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UNE CAMPAGNE PAS COMME LES AUTRES ? soutenu par Katarzyna CZORA CIL Promotion Jean de La Fontaine (2013-2014)

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Université de Strasbourg École nationale d’administration    

                       

 

   

       

 

Master « Administration publique »

Parcours « Administration publique générale »

 

UNE CAMPAGNE PAS COMME LES AUTRES ?

L’ENJEU UKRAINIEN DANS LA CAMPAGNE ÉLECTORALE POUR LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES DE 2014 EN POLOGNE

soutenu par Katarzyna CZORA

CIL Promotion Jean de La Fontaine (2013-2014)

 

Sous la direction de Mme Dorota DAKOWSKA

 

Jury composé de :

M. Gabriel ECKERT, président

Mme Dorota DAKOWSKA, directeur de mémoire M. Fabrice LARAT, membre du jury

 

Décembre 2014

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Direction de la Formation

Service des formations diplômantes

Master Administration Publique Générale

Promotion Jean de La Fontaine ATTESTATION

Je soussignée Katarzyna CZORA

Déclare par la présente avoir fourni seule et sans recourir à aucune aide illicite le travail nécessaire à la rédaction de mon mémoire dont le titre est : Une campagne pas comme les autres ? L’enjeu ukrainien dans la campagne électorale pour les élections européennes de 2014 en Pologne.

Je reconnais en particulier n'avoir en aucune manière recouru aux pratiques de plagiat ni à des sources (bibliographiques, électroniques ou autres) autres que celles détaillées dans le présent mémoire.

Toutes les mentions des sources, citations, renvois, références, etc. ont été explicitement signalées comme telles.

Fait à Strasbourg, le 19 décembre 2014

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RESUMÉ

Dans toute sorte d’élections, les candidats et leurs partis cherchent de nouveaux moyens leur permettant le pus grand nombre d’électeurs possible.

Les élections européennes constituent le seul scrutin universel direct où le débat électoral devrait, à priori, porter davantage sur des questions internationales – communautaires en l’occurrence – que sur des problèmes nationaux. Cela dit, le faible intérêt des électeurs et les taux d’abstention constamment élevés confirment le caractère secondaire de ce vote, qui selon la grande majorité des citoyens européens n’a pas d’incidence palpable sur leur vie quotidienne.

La crise ukrainienne, déclenchée à Kiev en novembre 2013, a suscité en Pologne de vives réactions à la fois de la part des acteurs publiques et de la société civile, jusqu’à s’inviter dans les débats de la campagne électorale européenne.

L’objectif de la présente étude sera de voir en quoi précisément consistait l’instrumentalisation du « dossier ukrainien » par les partis polonais en campagne, quels étaient dans cette perspective les stratégies des principales formations politiques et à quel point elles ont été efficaces du point de vue d’un citoyen polonais ordinaire.

ABSTRACT

In any kind of elections, the candidates and their parties seek new ways to attract the widest possible bloc of voters. The European elections are the only direct universal suffrage where the electoral debate should cover international issues to a greater extent – European in this case – not only national ones. However, the low voter interest and high abstention rates confirm the second-order nature of the vote that for the vast majority of European citizens has no real impact on their daily lives.

The Ukrainian crisis, triggered in Kiev in November 2013, has sparked strong reactions in Poland, both among actors and the society, and entered into debates of the European election campaign.

The objective of this study is to analyze what exactly the instrumentalization of the " Ukrainian matter" by Polish parties meant, what were, in this perspective, the main political strategies and to see whether they were effective from the point of view of an ordinary Polish citizen.

MOTS CLÉS

#campagne électorale, #crise ukrainienne, #élections de second ordre, #élections européennes en Pologne, #enjeu européen, #instrumentalisation politique

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TABLE DES MATIERES

 

INTRODUCTION 4

I. LES ELECTIONS EUROPEENNES : OBJET D’ETUDES POLITIQUES,

ADMINISTRATIVES ET SOCIOLOGIQUES 9

I.1DES ELECTIONS DE SECOND ORDRE ? 9

I.2LA CONSTRUCTION DE LENJEU EUROPEEN DANS LES ESPACES NATIONAUX 14 I.2.1L’EUROPEANISATION DUNE SPHERE PUBLIQUE NATIONALE EN PLEINE

TRANSFORMATION SYSTEMIQUE 14

I.2.2L’EUROPEANISATION DE LA CAMPAGNE ELECTORALE 15

I.3QUELLE COMMUNICATION ELECTORALE EUROPEENNE ? 17

II. LES ELECTIONS EUROPEENNES EN POLOGNE 19

II.1LES ELECTIONS EUROPEENNES DE 2004 ET 2009 : EVOLUTION DES ENJEUX 20 II.2LE SCRUTIN EUROPEEN DE 2014 : ENJEUX POLITIQUES ET ELECTORAUX 22 III. L’ETUDE DE CAS : TRAITEMENT DE LA CRISE UKRAINIENNE DANS LA

CAMPAGNE ELECTORALE EUROPEENNE 2014 EN POLOGNE 24

III.1LA CRISE UKRAINIENNE : QUELS ENJEUX POUR L’EUROPE ET POUR LA POLOGNE ? 24 III.2UNE RESSOURCE POUR LES PARTIS POLITIQUES EN CAMPAGNE ? 28 III.3LES USAGES STRATEGIQUES DE LA CRISE PAR LES PRINCIPALES FORMATIONS 32 III.3.1LA QUESTION DE SECURITE : UN THEME RECURRENT 33 III.3.2L’INDEPENDANCE ENERGETIQUE : LOUVERTURE DUN DEBAT INATTENDU 37 III.3.3LA DEMOCRATIE : SUCCES POLONAIS ET VALEUR EUROPEENNE CAPITALE 41 III.4LA CRISE UKRAINIENNE : DES CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES POUR FAIRE

UNE CAMPAGNE ORDINAIRE 43

CONCLUSION 46

BIBLIOGRAPHIE 48

SITOGRAPHIE 52

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INTRODUCTION    

Entre le 22 et le 25 mai 2014, 42,54% des électeurs européens, dont 23,82%1 des polonais élisaient les 751 nouveaux députés du Parlement européen, seule institution de l’Union européenne élue au suffrage universel direct. Si la coïncidence de ces dates avec le jour des élections présidentielles anticipées en Ukraine (le 25 mai 2014) n’a été qu’un hasard, le scrutin européen et la campagne le précédant se sont déroulés dans un contexte international particulier : suite à la décision de ne pas signer l’accord d’association avec l’Union Européenne, prise par les autorités ukrainiennes le 21 novembre 2013, le pays a commencé progressivement à sombrer dans une crise politique de plus en plus profonde ; crise qui révélait déjà à l’époque un enchevêtrement irréversible.

