur des débats, il faudrait que l’opinion à propos de ce même événement soit fondamentalement partagée. Cela n’a pas été le cas en ce qui concerne l’Ukraine. Une discussion autour de la participation ou de la non-participation de la Pologne à la seconde guerre en Irak aurait sans doute suscité plus de partis pris, parce qu’il y aurait été question d’intérêts et de craintes propres aux citoyens polonais.

S’il est dit que le taux de participation aux élections européennes ne témoigne pas d’un intérêt réel des Polonais pour la politique de l’Union européenne, il n’en reste pas moins vrai que des évènements particuliers tels que la nomination de Donald TUSK au poste de Président du Conseil européen en août 2014 pourraient changer le cours des choses. Peut-être que cette représentation polonaise finira par inciter à une participation plus importante, voire à une certaine forme de confiance vis-à-vis des institutions européennes.

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