La Pologne qui, des années durant, s’était activement engagée dans le soutien au processus de démocratisation ukrainienne, a été particulièrement alarmée par la dégradation violente de la situation politique chez son voisin de l’Est.

Les préoccupations exprimées étaient d’autant plus vives que le bouleversement politique a été suivi de l’annexion de la Crimée par la Fédération russe. Ainsi, le débat, souvent virulent, a graduellement gagné toute la classe politique polonaise en impliquant tous les acteurs de la vie publique.

Cette tension s’est amplifiée d’autant plus que les nombreuses commémorations importantes qui étaient prévues dans le calendrier polonais et qui avaient un lien direct avec la Russie et l’Ukraine allaient automatiquement être entachées, ou du moins influencées, par les évènements qui se produisaient chez le voisin. En effet, en 2014 les Polonais commémoraient plusieurs évènements d’une importance historique : le 25ème anniversaire des premières élections semi- libres et de la victoire de l’opposition démocratique réunie autour du mouvement Solidarność2 ; victoire qui a offert à la Pologne une liberté politique permettant d’entamer la voie démocratique, rendant possible son adhésion à l’OTAN (15ème anniversaire de l’adhésion de la Pologne à l’organisation) et aboutissant à son entrée dans l’Union européenne (10ème anniversaire). Il va sans dire que dans le contexte de ces multiples célébrations, la crise ukrainienne pesait de plus en plus,                                                                                                                

1http://www.touteleurope.eu/actualite/labstention-dans-les-etats-membres-aux-elections- europeennes-2014.html

2 « Solidarité » : Fédération de syndicats polonais, fondée le 31 août 1980 et dirigée par Lech Wałęsa.

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pour finir par prendre une dimension symbolique à plus d’un titre. Le paradoxe était tel que les conflits en Ukraine ravivaient la mémoire des mobilisations collectives par lesquelles la Pologne était elle même passée, donnant ainsi une force croissante à l’histoire de Solidarność et incitant tous les acteurs politiques à communiquer, prendre position et à dénoncer ce qui se passait en Ukraine.

Depuis sa transition démocratique des années 1989-1990, compte tenu d’une longue histoire commune, tantôt paisible et tantôt tourmentée, la Pologne avec ses différentes représentations gouvernementales s’est trouvée naturellement impliquée dans le suivi de l’évolution ukrainienne. Qu’ils soient de gauche ou de droite, les gouvernements polonais successifs se sont efforcés de jouer un rôle de médiateur à l’égard de leur voisin ukrainien et ce, de deux manières. D’une part, ils se sont appliqués à guider et à conseiller leurs homologues ukrainiens dans un processus de démocratisation et d’européanisation très sensible en raison des réticences russes. D’autre part ils se sont retrouvés en position d’intermédiaire, voire même de porte-parole dans les relations de l’Ukraine avec les pays de l’Europe occidentale et les États-Unis.

Avec la crise de gouvernance déclenchée à Kiev en 2013 et se poursuivant tout au long de 2014, les médias polonais ont repris de façon récurrente les principaux évènements jusqu’aux moindres détails, si bien qu’ils ont participé à rendre plus visible le conflit qui secouait l’État voisin. Le « printemps ukrainien » avec toutes ses conséquences géopolitiques devenait – quasiment – une cause polonaise. Étant donné la proximité et la médiatisation des évènements chez le voisin, le conflit ukrainien s’est invité dans les débats de la campagne électorale européenne en Pologne. Préoccupés par l’actualité brûlante de cette année ukrainienne, les candidats au Parlement européen se sont vus obligés d’exprimer leur point de vue, d’envisager des alternatives de résolutions et d’improviser des débats publics souvent animés avec leurs rivaux. A certains moments de cette campagne européenne, les discussions – pourtant largement suivies par les citoyens polonais – autour des différents moyens de faire face à la crise économique mondiale se sont estompées devant l’urgence et la gravité de la crise ukrainienne.

Dans ce contexte politique d’actualité, nous avons souhaité analyser de plus près comment et suivant quels angles le conflit ukrainien, dans ses divers aspects, s’est imposé dans le débat électoral européen en Pologne. Nous avons tenté d’en

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mesurer la portée, la pertinence et les conséquences sur l’opinion publique pour voir s’il a réellement constitué un vecteur clivant, s’il a mobilisé les Polonais en insufflant chez eux un intérêt pour la politique étrangère et par là, pour les élections européennes ou si, au contraire, il a renforcé le sentiment national en exhumant les souvenirs des mobilisations passées en en occultant les enjeux proprement européens de ces élections.

Les hypothèses qui se sont imposées dès le départ de notre réflexion étaient de natures variées. La première hypothèse est que le débat autour des élections allait être déplacé du contexte national qui s’était imposé lors des scrutins de 2004 et de 2009 vers un contexte international articulé autour de la question ukrainienne.

En effet, puisque le contexte géopolitique du printemps 2014 a marqué les esprits, il pouvait avoir un impact sur les comportements électoraux. Il a pour ainsi dire permis d’européaniser des sujets qui avaient jusque là été débattus dans un cadre national. Nous avons ainsi, tout au long de la présente étude, tenté d’identifier des preuves attestant que les évènements en Ukraine ont eu une incidence sur le débat électoral européen en Pologne et ce, par rapport notamment à des aspects de la vie publique qui apparaissaient jusque là comme étant des questions internes et nationales.

En outre, nous nous sommes posé la question de savoir si, conformément aux thèses de nombreuses études réalisées dans le domaine de la sociologie électorale, les européennes de 2014 en Pologne présentaient effectivement des caractéristiques de ce que l’on appelle les « élections de second ordre », à savoir des élections considérées comme moins importantes, banalisées sinon par les partis politiques, du moins par les électeurs3.

Enfin, suivant le même ordre d’idées, nous avons souhaité comprendre en quoi consistaient l’instrumentalisation des sujets sensibles de l’actualité et l’exploitation d’un scrutin supranational européen à des fins politiques nationales.

Car, s’il est dit que la campagne électorale pour les élections parlementaires européennes marque un moment collectif où un agenda électoral commun est censé émerger, focalisant ainsi l’attention des électeurs sur l’Union européenne, il ne reste pas moins vrai que sur le terrain elle a quasiment toujours « constitué un                                                                                                                

3 REIF, Karlheinz, SCHMITT, Hermann, (1980), « Nine second-order national elections : A conceptual framework for the analysis of European election results », European Journal of Political Research, n°8, pp 3-44.

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terrain d’affrontement à usage interne où l’on se compte, où l’on se place pour des combats à venir »4.

Dans notre réflexion sur les questions soulevées ci-dessus, nous avons puisé dans deux sources d’informations portant sur ce sujet : la presse quotidienne polonaise de l’époque (printemps 2014) et les outils officiels de la communication partisane. Ainsi, entre mars 2014, marquant le début de la campagne, et la fin mai 2014, nous avons suivi et analysé les articles des deux principaux quotidiens polonais : Gazeta Wyborcza (tendance libérale) et Rzeczpospolita (tendance conservatrice). Parallèlement, nous nous sommes penchée sur les spots électoraux des différents partis proposant des candidats au scrutin européen.

Bien que la présente étude n’ait pas l’ambition de produire une analyse statistique exhaustive, puisqu’elle privilégie une méthodologie empirique qualitative, elle est à même d’apporter des éléments de réponse suffisamment pertinents quant à la problématique que nous nous fixons. En effet, sans prétendre à présenter ici une analyse de l’ensemble des publications et des interventions écrites et/ou audiovisuelles portant sur les élections européennes en Pologne, nous avons choisi de nous concentrer sur des observations qui nous paraissaient particulièrement pertinentes et à même de caractériser objectivement le poids et l’influence de la question ukrainienne sur les élections européennes de 2014, telles qu’elles se sont déroulées dans ce pays.

L’étude de la campagne pour les élections européennes de 2014 en Pologne sera précédée d’une analyse théorique nous permettant de bien déterminer l’outillage conceptuel de notre analyse. Ainsi, dans un premier volet, nous allons nous intéresser aux élections européennes en tant qu’objet d’études politiques, administratives et sociologiques. Dans un second volet, nous allons nous pencher sur les grandes lignes du déroulement des trois élections européennes en Pologne (2004, 2009, 2014), ce qui nous conduira, enfin, à une étude plus détaillée de la problématique du traitement de la crise ukrainienne dans la campagne pour les européennes de 2014 en Pologne.

Au-delà de son apport à la connaissance du déroulement des scrutins européens dans les nouveaux États membres de l’Union européenne, l’étude de notre corpus nous permettra de saisir plus finement la perception polonaise de la                                                                                                                

4 GERSTLÉ, Jacques, NEUMAYER, Laure, COLOMÉ, Gabriel, (2005), « Les campagnes électorales européennes ou l’«obligation politique relâchée », in. PERRINEAU (2005), p.26.

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crise politique en Ukraine, qui, douze mois après le début des émeutes à Kiev, demeure un sujet d’actualité préoccupant.

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I. LES ÉLECTIONS EUROPÉNNEES : OBJET D’ÉTUDES POLITIQUES, ADMINISTRATIVES ET SOCIOLOGIQUES

Les lectures que nous avons faites avant d’aborder notre analyse de la campagne électorale européenne de 2014 en Pologne confirment que le mécanisme complexe des élections européennes fait l’objet de travaux de spécialistes des domaines variés. Depuis 1979, date des premières élections directes au Parlement européen, des politologues, des sociologues et des linguistes analysent tous les aspects du scrutin européen : les enjeux, les comportements électoraux, le discours électoral, et ainsi de suite. C’est ainsi qu’a émergé depuis un certain temps un courant scientifique appelé « European Election Studies » (EES : Études des élections européennes). Étant donné que la Pologne n’est membre de l’Union européenne que depuis 2004 et que ses citoyens ne se sont exprimés jusqu’alors que dans trois élections européennes (celles de 2004, de 2009 et de 2014), la réflexion scientifique et la littérature spécialisée consacrées à ce sujet restent relativement restreintes. Cela n’empêche pas pour autant que depuis son adhésion à l’Union européenne, la Pologne fait régulièrement l’objet d’études de chercheurs européens, qui s’intéressent notamment à l’incidence de son histoire et du contexte géopolitique sur ses décisions politiques et les attitudes à l’égard de l’UE.

Ainsi, dans la première partie du présent travail, nous présentons certains concepts analytiques fondamentaux relatifs aux élections du Parlement européen, pour tenter de les transposer dans le contexte polonais. Une notion incontournable dans l’analyse des élections européennes, passée désormais dans les usages journalistiques, est celle des élections de second ordre.

I.1 Des élections de second ordre ?

Il existe une abondante littérature autour du cadre conceptuel développé par Karlheinz REIF et Hermann SCHMITT en 1980, suite aux premières élections universelles directes au Parlement européen, qui se sont déroulées en juin 19795 dans neuf États membres de la Communauté économique européenne de l’époque.

                                                                                                               

5 REIF, Karlheinz, SCHMITT, Hermann, (1980), op.cit.

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Dans leur article fondateur « Nine second-order national elections : A conceptual framework for the analysis of European election results », publié en 1980 et établissant le concept des « élections de second ordre », deux chercheurs allemands avancent l’hypothèse selon laquelle la composition du Parlement européen ne reflète pas la véritable distribution des forces politiques au sein des Communautés européennes. En effet, non seulement les parlementaires sont-ils élus dans un scrutin d’importance secondaire, mais de surcroit il n’est pas infondé de considérer ce vote comme une juxtaposition de neuf en 1979 – et de vingt-huit en 2014 – scrutins parallèles nationaux de second ordre6. Selon Karlheinz REIF et Hermann SCHMITT, les résultats des élections européennes nous apprennent ainsi davantage sur l’organisation et la popularité des forces politiques nationales dans chacun des États membres, que sur la véritable perception des problématiques européennes par les citoyens. Pour défendre cette thèse, les auteurs distinguent un certain nombre de critères structurants, caractéristiques des élections parlementaires européennes :

- la faible participation,

- l’éclatement du spectre politique7,

- l’émergence d’un vote de sanction à l’égard du parti au pouvoir, - la primauté des enjeux nationaux sur les enjeux européens8.

Si l’on tente d’appliquer la thèse de REIF et SCHMITT au contexte polonais, l’abstention particulièrement élevée aux trois dernières scrutins européens (54,5%

en Europe contre 79,13% en Pologne en 2004 ; 56,9% en Europe contre 75,47%

en Pologne en 2009 et 57,46% en Europe contre 76,18% en Pologne en 20149) montre que ces élections mobilisent régulièrement un électorat fortement restreint.

La popularité de ce scrutin dépend en effet du niveau de conviction quant aux bénéfices politiques, économiques ou sociaux palpables découlant du simple fait d’être État membre l’Union européenne10. Même en Pologne, entrée dans l’UE en 2004 et considérée désormais comme l’une des sociétés européennes les plus euro-enthousiastes, il persiste une certaine méfiance à l’égard de l’Union, qui se                                                                                                                

6 On comprend par les élections nationales de second ordre des élections nationales, locales par exemple, considérées comme moins importantes par les acteurs politiques et par les électeurs, car même si elles restent ouvertes à l’influence des partis politiques nationaux, l’enjeu politique n’est pas le même que celui d’un scrutin central.

7 http://www.prezydent2010.pkw.gov.pl/PZT1/PL/WYN/F/index.htm

8 REIF, Karlheinz, SCHMITT, Hermann, (1980), op.cit., p.9.

9 http://pkw.gov.pl/wyniki-wyborow-i-referendow/wybory-i-referenda.html

10 Ibid., p.18.

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traduit, d’un côté, par l’incompréhension des mécanismes politiques européens et, d’un autre côté, par un manque général de mobilisation électorale, perceptible aussi bien à l’occasion des élections dites de second ordre, comme les élections locales (taux de participation de 46,4% en 2014) ou européennes (taux de participation de 23,82% en 2014), que dans le cadre des élections de premier ordre : les parlementaires (taux de participation de 46,29% en 2011) et les présidentielles (taux de participation de 54,94% en 2010).

L’observation des campagnes pour les européennes montre également que ce type d’élections favorise l’émergence de forces politiques marginales11. L’année 2014 a été marquée par la percée, perceptible dans plusieurs pays européens, des partis souverainistes ou d’extrême droite (comme le Front National en France ou UKIP en Grande Bretagne). Ce phénomène n’est pas nouveau, puisque des représentants du Front National ont été élus au Parlement européen déjà dans les années 1980. En Pologne, la Ligue des Familles Polonises (Liga Polskich Rodzin), un parti de la droite nationaliste, a intégré le Parlement européen aux élections de 2004 (avec 16% de voix) mais a échoué à envoyer des représentants à Bruxelles en 2009 ayant obtenu seulement 1% des voix12. Au printemps 2014, tel a été le cas du parti polonais Congrès de la Nouvelle Droite (Kongres Nowej Prawicy) du conservateur ultra-libéral sur le plan économique Janusz KORWIN-MIKKE. Ce parti conservateur et eurosceptique périphérique, crée en 2010 et inexistant jusqu’alors dans le débat public polonais, a réussi à rassembler 7,15% des voix, mobilisant notamment un nombre inattendu de jeunes électeurs, attirés par ses postulats antipolitiques et subversifs. Plutôt que de témoigner de la radicalisation de la société polonaise, ce résultat a été interprété – à juste titre – comme un signe de contestation et un message d’avertissement au gouvernement.

En effet, en fonction des cycles électoraux des États membres, les élections parlementaires européens sont souvent considérées au niveau national comme un test pour les partis du gouvernement. S’il arrive que les résultats de cette épreuve s’avèrent négatifs, c’est parce qu’un vote sanction à l’égard du gouvernement constitue le moyen d’exercer une pression, que ce soit par ses adversaires, ou par                                                                                                                

11 ABRIAL, Stéphanie, PINA, Christine, (1999), « Les quinze pays de l'Union : une consultation de

« second ordre » ? », Revue française de science politique, 49ème année, n°4-5, pp.707-718.

12 DAKOWSKA Dorota, (2010), « Whither Euroscepticism? The Uses of European Integration by Polish Conservative and Radical Parties », Perspectives on European Politics and Society, septembre 2010, vol. 11, n°3, pp. 254-272.

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ses partisans, qui cherchent à mobiliser davantage leurs représentants13. C’est de cette façon que sont interprétés les résultats des européennes 2014 en Pologne, dans le cadre desquelles le parti du gouvernement Plateforme civique (Plateforme civique) a dépassé à peine Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość), en obtenant 32,13%, contre 31,78% des voix 14.

La dernière grande caractéristique des élections de second ordre conceptualisées par Karlheinz REIF et Hermann SCHMITT et décrites ensuite par de nombreux spécialistes dans le domaine, est celle de la primauté des enjeux nationaux sur les enjeux européens dans les campagnes européennes. C’est sur les différents aspects de cette problématique que nous allons nous concentrer dans notre analyse du traitement de la crise ukrainienne dans la campagne électorale européenne de 2014 en Pologne. Vu que le rôle et le fonctionnement du Parlement européen demeurent inconnus ou incompréhensibles pour un nombre important de citoyens ordinaires, il n’est pas rare que les problématiques soulevées pendant la campagne électorale concernent avant tout les dossiers d’actualité nationaux15. En fonction de la ligne politique du parti, leur soi-disant européanisation consiste le plus souvent à adopter à l’égard des institutions européennes une attitude revendicative. Tel a été, entre autres, le cas du récent paquet énergétique, dont les conditions d’adoption ont été largement débattues tout au long de la campagne électorale européenne de 2014 : instrumentalisé à des fins politiques nationales, il a servi aux partis d’opposition polonais à pointer l’indolence du gouvernement sur la scène internationale et à souligner par là le besoin de défendre à tout prix les intérêts nationaux, restant sous certains aspects en contradiction avec l’agenda européen.

Les phénomènes définis comme caractéristiques des élections de second ordre se croisent et s’interposent. Si leur dénominateur commun existait, ce serait probablement ce que plusieurs spécialistes appellent le « déficit de démocratie »16. Conformément aux dispositions du Traité de Paris de 1951, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) était soumise au contrôle de l’Assemblée Parlementaire, tout en laissant celle-ci en marge du processus de                                                                                                                

13 REIF, Karlheinz, SCHMITT, Hermann, (1980), op.cit., p.10.

14 http://pkw.gov.pl/2014/.

15 GAXIE, Daniel, HUBÉ, Nicolas, DE LSSALLE, Marine, ROWELL, Jay (dir.), (2010), L’Europe des Européens. Enquête comparée sur les perceptions de l’Europe, Paris, Economica.

16 KLAUS, Katarzyna, (2004), « Pojęcie i źródła deficytu demokracji w Unii Europejskiej », Studia Europejskie 2004, n°2 (30), pp.53-71.

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décision. Dans ce contexte, le vote de 1979 – la première élection du Parlement européen au suffrage universel direct – a certes renforcé la légitimité démocratique des Communautés européennes en neutralisant ce déséquilibre institutionnel intrinsèque17. Cela dit, trente-cinq ans plus tard, le faible intérêt des Européens pour la composition du Parlement européen, son rôle au sein du processus de décision européen et l’influence de la juridiction européenne sur les politiques nationales témoigne d’une constante fragilité démocratique.

Au nom de l’efficacité du processus de décision supranational européen, le déficit de démocratie a été inscrit en quelque sorte dans la nature des Communautés européennes par le Traité de Paris de 1951 et les Traités de Rome de 195718. Même si le Traité de Lisbonne, adopté en 2007, renforce les compétences du Parlement européen en le rendant plus visible au plan institutionnel européen, cela ne consolide pas pour autant la mobilisation des électeurs. En effet, la démocratie étant toujours perçue comme l’attribut de l’État- nation et de ses citoyens, l’Union européenne se voit refuser le rôle joué traditionnellement par l’État19. D’où le caractère de second ordre des campagnes électorales européennes, dominées, depuis le début, par des enjeux nationaux et caractérisées par un faible degré d’européanisation20.

Dans sa critique du cadre conceptuel de Karlheinz REIF et de Hermann SCHMITT, Pippa NORRIS de l’Université de Harvard présume que « tant que les élections des membres du Parlement européen resteront des élections de second ordre, la légitimité et l’autorité de cette institution seront remises en question »21. Même si ce constat a été formulé avant l’adoption en 2007 du Traité de Lisbonne, qui renforce le rôle et la visibilité du Parlement, nous partageons cet avis exprimé par de nombreux spécialistes. A notre sens, ce qui manque à l’Union européenne, outre le cadre juridique et le cadre institutionnel désignés à rassembler les Européens dans la construction commune de leurs espace politique, c’est en effet une plus forte identité communautaire qui, en complément à l’identité nationale22,                                                                                                                

17 Ibid. p.55.

18 Ibid.

19 Ibid. p.70.

20 BRACK, Nathalie et al., (2010), « L'Europe en campagne électorale : une analyse croisée des médias nationaux », Politique européenne, 2010/2 n° 31, p.175.

21 NORRIS, Pippa, (1997), « Nominations and reflections : Second-order elections », European Journal of Political Research, n°31, p.114.

22 KLAUS, Katarzyna, (2004), op.cit., p.70.

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contribuerait à placer les élections parlementaires européennes dans la catégorie des élections de premier ordre.

I.2 La construction de l’enjeu européen dans les espaces publics nationaux

L’européanisation de la sphère publique nationale est un processus pluridimensionnel qui consiste, dans un premier temps, à construire, diffuser et à institutionnaliser les règles formelles et informelles, les procédures, les paradigmes politiques, les styles, les « façons de faire les choses », ainsi que les croyances et les normes communes définies et consolidées tout au long de la chaîne de décision au sein de l’Union européenne, pour les incorporer, dans un second temps, dans la logique du discours national, dans les identités, les structures politiques et les politiques publiques 23 . Ces évolutions complexes et durables ont été particulièrement intéressantes dans les pays de l’Europe centrale, où coïncidant avec les transformations post-communistes, elles ont pu s’y joindre pour aboutir à des solutions hybrides singulières.

I.2.1 L’européanisation d’une sphère publique nationale en pleine transformation systémique

En tant que symbole de rupture avec le système communiste, l’intégration européenne a souvent été instrumentalisée par les acteurs politiques polonais pour se définir et se positionner dans les nouveaux systèmes politiques24. Laure NEUMAYER, spécialiste de la question de l’européanisation dans l’action publique et dans les espaces publiques de l’Europe centrale, notamment en Hongrie, en Pologne et en République tchèque, dénomme cette stratégie la « domestication du sens de l’intégration européenne »25.

                                                                                                               

23 RADAELLI, Claudio, (2000), « Whither Europeanization? Concept stretching and Substan- tive Change », European Integration Online Papers (EIoP), 4 (2000), n°8, http://eiop.or.at/eiop/pdf/2000- 008.pdf.

24 NEUMAYER, Laure, (2002), La construction de l’enjeu européen dans trois pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne : une analyse comparée de la Hongrie, la Pologne et la République tchèque.

25 Ibid., p.2.

(16)

Dans la Pologne des années 1990, la construction de ce que l’on appelle

« l’enjeu européen » s’est effectuée en même temps sur le plan politique et sur le plan idéologique. Dans son étude « Pour une sociologie politique de l’européanisation : l’enjeu européen dans les compétitions partisanes en Europe centrale »26, Laure NEUMAYER évoque ainsi l’ancienne dissidence polonaise liée au mouvement de Solidarność, dont les protagonistes ont mis en corrélation symbolique tout au long du processus de la transformation du système politique polonais et du rapprochement du pays à l’Union européenne l’opposition au communisme et l’intégration européenne. Suivant le même ordre d’idées, les conservateurs polonais ont choisi d’accentuer leur scepticisme à l’égard de la construction européenne afin de gagner en reconnaissance de la part de certains électorats. Ainsi, dès l’entrée de la Pologne dans la phase de pré-adhésion à l’Union européenne, les questions liées à l’intégration européenne sont devenues l’objet de rapports de force, dont se sont servis les diverses formations politiques pour se positionner dans la réalité post-communiste, légitimer certaines démarches et définir des identités partisanes, qu’elles soient pro ou anti-européennes.

I.2.2 L’européanisation de la campagne électorale

Compte tenu de ce contexte spécifique, il semblerait que la problématique du déficit de démocratie européenne demeure dans les pays de l’Europe centrale une question plus prégnante que chez les anciens membres de l’Union européenne, qui se caractérisent par une plus longue tradition démocratique. Or, depuis les premières élections des parlementaires européens de 2004, le taux d’abstention en Pologne n’est jamais descendu au dessous de 75%, ce qui affermit l’hypothèse du caractère secondaire de ce scrutin toujours sous-estimé.

En effet, s’il est dit que les campagnes électorales européennes donnent une occasion pour discuter ensemble, entre acteurs politiques, intellectuels et citoyens ordinaires, de la place de l’Europe dans l’espace public national27, la rareté, voire même l’absence dans le débat public des références aux processus politiques                                                                                                                

26 NEUMAYER, Laure, (2006), « Pour une sociologie politique de l’européanisation : l’enjeu européen dans les compétitions partisanes en Europe centrale », Revue Française de Science Politique, n°56 (5), pp.802-803.

27 BRACK, Nathalie et al., (2010), op.cit., p.174.

(17)

européens, une faible implication des acteurs supranationaux et le manque régulier de substance des campagnes28 remettent leur utilité en question.

Le Parlement européen dont les membres sont élus au suffrage universel direct demeure une institution lointaine et opaque. Non seulement ses règles de fonctionnement et son véritable poids décisif sont méconnus d’un grand nombre d’Européens non spécialistes en la matière, mais en plus le lien concret entre les grands partis européens et leurs membres nationaux restent difficiles à établir. En Pologne, l’appartenance partisane des candidats n’étant pas indiquée sur les bulletins de vote, dans leur choix de parlementaires européens, les électeurs prennent en compte leurs préférences politiques nationales et les parcours personnels des candidats, sans forcément connaître la ligne politique des formations politiques européennes qu’ils représentent.

Ceci dit, selon le rapport de TEPSA (Trans European Policy Studies Association : réseau de trente-deux think tanks et instituts de recherche intéressés par l’intégration européenne dans les États membres), publié en juin 2014, les élections parlementaires européennes et la campagne de 2014 se sont distinguées par rapport à celles des années précédentes justement par leur niveau d’européanisation29 :

1) Tout d’abord, parce que depuis 2009, l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, le pouvoir du Parlement européen avait nettement augmenté, non seulement au niveau du processus décisionnel, mais aussi en ce qui concerne le choix du président de la Commission européenne, prenant désormais en compte le résultat des élections du Parlement,

2) Ensuite, par une plus grande visibilité de l’Union européenne, en raison du rôle qu’elle joue dans la gestion de la crise économique et financière,

3) Enfin, en raison de certains sujets d’actualité troublant l’ensemble des États membres et favorisant ainsi la convergence des débats nationaux : les politiques d’austérité de lutte contre le chômage, la

                                                                                                               

28 Ibid., p.173.

29 http://www.tepsa.eu/wp-content/uploads/2014/06/TEPSA-Report-EP-election-campaigns-Mirte- van-den-Berge.pdf

(18)

libre circulation des personnes, la crise ukrainienne, ainsi que les relations avec la Russie et leurs implications.

Compte tenu de la faible participation aux élections européennes de 2014, un possible retournement des futurs comportements électoraux traditionnels présenté dans ce pronostic reste à se prouver.

I.3 Quelle communication électorale européenne ?

Existe-t-il une communication électorale caractéristique des élections parlementaires européennes ? Les thèmes soulevés lors des campagnes sont souvent dénoncés par les spécialistes comme étant trop centrés sur les enjeux nationaux, ou comme ayant un lien faible avec la réalité européenne. Rares sont en effet les candidats proposant une véritable offre politique européenne30.

Une identification claire et nette des enjeux européens pertinents dans l’ensemble des États membres n’est pas évidente non plus pour les médias.

En effet, si un espace public européen existe31, il se distingue par son caractère hybride, hétérogène. Dans la communication électorale européenne, dont la qualité résulte de ces contraintes, les enjeux nationaux devancent donc les enjeux européens non seulement dans les programmes politiques, mais aussi dans la couverture médiatique, y compris celle des médias institutionnels et supranationaux européens.

Divers auteurs, qu’ils soient politologues, sociologues, spécialistes en communication politique ou en médias, se posent la question soulevée ci-dessus sur l’existence d’un espace public européen, « espace de débat public démocratique, condition sine qua non d’une véritable démocratisation de l’Europe en tant qu’espace politique dépassant les seuls traités »32. L’existence d’un tel espace impliquerait en effet l’engagement d’un débat paneuropéen équilibré sur les sujets européens, nationaux et supranationaux relevant de la compétence des institutions européennes. Il mobiliserait à la fois les candidats, les citoyens- électeurs et les médias, acteur de campagne électorale à part entière33.

                                                                                                               

30JUHEM, Philippe, (2005), « Communication électorale », in. DÉLOYE (2005), p.113.

31 NEVEU, Catherine, (2005), « Espace public européen », in. DÉLOYE (2005), p.234.

32 Ibid. p.235.

33 HERTNER, Isabelle, (2011), « Are European Election Campaigns Europeanized ? The Case of the Party of European Socialistsn 2009 », Government and Opposition, Vol.46, n°3, p.333.

(19)

Même si l’Europe n’est pas absente des campagnes pour les élections parlementaires européennes, la prédominance des thèmes nationaux et la diversité des débats en fonction du pays membre (de multiples campagnes nationales au lieu d’une campagne européenne commune) rendent la communication électorale européenne difficile, voir même impossible. Il lui manque non seulement de cohérence, et de clarté, mais aussi de puissance. Ce qui paraît ici paradoxal, c’est que s’il est dit que les élections européennes appartiennent à la catégorie des élections de second ordre, banalisées par les électeurs, la couverture médiatique et l’effort des candidats pout attirer l’attention des électeurs devraient être consolidés.

Les taux d’abstention toujours aussi élevé démontrent qu’une telle stratégie a jusqu’à présent été rarement adoptée ou alors qu’elle n’a pas porté les fruits escomptés.

Suivant cette logique, nous allons voir à quel point la crise ukrainienne a contribué à changer cette tendance dominante dans la campagne électorale européenne 2014 en Pologne.

(20)

II. LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES EN POLOGNE

Selon les statistiques publiées en été 2014 par l’institut polonais de sondage CBOS, les élections au Parlement européen demeurent aux yeux de la société polonaise le scrutin le moins important34 :

Cela explique le taux d’abstention particulièrement élevé aux trois scrutins européennes auxquels les Polonais ont participé depuis 2004 et l’engagement relativement faible des acteurs politiques et des médias pendant les périodes préélectorales.

D’après les analyses du même institut de sondage, l’importance et le prestige des élections européennes en Pologne diminuent avec le temps. En effet, selon les déclarations des enquêtés, les électeurs ont accordé beaucoup plus d’attention au scrutin européen avant l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne et directement avant les premières européennes de 2004. Les sondages démontrent qu’à cette époque-là plus de la moitié des Polonais considéraient le choix des eurodéputés comme important. Avant le scrutin de 2009 cet avis n’était exprimé que par une personne interrogée sur deux, tandis qu’en janvier 2014 cette proportion s’est réduite à un tiers des électeurs.

                                                                                                               

34 http://www.cbos.pl/SPISKOM.POL/2014/K_096_14.PDF

Figure 1 : Comment évaluez-vous l'importance des élections suivantes ?

(élections locales)

(présidentielles) (parlementaires)

(européennes)

(pratiquement sans importance)

(peu importantes)

(plutôt importantes)

(très importantes)

(difficile à dire)

(21)

Les élections des membres du Parlement européen en Pologne constituent manifestement un scrutin classique de second ordre. S’ajoute à cela une procédure électorale compliquée et une méconnaissance générale du pouvoir de décision du Parlement européen.

II.1 Les élections européennes de 2004 et 2009 : une faible évolution des enjeux

En juin 2004, six semaines après l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne, Les Polonais se sont exprimés pour la première fois dans les élections parlementaires européennes. Ce premier scrutin, qui a conduit à l’élection de cinquante-quatre eurodéputés polonais, s’est déroulé dans une ambiance quelque peu festive, liée à une certaine euphorie qui accompagnait cet évènement historique, couronnant la transformation de système post-soviétique réussie.

La campagne officielle de l’époque, qui n’a duré que quinze jours, a été centrée beaucoup plus sur les biographies et les compétences des candidats que sur leurs programmes politiques35. En effet, l’objectif de ce premier débat électoral européen était tout d’abord d’évaluer la capacité des futurs élus à s’acquitter des nouvelles tâches. Les listes électorales disposaient, comme d’habitude, d’un temps d’antenne gratuit sur les chaînes de télévision et de radio publiques nationales.

Comme dans le cas des élections parlementaires, présidentielles, et du référendum portant sur l’entrée dans l’Union européenne de juin 2013, le gouvernement n’a menée aucune campagne pour inciter à voter ou expliquer les enjeux du scrutin36, qui a été par ailleurs la première élection dans une Union élargie à vingt-cinq États membres.

Selon l’Eurobaromètre de 2004, la prédominance indiscutable des sujets nationaux sur les thématiques européennes répondait aux attentes des électeurs 37.

                                                                                                               

35 PERRINEAU (2005), op.cit., p.22.

36 Ibid., p.26.

37 Ibid., p.32.

(22)

Tableau 1 : Lesquelles des problématiques suivantes sont pour vous les plus importantes ?

ENJEUX ATTENTES DES ELECTEURS :

POLOGNE

Thèmes spécifiques au pays 42%

Agriculture 57%

Environnement 25%

Lutte contre la criminalité 35%

Emploi 72%

Immigration 14%

Éducation 35%

PESC 22%

Politique étrangère 20%

Élargissement de l’UE 15%

Réforme des institutions de l’UE 11%

Activités du PE 10%

Droits en tant que citoyens européens 37%

En ce qui concerne les sujets plus « européens », la campagne s’est focalisée sur trois grands dossiers d’actualité de l’époque :

1) Les relations entre l’Union européenne et les États-Unis (en 2003, la Pologne a fait partie de la coalition américaine contre Saddam Hussein et a participé à l’invasion de l’Irak, en raison de quoi elle a connu une critiquée virulente de la part d’autres pays européens, notamment de la France et de son président Jacques Chirac) ;

2) La question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, que la Pologne considérait comme un prélude à d’autres élargissements de l’Union, notamment à l’Ukraine ;

3) Le débat sur ce que l’on appelait la « Constitution européenne », source principale des clivages entre deux principaux partis politiques polonais38. La campagne pour les élections européennes de 2009, dans le cadre desquelles les Polonais ont élu cinquante eurodéputés, s’est également concentrée sur les enjeux nationaux, notamment sur le conflit de plus en plus ferme entre deux

                                                                                                               

38 Ibid., p.30.

(23)

principaux partis politiques39: Plateforme civique (PO), fondée en 2001 par Donald TUSK, Andrzej OLECHOWSKI et Maciej PLAZYNSKI et Prawo et Sprawiedliwość (PiS), fondé la même année par les frères Lech et Jaroslaw KACZYNSKI. Toutes les deux formations étaient issues initialement du mouvement de l’opposition démocratique anti-communiste, cependant PO a adopté une lignée plutôt libérale alors que PiS a opté pur une rhétorique conservatrice et souverainiste. L’idée de la souveraineté de la Pologne au sein de l’Union européenne et de l’efficacité de sa représentation dans les institutions européennes, défendue vivement par PiS, n’a fait que raviver les antagonismes entre les deux formations. De nos jours, ces antagonismes restent aussi ardents qu’à cette époque-là ; ils ont d’ailleurs été ravivés depuis la catastrophe aérienne de Smolensk dans laquelle le président et plusieurs dizaines de personnalités ont péri.

Outre plusieurs sujets d’actualité tels que les relations avec l’Allemagne ou le défi économique et social de la grandissante diaspora polonaise au Royaume- Uni et en Irlande40, la campagne de 2009 ne s’est pas énormément distinguée de celle de 2004. La prépondérance des thèmes nationaux et l’instrumentalisation de certains sujets européens à des fins politiques sont devenues des caractéristiques de cette nouvelle élection nationale de second ordre.

Vu la faible européanisation du scrutin européen de 2009, l’intérêt des Polonais pour les élections européennes a commencé à s’éclipser. En effet, si le vote de 2004 avait souvent été associé à la manifestation d’approbation ou de refus de l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne, celui de 2009 n’avait plus cette portée symbolique.

II.2 Le scrutin européen de 2014 : enjeux politiques et électoraux

Dix ans après l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne, au dépit du bilan positif de la décennie écoulée41 et de la satisfaction générale exprimée par les Polonais à ce sujet, les élections européennes attirent constamment aux urnes beaucoup moins d’électeurs que ne le font d’habitude les scrutins nationaux                                                                                                                

39 BRACK, Nathalie et al., (2010), op.cit., p.188.

40 Selon les données du Ministère des Affaires Étrangères, entre 2004 et 2008, elles avaient grandi respectivement de 613.000 et de 310.000 : http://www.msz.gov.pl/resource/90f1454c-8ac1-439a- 9e5f-ac2ca6a0f013.

41 « Poland’s 10 years in the European Union » : http://www.msz.gov.pl/resource/ef26c779-74e4- 4a0c-aa73-0a9d3c8b695c:JCR

(24)

(23,82% aux européennes de 2014). L’estime sociale de ces élections demeure faible, même si celles de mai 2014 et notamment la campagne électorale les précédant ont ravivé des émotions, compte tenu de la conjoncture politique nationale et la situation internationale de cette période.

La Pologne est entrée en effet en 2014 en fin de cycle électoral. Les élections européennes ont alors été perçues comme un premier test pour les partis gouvernementaux (coalition Plateforme civique – Parti paysan polonais, PSL) précédant les élections locales de l’automne 2014, les élections présidentielles du printemps 2015 et les législatives de l’automne 2015. PO a obtenu 32,13% des voix au niveau national, tandis que PiS récoltait 31,78%42.

Dans les choix des parlementaires européens en 2014, les Polonais déclaraient se diriger plutôt par leur estime des candidats en tant qu’individus (54%) que par leur appartenance à un parti ou par le soutien de comités électoraux (40%).

L’importance de l’image de la Pologne sur la scène internationale compte en l’occurrence davantage (74%) que la représentation et la défense des intérêts nationaux au sein des institutions européennes (63%)43.

La méconnaissance des règles du fonctionnement du Parlement européen et des profils des candidats se présentant aux élections ont demeuré une raison importante de la forte abstention aux européennes de 2014. La bipolarité de la scène politique nationale, la monotonie des clivages constants entre PO et PiS ont découragé un nombre des électeurs, las de l’instrumentalisation du scrutin européen à des fins politiques nationales.

Ceci dit, la dégradation progressive de la situation en Ukraine, l’annexion de la Crimée et l’émergence des clivages au sein de l’Union européenne concernant la perspective de l’imposition des sanctions communautaires contre la Russie ont rendu la campagne électorale en Pologne plus animée et suscitant plus d’émotions que les deux campagnes précédentes. Pour la première fois en effet, la reconnaissance par tous les partis politiques polonais des avantages de l’appartenance à l’Union européenne et la reconnaissance commune de l’urgence de la formulation d’une position communautaire claire et ferme à l’égard de

                                                                                                               

42 http://www.europarl.europa.eu/elections2014-results/pl/country-results-pl-2014.html#table02

43 http://www.cbos.pl/SPISKOM.POL/2014/K_096_14.PDF.

 

(25)

l’évolution des évènements à l’Est ont prévalu dans les débats sur tous les autres sujets.

L’analyse du traitement de la question ukrainienne dans la perspective européenne fera l’objet de la partie suivante de la présente étude.

(26)

III. ÉTUDE DE CAS : LE TRAITEMENT DE LA CRISE UKRAINIENNE DANS LA CAMPAGNE POUR LES ELECTIONS EUROPEENNES 2014 EN POLOGNE

La crise ukrainienne n’est pas le premier cas où l’actualité internationale dépasse l’élection européenne sur le devant de la scène44. Tel a été le cas, par exemple, du scrutin parlementaire européen de 1999, où la crise de Kosovo a prévalu dans la campagne sur les problématiques purement européennes, notamment dans les pays politiquement ou économiquement concernés par la guerre de 1999. Même si au printemps 2014 les évènements en Ukraine n’étaient pas encore perçus comme dramatiques, la dégradation progressive de la situation derrière la frontière orientale de la Pologne s’est vite imposée dans la campagne pour les élections européennes. Suscitant de véritables inquiétudes de nature sécuritaire et économique, la crise ukrainienne a ressurgi dans la majorité des débats électoraux, aboutissant même à l’ouverture de discussions jusqu’alors imprévues, notamment au sujet de l’indépendance énergétique de l’Union européenne.

En nous appuyant sur les concepts fondamentaux de la sociologie partisane et de la sociologie électorale, ainsi que sur des outils d’analyse textuelle de discours, nous allons voir de quelle manière et dans quel but le conflit ukrainien est devenu dans le débat électoral polonais un outil de jeu politique, à la fois interne et international.

III.1 La crise ukrainienne : quels enjeux pour l’Europe et pour la Pologne ?

Activement engagée au sein du Partenariat Oriental dont elle est l’un des pays initiateurs, avec la République tchèque, très active sur le plan de la Politique européenne du voisinage, la Pologne a toujours attentivement suivi l’évolution de la scène politique ukrainienne. La situation géopolitique et l’héritage historique justifiaient son rôle d’intermédiaire, représentant des intérêts ukrainiens au sein de l’Union européenne et de l’OTAN. En effet, le devenir de son voisin concerne la                                                                                                                

44 ABRIAL, Stéphanie, PINA, Christine, (1999), « Les quinze pays de l’Union : une consultation de

« second ordre » ? », Revue française de science politique, 49ème année, n°4-5, p.710

(27)

Pologne à plus d’un titre : en plus de raviver les souvenirs les plus sombres du passé, la crise déchaînée en 2013 constitue pour elle un enjeu géostratégique pluridimensionnel.

Déjà à l’époque précédant la signature par l’Ukraine de l’accord d’association avec l’Union européenne, les responsables polonais observaient avec appréhension l’évolution de la situation politique et sociale en Ukraine, notamment dans la perspective des élections présidentielles de 2015. Plongée dans une crise économique réelle et gouvernée par une élite politique loin d’être prête à adopter des standards démocratiques occidentaux, l’Ukraine restait immobilisée entre deux réalités antinomiques : d’un côté, ses acteurs économiques – disposant en Ukraine d’une véritable influence sur les décisions politiques – tenaient à leurs relations avec la Russie ; d’un autre côté, la société de plus en plus « occidentalisée » et les bénéfices concrets liés à la perspective d’un rapprochement avec l’Europe occidentale orientaient progressivement le pays vers l’Ouest. Ainsi, une éventuelle signature de l’accord d’association avec l’Union européenne est devenue une sorte de monnaie d’échange avec le Kremlin.

La décision de ne pas signer l’accord d’association, prise par les autorités ukrainiennes en novembre 2013, a suscité des inquiétudes réelles, en Pologne et en Europe. Tout d’abord, d’un point de vue politique et économique, en remettant en question les efforts bilatéraux entrepris dans le cadre de la politique européenne de voisinage. En effet, l’objectif des accords d’association signés entre l’Union européenne et ses pays voisins est d’étendre les normes techniques et sanitaires de l’Union, en favorisant ainsi l’intensification et la diversification des échanges45. Les accords de libre-échange complet et approfondi (ALECA) signés dans le cadre de ces accords d’association couvrent la plupart des secteurs économiques et sociaux. Couvrant également le secteur des services, l’accord d’association négocié avec l’Ukraine depuis 2007, était l’un des plus ambitieux signés jusqu’alors par l’Union européenne46. Dans son cadre, l’Ukraine s’engageait à réduire ses droits de douane et à reprendre une partie importante de l’acquis communautaire.

De son côté, l’Union européenne s’obligeait à ouvrir davantage ses marchés.

                                                                                                               

45 LEPESANT, Gilles, (2014), « La politique européenne de voisinage à l’épreuve de la crise ukrainienne », Question d’Europe, n°327, Fondation Robert Schuman, p.1.

46 Ibid.

(28)

Si la question de la sécurisation de la frontière européenne (la frontière orientale de la Pologne est la frontière orientale de l’Union européenne et de l’espace Schengen) ainsi que la perspective d’une guerre paraissaient invraisemblables, la problématique de l’indépendance énergétique de l’Europe, banalisée peu avant le début du conflit, s’est imposée dans les débats comme un dossier tant réel qu’urgent. Un quart du gaz consommé au sein de l'UE provient en effet de Russie, et 60 % de ce dernier transite actuellement par l'Ukraine47. La dépendance énergétique des États membres à l’égard de la Russie varie de 100%

pour les pays baltes à 15% pour la France48. C’est ainsi que s’est ouvert en Europe un débat – souhaité par ailleurs depuis un certain temps par le gouvernement polonais – sur les perspectives d’une coopération énergétique européenne. Ainsi, lors du Conseil européen de mars 2014, les vingt-huit États membres ont en effet accéléré les efforts engagés pour renforcer la sécurité énergétique de l’Union, réduire sa dépendance énergétique et développer les projets d’interconnexion49.

S’ajoutait à cela le problème d’une attitude personnelle des dirigeants occidentaux à l’égard de Vladimir Poutine, compte tenu des intérêts bilatéraux importants de certains d’entre eux, tels Angela Merkel ou François Hollande. Les sanctions portant sur des personnes, des programmes de coopération et enfin sur des secteurs économiques risquaient d’empoisonner ces relations, rafraîchissant le souvenir de la guerre froide.

La crise démocratique en Ukraine, intervenue dans un contexte particulier – dix ans après la révolution orange – s’est ainsi transformée en un véritable enjeu européen. Non seulement a-t-elle remis en question l’intérêt de la politique européenne de voisinage, pensée comme une suite logique des élargissements, mais elle a déstabilisé également l’agenda de l’UE et d’autres organisations internationales, en remettant à l’ordre du jour les aspirations impériales de Vladimir Poutine et leurs conséquences, jusqu’alors tacitement banalisées. Survenant quelques mois avant les élections des nouveaux députés européens, elle a eu une portée politique pluridimensionnelle, influençant de nombreux dossiers européens, tels la politique étrangère et de défense de l’Union européenne, la politique                                                                                                                

47 http://abonnes.lemonde.fr/europe/article/2014/03/03/le-gaz-russe-enjeu-crucial-pour-l-ukraine-et-l- union-europeenne_4376476_3214.html

48 Ibid.

49 Ibid.

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